Il est minuit, docteur Bayat

Les Zèbres sont malades, mais est-ce seulement la faute de son coach?

L’ambiance était évidemment à la tristesse dans le camp carolo à la sortie des vestiaires au Lierse. Le président était aux Etats-Unis mais on pressentait que le temps allait changer à son retour, mardi. La météo annonçait beaucoup de vent.

Une espèce d’impuissance et de fatalisme s’était glissédans les propos des joueurs: »Deux conneries et nous sommes battus. La défense ne gagne aucun duel d’homme à homme. Pourtant, ce Lierse-là était bel et à notre portée ». Les attaquants s’affirment mal soutenus, la ligne médiane a sorti deux gâteaux du four pour les adversaires, la défense a fait ce qu’elle a pu, mais pas plus, sans Ibrahim Kargbo remplacé par un Mohammad Reza Mahadavi au style de jeu vraiment très rudimentaire.

Pourtant, malgré cela, Charleroi a eu le Lierse, une des grandes révélations de la saison, au bout du fusil. Avant le repos, Eduardo plaça un heading sur le cadre. Alexandre Kolotilko rata aussi une tête facile après le repos. Un résumé du problème mental qui hante les Zèbres? On aurait aimé voir comment ils auraient géré le match avec un moral requinqué avant le repos. Si le Lierse a hoqueté (et signé son plus mauvais match de la saison, d’après son manager Herman Van Holsbeek), il faut aussi en chercher les raisons dans les dispositions de Charleroi.

La tentation était grande, plus que certainement, de bétonner, de peuplerle milieu du terrain, de ne laisser qu’un attaquant de pointe. Avec pour corollaire adverse une obligation de sortir de ses habitudes, de faire le jeu, de ne pas compter que sur sa défense inoxydable, et de vivre intelligemment sur ses contres, etc. Pourtant, Etienne Delangre resta fidèle à un 4-4-2 assez classique.

Pas sans succès durant un quart d’heure. A ce moment, le meilleur joueur carolo, Mahamoudou Kere, égara un ballon au profit de Karel Snoeckx qui dénicha tout de suite Stein Huysegems: 1-0. Une tuile dans la mesure où la lanterne rouge devait accentuer ses efforts dans le jeu, ce qui convenait totalement au Lierse d’ EmilioFerrera. La ruse d’un côté, l’intention de bien faire de l’autre. C’est le Lierse qui gagna à ce jeu-là.

Crédibilité présidentielle en jeu

Au repos, Etienne Delangre secoua une fois de plus ses troupes. Le début de deuxième mi-temps des Zèbres fut intéressant et l’égalisation de Kere méritée. Une nouvelle erreur de la ligne médiane amena le deuxième but du Lierse, celui du succès, signé par Marc Schaessens. La messe était dite. Etienne Delangre avait raison d’affirmer que les Zèbres avaient posé des problèmes au Lierse. Samedi passé, la différence entre Charleroi et le Lierse n’était évidente qu’au classement général.

Le coach liégeois se rendait compte que le noeud coulant de la corde se rapprochait de son cou: « Je me battrai de toutes mes forces pour que ce club s’en sorte. Nous n’avons jamais été vernis ». Le bilan est hélas pour lui catastrophique avec sept défaites, la dernière place au classement général, trois points, la venue du redoutable St-Trond à Charleroi à la fin de la semaine. Mais est-il pour autant le seul responsable de ce qui arrive pour le moment au Sporting de Charleroi?

Au Lierse, il a courageusement affronté la presse. Ce n’est pas lui qui a gaffé sur le terrain ou raté de grosses occasions de but. Ses jours en tant que coach semblaient comptés comme ceux des feuilles d’arbres secoués par la tempête.

Une équipe peut-elle cacher les problèmes internes d’un club?

Le tandem formé autrefois par Jean-Paul Spaute et Gaston Colson a commis des erreurs de gestion financière mais avait l’oeil en matière de football. Ils n’ont pas été remplacés. Depuis lors, c’est l’érosion et Charleroi est fameusement rentré dans le rang. La politique a rendu des services, effacé des ardoises, garanti des prêts et permis à cette entité de posséder un beau stade mais elle a aussi abandonné des hommes et agi en fonction des échéances électorales.

Quand Enzo Scifo est arrivé, les politiciens ont applaudi à deux mains. L’effet Scifo requinqua le football carolo. La suite ne fut plus hélas qu’une série de disputes ou de situations tendues: départ de Manu Ferrera, guerre entre Enzo Scifo et DanteBrogno, opposition entre le plus grand joueur wallon de tous les temps et la presse régionale, etc. Enzo est parti. Or, il y croyait car sont-ils nombreux les joueurs qui investissent quelques millions dans leur club? Y a-t-il seulement un deuxième cas en Belgique? Poser la question, c’est y répondre. Abbas Bayat n’a jamais compris les conflits entre Carolos. Il est vrai que ce n’est pas facile car on ne sait jamais qui tire les ficelles dans la coulisse. Ne dit-on pas que des proches de la Ville aimeraient retrouver de l’influence dans le club? Ils étaient anti-Scifo, pro-Brogno, sont plus ou moins anti-Delangre et espèreraient placer un coach à eux dans les pattes de Bayat. Aujourd’hui encore, rien ne reste dans le groupe. La moindre décision est tout de suite éventée et il y a un climat de méfiance autour du groupe. « Il ne faut pas dix minutes et toute la ville parle de ce qui a été convenu entre nous », raconte-t-on à Charleroi. Autrement dit, des taupes ont miné le travail du staff technique.

Trois attaquants dans le groupe

En ne retenant pas Enzo Scifo, Abbas Bayat a hypothéqué le capital crédibilité sportive de son club. On peut apprécier ou pas Enzo Scifo mais son aura pesait. Sans lui, c’était à Bayat de définir les axes sportifs, de choisir des joueurs, le coach,etc. Le choix d’Etienne Delangre tenait évidemment la route. C’était sa première chance en D1. Delangre était décidé à se battre même avec les moyens du bord qui se révèlent désormais trop courts. Au Lierse, il n’avait que trois attaquants dans son groupe. Il n’y en a pas d’autres. C’était son défi et pendant ce temps-là, Charleroi devait redresser sa trésorerie, régler des tas de dossiers délicats comme celui qui l’oppose à l’agent Bruno Heiderscheid, etc. Des affaires parfois délicates mais qui pompent de l’énergie.

Devinant que le groupe manquait d’atouts, Bayat transféra, sur les conseils d’Etienne Delangre, Ibrahim Kargbo et Alexandre Kolotilko, ce dernier ayant été présenté le jour de la conférence de presse précédant le début du championnat. Un peu tard. Le groupe était encore un chantier. Branko Milovanovic fut réexpédié en Yougoslavie. Or, il était un des seuls éléments techniques de la ligne médiane. Depuis l’entame de la saison, il saute aux yeux que cette équipe n’a pas assez de personnalités ou de joueurs expérimentés dans ses différents secteurs.

Plusieurs joueurs, et non des moindres, nous l’ont dit et même répété après le match au Lierse: l’heure est grave. Leur découragement était grand car une telle liste de défaites laisse des traces dans les têtes et les portefeuilles. Ils ont beau tout essayer: cela tourne court lors de chaque match. La balle est désormais plus dans le camp de Bayat que dans celui de Delangre. Le président a certainement pesé le pour et le contre à propos de son coach. Mais davantage que cela, c’est sa crédibilité présidentielle qui est en jeu. Abbas Bayat s’est défini comme un président d’avenir proche de son groupe qu’il a façonné en faisant notamment venir des joueurs iraniens. Aucun n’a apporté la différence jusqu’à présent. Leur potentiel doit être réel mais le rendement n’est pas suffisant pour rester en D1.

Daryioush Yazdani a été invisible à la chaussée du Lisp. Mahdavi n’a pas mieux joué qu’un stopper de Promotion. Delangre a-t-il jamais osé les écarter? Scifo avait aussi des problèmes avec le thème de réflexion car la pression présidentielle était forte. Charleroi a le couteau sur la gorge et doit réagir sur le marchédes transferts. Il reste probablement des joueurs au chômage et des affaires sont encore possibles. A moins que Charleroi ne préfère attendre la fin décembre et la prochaine campagne de transferts. Les Zèbres n’ont jamais vécu un tel début de championnat en D1. Trois sur 30, c’est misérable.

Il y a quelques années, Georges Heylens avait ramé et exigéle transfert de Cedo Janevski. Sa bande était décimée par les blessures. Jean-Paul Spaute lui rétorqua que c’était impossible, impayable, pas envisageable.

Après une nouvelle défaite au Cercle de Bruges, Georges Heylens fut défenestré et remplacé pour un moment par son adjoint, le gentil Raymond Mertens. Et Charleroi ne fut ni une ni deux et trouva les sous pour recruter Cedo Janevski dont Heylens rêvait. Raymond Mertens céda rapidement sa place à Luka Peruzovic. Ce dernier récupéra les blessés, supprima les congés de fin d’année et prépara un commando qui survola carrément ses adversaires lors du deuxième tour. Abbas Bayat pense-t-il à tout cela? Peut-être mais le Charleroi d’Heylens et Peruzovic avait du talent et de la personnalité: Ranko Stojic, Eric Van Meir, Fabrice Silvagni, Rudy Moury, Pär Zetterberg, Dante Brogno, Neba Malbasa et d’autres. De nos jours, Charleroi n’a même pas une personnalité dominante dans l’entrejeu.

Un noyau sans couleurs

Quand Peru se retira après ce premier brillant passage à Charleroi pour se retrouver à Anderlecht, les Zèbres vécurent deux de leurs belles années sous la gouverne de Robert Waseige. Ce n’est nullement comparable avec le noyau sans couleurs de l’époque présente. Il n’était pas plus riche la saison passée mais Scifo avait su porter le poids des tensions purement carolos avant la débandade de la fin de saison. Ce n’est pas possible à tous les coups.

Delangre aurait pu être plus défensif, prudent, en optant pour le béton armé mais est-ce que cela lui aurait-il pour autant souri avec un noyau aussi étriqué? Qui le sait? Après trois ans, Abbas Bayat ne présente pas de bon bulletin, tout cas. Pour le moment, c’est la cote d’exclusion.

Et ses grandes idées pour donner un nouvel élan financier au football belge n’ont pas passé la rampe. A la Ligue Pro, où il rentra tout de suite dans le lard des autres équipes, ses ennemis se marrent en pensant à celui qui allait tout révolutionner. Il n’a pas permis à son club de progresser sur le plan sportif. Les joueurs sont payés à heure et à temps mais l’ardoise du club serait de plus en plus inquiétante. On dit que l’homme d’affaires pèse très lourd financièrement. Même bien plus qu’on ne pourrait l’imaginer et que Chaudfontaine n’est pas son seul capital. Il devra casser sa tirelire pour acheter des joueurs ou ce sera la D2 avec ou sans Delangre.

La Ville devra également sortir du bois. Il y a trois ans, elle exploita à fond l’arrivée de Scifo sur le plan électoral. Le PS gagna le mach des élections avant le début du scrutin grâce, en partie, à l’effet Scifo qui fit souffler un formidable vent d’optimisme sur la capitale de la bande dessinée. Il n’en reste plus rien.

Les Carolos se rendront aux urnes en juin prochain pour des élections législatives. Le parti de Jacques Van Gompel, le bourgmestre, et de Jean-Claude VanCauwenberghe, poids lourd des socialistes wallons, ne peut pas se présenter devant les électeurs avec un Sporting du Pays de Charleroi en D2. A eux de recréer un effet Scifo mais un Enzo ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval. A moins que l’idée d’une grande fusion régionale ne revienne à l’ordre du jour pour masquer les déceptions actuelles? En attendant, il est minuit, docteur Bayat.

Pierre Bilic

Une équipe peut-elle cacher les problèmes internes d’un club?

Que fera la Ville avant les élections?

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