» IL EST BEAUCOUP TROP FORT POUR NOUS « 

Luc Nilis présente sa biographie. Quinze ans après sa fin de carrière précipitée, l’ancien attaquant y revient en toute sincérité sur la première partie de sa vie.

Un calme réconfortant règne sur le Sportpark De Herdgang, en plein milieu des bois, à quelques kilomètres à peine du ring d’Eindhoven. Le centre est accessible à tous, sauf les veilles de match. Des centaines de gens affluent sur le parking et autour des terrains d’entraînement. Parmi eux, de nombreux enfants. Ici, ce n’est pas parce que le PSV est en course pour le titre qu’on ferme les portes au public.  » Au contraire « , dit Thijs Slegers, responsable de la communication.  » Le PSV est un club ouvert et accessible qui pratique un football de haut niveau.  »

Le long du terrain, Luc Nilis et d’autres coaches observent l’entraînement les mains dans le dos. Entraîneur des attaquants depuis août 2014, Nilis passe pratiquement inaperçu. Il en ira autrement dans quelques semaines, lorsqu’il sera passé sur toutes les chaînes de télévision et de radios ainsi que dans les journaux. En cause : le livre qui va bientôt paraître sur lui et pour les besoins duquel il s’est livré sans arrière-pensée à Thijs Slegers. Ex-journaliste à Voetbal International. Slegers avait approché Nilis avant la Coupe du monde 2014.  » A ma grande surprise, il m’avait dit que ce livre pouvait être une bonne idée.  »

En janvier 2015, alors que le PSV était en stage à Las Palomas, en Espagne, Nilis était venu lui-même trouver le journaliste.  » Il avait deux propositions d’éditeurs belges mais voulait que ce soit moi qui l’écrive. Peu de temps après, j’entrais au PSV.  »

Même s’il y avait déjà quinze ans que Nilis ne jouait plus au football, l’auteur avait cinq bonnes raisons d’écrire un livre à son sujet.  » Je suis originaire de la région. Luc est l’idole de tous les amateurs de foot du coin qui ont au moins 32 ans. Ces dernières années, beaucoup d’enfants ont été prénommés Luc.  » Segers a également été touché par le contenu de Karakters, l’émission de Ben Crabbé.  » Luc y a dévoilé une facette de sa personnalité qu’il n’avait jamais montrée auparavant. Il a toujours été très distant, surtout avec les médias belges mais dans cette émission, on voyait qu’il était fait de chair et de sang, qu’il était très émotif.  » La troisième raison, c’est la façon dont Nilis est passé de l’enfance au statut de joueur de haut niveau.  » Alors qu’il n’avait que quatre ans, son père a vu en lui quelque chose qui lui a fait penser que, s’il travaillait intensément, son fils deviendrait un des meilleurs joueurs du monde. Je voulais savoir comment il s’y était pris pour y arriver.  » Enfin, il y eut la fin de carrière de Nilis, cette fracture de la jambe à Aston Villa.  » J’ai suivi le football professionnel en tant que journaliste pendant 17 ans et cela fait un an que je suis dans un club, je sais combien les clubs influent sur la nourriture, les heures de sommeil et le travail des joueurs. Ceux-ci n’ont aucune emprise sur leur propre vie. Dès qu’il n’a plus bénéficié de cette structure, Luc a connu le trou noir. Pendant un certain nombre d’années, on l’a vu mal dans sa peau. A un certain moment, je me suis demandé comment un joueur aussi doué pouvait devenir directeur technique à Heusden-Zolder ou entraîneur adjoint à Kasimpasa, en Turquie. Il avait sa place dans un grand club, que ce soit au PSV ou à Anderlecht.  »

DES FRITES DANS LA TRIBUNE

Pour Slegers, Nilis avait toujours été un joueur froid et introverti. Après 200 heures de conversation avec lui, il a changé d’avis.  » J’ai découvert un type formidable, très chaleureux. Notre première rencontre a eu lieu chez sa mère, à Zonhoven. Au cours des quinze dernières années, on n’a pratiquement pas entendu parler de lui. Et personne ne savait qui était sa mère. Son père était décédé quatre ans plus tôt et voilà qu’un journaliste se pointait et leur demandait de raconter leur vie. C’était très émouvant.  »

Il n’a jamais craint que l’histoire soit insipide.  » Luc est très différent selon qu’il est interviewé par la presse belge ou hollandaise. Tout jeune, à Anderlecht, il évitait les journalistes. On attendait que je dise chaque jour quelque chose mais je n’avais pas tous les jours quelque chose à raconter, dit-il à ce sujet. Dans ces conditions, certains se seraient sentis obligés de parler tandis que d’autres seraient partis par une porte dérobée. Cela pouvait sembler arrogant mais il ne l’était pas. Pour le dire vulgairement, Luc est un paysan de Zonhoven et il le restera toute sa vie. Aux Pays-Bas, il s’est senti accueilli différemment dès le premier jour. Il faut dire aussi qu’il a dû changer pour survivre car les Hollandais passent leur journée à s’insulter.  »

 » Luc aurait déjà pu jouer au PSV dès l’âge de 18 ans. Hans Kraay Senior était même allé le voir à Winterslag en mangeant des frites dans la tribune. Le Standard le voulait aussi mais Luc a dit : Je veux devenir professionnel et le meilleur choix, c’est Anderlecht car là, une seule chose compte : la victoire. Aujourd’hui encore, il dit lui-même que s’il avait rejoint le PSV à 18 ans, il n’aurait pas survécu. A 26 ans, il a compris après deux semaines qu’il devrait mordre sur sa chique pour ne pas sombrer mais à cet âge, c’était possible et c’est ce qui l’a rendu plus extraverti. Cela se voit quand on relit ses interviews. Aux Pays-Bas, il a déclaré des choses formidables, des journalistes plus âgés me l’ont confirmé. En Belgique, c’était différent. Il estimait que les journalistes belges n’étaient pas suffisamment connaisseurs, ça l’énervait.  »

 » C’est cependant à Anderlecht qu’il est devenu un homme, un pro. Là, les joueurs ne voyaient jamais le président. Sauf à quatre matches de la fin du championnat, si le titre n’était pas encore acquis. Alors, ils se rassemblaient dans la salle des joueurs, Michel Verschueren arrivait tout excité et ils savaient que Constant Vanden Stock allait débarquer. Quand il entrait, tout le monde devait se lever. Constant disait : Ici, c’est Anderlecht : la seule chose qui compte, c’est la victoire. Deux minutes plus tard, il était déjà parti. Cette pression empêchait Luc de savourer les victoires ou les buts. Il a décroché quatre titres en huit ans mais il n’avait jamais eu l’impression d’avoir quelque chose à célébrer. A Eindhoven, c’était différent. Après un titre, les joueurs faisaient le tour de la ville sur un char, 10.000 personnes les attendaient.  »

CASANIER

Dans la farde bien remplie d’articles de journaux, on en retrouve un de mai 1987. Nilis achevait sa première saison à Anderlecht et disait :  » Je tiens beaucoup de ma mère, je suis très attaché à elle.  » Le journaliste concluait :  » Incroyable : le plus grand espoir du football belge est toujours dans les jupes de sa mère.  »

Thijs Slegers opine du chef :  » C’est toujours le cas ! Dimanche dernier, nous devions aller à PEC Zwolle. Je lui ai proposé de nous retrouver au stade à onze heures. Il a dit : OK, comme ça je peux encore aller prendre le petit-déjeuner chez maman, c’est la fête des mères. C’est typiquement lui : sa mère est tout pour lui, tout comme son père était tout également (il marque une pause). Quand Luc se cherche un peu, il va sur la tombe de son père et lui parle. Sa copine le sait : quand elle ne le trouve pas, c’est qu’il est au cimetière.  »

Nilis a toujours été casanier. Lorsqu’il a été transféré à Anderlecht, il a continué à vivre à Zonhoven, même si Anderlecht n’était pas trop d’accord.  » A un certain moment, il y avait sept Limbourgeois dans l’équipe. Luc avait une voiture de sept places. Il allait les chercher un par un puis ils partaient, la musique à fond, avec Peter Maes aux manettes jusqu’à Bruxelles. Des gens comme Michel Verschueren ne voyaient évidemment pas cela d’un très bon oeil. Mais Luc est un paysan de Zonhoven. Il y a 61 ans que sa mère habite dans la même rue. Son père et sa mère étaient pratiquement voisins mais ils ne se connaissaient pas et se sont rencontrés au dancing. Ensuite, ils se sont installés ensemble, toujours dans la même rue. La mère de Luc habite encore à cette adresse.  »

 » Il a pourtant essayé une fois de déménager, de s’installer dans les environs d’Anderlecht, à Eizeringen, un charmant petit village du Pajottenland. Mais dès que Patsy, son ex-femme, est tombée enceinte, ils sont revenus toutes voiles dehors à Zonhoven, où il a continué à vivre lorsqu’il jouait au PSV. Il n’a véritablement quitté sa région qu’en fin de carrière, lorsqu’il a joué à Aston Villa (Birmingham). Là, il n’était plus possible de faire la navette. Ce tempérament casanier lui a joué des tours. Il se sentait bien au PSV, tout près de chez lui. Il aurait pu aller à Bordeaux. Ou au PSG, qui avait remporté deux Coupes d’Europe, mais il était heureux ici. Le PSV est un club chaleureux, les gens sont sympathiques. C’est cela qui a plu à Luc dès qu’il a débarqué, en 1994. Dès le premier jour, il s’est senti comme chez lui.  »

Bizarre, dès lors, que le joueur se soit retrouvé à Aston Villa car Birmingham est une ville plutôt austère. Selon Thijs Slegers, un homme est responsable de cela :  » Erik Gerets. Les deux hommes ne s’entendaient pas. Ils n’avaient pas le même caractère et travaillaient différemment. Luc était terriblement déçu par la façon dont Gerets voyait les choses. En lisant le bouquin, on s’aperçoit que c’est par miracle que le PSV est devenu champion en 2000 avec Luc et Gerets. Le bouquin raconte aussi la façon dont il a vécu la Coupe du monde 1994 et ce qui s’y est produit. C’est l’avantage d’écrire un livre avec autant d’années de recul : au cours de leur carrière, les joueurs hésitent souvent à s’exprimer.  »

En fait, au terme de cette saison-là, Nilis aurait dû rentrer à Genk, la ville où il avait effectué ses débuts avec Winterslag. La boucle aurait ainsi été bouclée.  » Mais cela ne s’est jamais concrétisé. Sans quoi il serait allé à Genk et pas à Aston Villa.  »

A l’époque, Villa et la Premier League n’étaient pas l’environnement idéal pour un footballeur aussi raffiné que Nilis mais, en peu de temps, il s’y est tout de même rendu célèbre.  » David Ginola a dit à George Boateng : Qu’est-ce qu’il fait chez nous, le Belge ? Il est beaucoup trop fort pour nous. Il devrait jouer à Arsenal ou à Manchester United ! Luc n’a joué que trois matches de Premier League et deux d’Intertoto. En cinq rencontres, il a terriblement impressionné ses partenaires et les supporters avec ce but contre Chelsea en guise de cerise sur le gâteau. Là, il a montré aux Anglais des choses qu’ils ne voient pas souvent. Dick Advocaat dit de lui qu’il était un joueur de classe mondiale, mais qu’il n’avait pas la volonté de conquérir le monde. Johan Cruijff disait beaucoup de bien de lui également, il l’a même invité deux fois à des matches-exhibition. Luc était très fier car Cruijff était l’idole de sa jeunesse. Le jour où il a tiré ce fameux penalty à deux avec Jesper Olsen, contre Helmond Sport, Luc avait fait cela le matin même dans un match de scolaires. Quelques heures plus tard, en regardant la télé, il appelait son père : Regarde, papa ! C’est beau, non ?  »

FEINTER ET TIRER

Un jour, un journaliste belge pensant titiller Nilis lui a dit :  » Tout ce que tu sais faire, c’est feinter et tirer.  » Sans se démonter, Nilis a répondu :  » C’est vrai.  »

Thijs Slegers opine du chef.  » En effet ! Mais des deux pieds, tout de même. C’est ça qui le rend unique. Luc inscrivait parfois le quatrième ou le cinquième but de son équipe mais, souvent, il marquait le premier ou le deuxième. Ronaldo, le champion du monde brésilien, dit qu’il est le meilleur joueur avec qui il ait évolué. Ruud van Nistelrooy ne tarit pas d’éloges à son sujet et le place dans le top 3 de ses équipiers, aux côtés de Raul et Paul Scholes. Pourtant, des joueurs de classe, Ruud en a côtoyé un paquet.  »

 » Luc pouvait à la fois conclure et mettre un équipier sur orbite. Les joueurs capables de faire ces deux choses-là sont rares. C’est souvent l’un ou l’autre. Au PSV, surtout, il s’est mis au service de l’équipe. Quand on joue aux côtés d’un Ronaldo, on se met automatiquement à son service.  »

 » C’est au sein d’une équipe offensive que Luc se sentait le mieux. Il a eu plusieurs entraîneurs défensifs : Georges Leekens, Paul Van Himst… Il détestait cela. Ses entraîneurs préférés étaient Aad de Mos, Jan Boskamp et Dick Advocaat. Celui qui voulait jouer dans la moitié de terrain adverse avait besoin d’un Luc Nilis. Par contre, inutile de le faire courir derrière le ballon sur 50 mètres : il n’était pas suffisamment rapide pour cela et il le savait. C’était ça son problème en équipe nationale. La façon dont les entraîneurs abordaient les matches le traumatisait. Il n’était pas fait pour ce style de jeu. Aujourd’hui, il serait comme un poisson dans l’eau en équipe nationale. Il serait même le Diable Rouge le plus populaire. Il s’adaptait parfaitement à une équipe qui attendait l’adversaire au milieu de terrain et qui jouait pour gagner. Or, avant, la Belgique jouait surtout pour ne pas perdre. C’est pour cela qu’il adore la génération actuelle des Diables Rouges : c’est son football. Lors de la Coupe du monde 2014, je l’ai accompagné au centre de Zonhoven pour suivre un match des Diables. Il avait mis un chapeau et s’était fait maquiller aux couleurs de la Belgique. C’était émouvant. Car il est très fier d’avoir porté le maillot de l’équipe nationale, même si la sauce n’a jamais pris.  »

TROU NOIR

Sa carrière s’est terminée de façon abrupte sur une fracture de la jambe à Aston Villa.  » Et que fait un homme qui, soudain, voit toute sa structure s’effondrer ? Luc n’a pas su gérer cela et c’est ce qui m’a le plus surpris : je n’imaginais pas que des gens puissent avoir besoin de garde-fou pour pouvoir fonctionner, ne pas tomber dans le ravin. Il avait beaucoup d’argent, du temps libre, il ne voulait pas passer ses journées à la maison et il a mal choisi les opportunités de travail qui se présentaient à lui. Cela a failli lui être fatal. Il a connu quatre ou cinq années noires.  »

Son départ pour Kasimpasa, en Turquie, s’assimilait à une sorte de fuite.  » Cela lui a fait du bien de changer d’air, même pour dix mois. Il a pris la décision de partir sur un coup de tête.  » De retour à Zonhoven, Nilis s’est attaché à restructurer sa vie. Il a déclaré qu’il aimerait retourner au PSV. Son ami et ex-équipier Stan Valckx a fait passer le message mais, à Eindhoven, on ne fait pas dans le social, même pas pour Luc Nilis.  » Il a dû faire ses preuves. Il apporte une plus-value et cela se voit au nombre de joueurs qui lui dédient leurs buts. J’ai montré des vidéos YouTube à notre attaquant uruguayen Gaston Perreira. Une fois qu’ils ont vu cela, des gars comme ça boivent les paroles de Luc. Nilis est passé maître dans l’art de décortiquer une frappe. Il n’a d’ailleurs lui-même rien perdu de ses capacités en la matière. Après l’entraînement, il est pratiquement toujours le dernier à quitter le terrain. Le panier de ballons se trouve à 30 mètres et il demande à un jeune de déterminer combien de ballons il va mettre dedans. Puis les ballons rentrent un à un, à la perfection. Il dit aussi que le seul endroit où il est vraiment heureux, c’est le terrain. « 

PAR GEERT FOUTRÉ – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Dick Advocaat dit de lui : Luc Nilis était une star mondiale mais il n’avait pas la volonté de conquérir le monde.  »

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