Il a toujours un plan B !

Le Camerounais vise l’Europe avec Westerlo… et l’Afrique du Sud avec les Lions Indomptables.

Cinquième à mi-championnat quasiment, Westerlo fait figure de bonne surprise de la saison. Quoique. Depuis son accession à l’élite en 1997, le club campinois n’a jamais été mêlé à la lutte pour la descente. Au contraire, il a le plus souvent figuré dans la fameuse colonne de gauche du classement. En cause, le nez creux de ses dirigeants et du manager Herman Wijnants en particulier, qui n’a pas son pareil pour dénicher des attaquants de talent. Toni Brogno, Dejan Mitrovic, Vedran Pelic, Dalibor Mitrovic, Kevin Vandenbergh, Tosin Dosunmu, David Paas, Jackson Coelho, Patrick Ogunsoto et on en passe se sont révélés des buteurs de très haut vol pour les Jaune et Bleu.

Une fois n’est pas coutume, les sociétaires du Kuipje ont dû remodeler complètement leur ligne offensive. Ce qui ne les empêche pas de faire flèche de tout bois avec le Colombien Jaime Ruiz (7 buts) et le Camerounais Bertin Tomou (5). Les deux avants auront d’ailleurs pesé de tout leur poids, le week-end passé, dans la victoire contre Mons ; le premier en paraphant le deuxième but et l’autre en signant l’assist sur le goal d’ouverture de Rachid Farssi.

Bertin Tomou : Je regrette de ne pas avoir inscrit de but moi-même. Je pensais y arriver en toute fin de partie, sur un centre-tir de Ruiz. Mais le ballon était trop puissant et je n’ai pu redresser sa course. Tant pis, ce n’est que partie remise. Pour la confiance, c’est toutefois bien de marquer. Et c’est la deuxième fois que je loupe le coche de peu. Une semaine auparavant, à Anderlecht, il en avait déjà été ainsi.

Après Anderlecht, vous aviez boudé la presse dans la zone mixte. Ce n’est pas dans les habitudes d’un garçon d’ordinaire aussi disponible que vous !

Bertin Tomou : Je ruminais toujours ma déception. Je m’en voulais d’avoir loupé l’immanquable un peu plus tôt. La balle d’égalisation avait frappé le poteau au lieu de secouer les filets de Daniel Zitka. C’était râlant car j’éprouvais réellement de très bonnes sensations dans ce match. Je me faisais fort qu’après des défaites au Standard et à Bruges, nous touchions enfin au but face à un grand du championnat de Belgique. J’avais l’occasion de traduire à la marque notre domination en seconde mi-temps. Mais je l’ai stupidement gâchée. Cette scène-là m’a non seulement poursuivi toute la soirée, mais aussi pendant la semaine avant notre affrontement contre Mons. Je n’ai pas trouvé facilement le sommeil durant tout ce temps.

Des trois ténors qui vous a laissé la meilleure impression ?

Le Standard, sans conteste. Il a évidemment eu la chance de nous donner la réplique au bon moment, en tout début de saison, lorsque notre équipe se cherchait encore. Après six matches, nous n’avions inscrit en tout et pour tout que trois buts : un contre Charleroi lors de la journée d’ouverture, un autre encore face au Germinal Beerschot et un troisième à Lokeren. C’est justement après la sixième rencontre au Club Bruges, que nous avions perdue 2 à 0 de manière tout à fait imméritée, que les différentes pièces du puzzle se sont subitement imbriquées. La preuve par des victoires amplement justifiées contre des teams du sub-top comme le Racing Genk, battu 1-0 et La Gantoise, vaincue 3-2. C’est pourquoi nous n’usurpons nullement notre place. Avec un peu de chance, nous aurions même pu compter deux unités de plus ; le 0-0 face à mes anciens potes de Mouscron me laisse toujours un goût de trop peu.

 » Mouscron n’a jamais admis que je parte à la CAN « 

Il y a tout juste un an, vous marquiez à tire-larigot avec les Hurlus, au point de porter le maillot du meilleur réalisateur de la compétition. On conçoit mal, dans ces conditions, que vous ayez finalement quitté le Canonnier ?

J’avais encore un an de contrat mais je n’entendais pas moisir là-bas. En réalité, mes problèmes chez les Hurlus ont commencé après la Coupe d’Afrique des Nations. Les neuf buts que j’avais inscrits au cours du premier tour de la compétition m’avaient valu d’être incorporé dans le groupe des 23 Lions Indomptables. Pour moi qui, jusque-là, avais toujours dû me contenter, pour ainsi dire, de participations à des joutes amicales c’était, à près de 30 ans, le sommet de ma carrière. Pour rien au monde, je n’aurais fait l’impasse sur ce rendez-vous. A Mouscron, hélas, certains ne l’entendaient pas de cette oreille. Tour à tour, Gil Vandenbroeck et Geert Broeckaert ont fait pression sur moi afin que je snobe cette compétition. Mais c’était hors de question. J’avais promis de ne pas m’attarder au Ghana, qui abritait la phase finale de l’épreuve, mais j’étais loin de me douter que mon absence allait durer six semaines en raison de l’accession en finale face à l’Egypte. A mon retour, malgré mes neuf buts qui faisaient de moi le meilleur buteur du club devant Adnan Custovic, j’ai été rétrogradé au rang de simple réserviste. Le 4-4-3 cher à Marc Brys avait entre-temps fait place au 4-4-2 prôné par Enzo Scifo. Et dans ce système, c’était Idir Ouali qui faisait figure de premier choix au côté de Custo. Du coup, j’en étais réduit à jouer les utilités. Je comptais bien me rebiffer et retrouver ma place sur le terrain mais la maladie en a malheureusement décidé autrement.

Vous aviez attrapé la malaria en Afrique ?

Au départ, les médecins de l’Excelsior me disaient que ce n’était rien d’autre qu’une grippe. Par après, ils ont soutenu que mon corps réagissait à un écart de température entre l’Afrique et la Belgique ! En mon for intérieur, je me disais malgré tout qu’il devait y avoir autre chose et j’ai pris la résolution d’aller consulter un médecin à Tourcoing, juste passé la frontière française. La première question du doc fut de me demander si je m’étais rendu en Afrique peu avant. Comme ma réponse fut affirmative, il supputa aussitôt un cas de malaria. J’ai directement été admis en clinique, où les toubibs m’ont mis sous perfusion. Sans leur intervention ultra-rapide, je ne sais trop ce qu’il serait advenu de moi. J’étais déjà loin à ce moment-là. Et au lieu d’être soutenu par le club, je n’y ai eu droit qu’à des remarques acerbes, du genre : -T’avais qu’à pas partir en Afrique. J’avais la haine, croyez-moi. N’empêche, j’ai tout mis en £uvre afin de revenir au premier plan. Mais c’était compter sans le nouveau coach, qui ne voulait pas déroger à son système. Un jour, je l’ai quand même interpellé à ce sujet, en lui disant que le 4-3-3 avait fait ses preuves aussi. En guise de réponse, Scifo m’a dit : -Toi t’es là pour jouer et moi pour sélectionner, alors n’inversons pas les rôles. Dès ce moment, j’ai compris que je n’avais plus d’avenir au Canonnier.

 » Entre Ruiz et moi, tout se joue à l’intuition « 

Quitter Mouscron pour Westerlo, c’était un pas en avant à vos yeux ?

Ce n’était pas comparable aux offres que j’avais eues avant de participer à la CAN. A l’époque, Hanovre, Utrecht et Auxerre étaient sur les rangs mais la direction du club ne voulait de toute façon rien entendre. Moi-même, je me disais que d’autres clubs s’intéresseraient à moi pour peu que je signe une toute bonne CAN. En football, c’est très souvent la dernière impression qui prévaut. Et celle-là ne plaidait évidemment pas en ma faveur, en ce sens que je n’étais plus titulaire à l’Excel et que je relevais de maladie. En définitive, les seuls à faire une offre concrète furent les dirigeants de Westerlo. Je n’avais pas vraiment l’embarras du choix. Mais cette destination recueillait mes faveurs car la cuvette campinoise est une merveilleuse vitrine pour les attaquants. Mon ambition était d’y marcher sur les traces des Tosin Dosunmu, Jackson Coelho ou Patrick Ogunsoto. Et, pour l’heure, je n’ai aucune raison de me plaindre. Sportivement, on réussit vraiment au-delà des espérances. Et le duo que je forme avec Jaime Ruiz en pointe porte ses fruits.

Jan Ceulemans prétend que vous parlez chinois entre vous. C’est vrai ?

C’est une allusion aux années que j’ai passées en Chine. J’ai joué huit ans là-bas et, au fil du temps, j’ai appris à me débrouiller en mandarin. Comme mon compère est Colombien et qu’il ne parle que l’espagnol, nous avons éprouvé quelques difficultés de compréhension au départ, vu que je ne m’exprime moi-même qu’en français et en anglais, les deux langues nationales au Cameroun. Un jour, à l’entraînement, j’ai sorti un mot en chinois et Ruiz a parfaitement compris où je voulais en venir. C’est resté et il m’arrive de temps à autre de balancer un mot dans cette langue. Pour le fun, essentiellement. Entre nous, tout se joue plutôt à l’intuition.

Huit années en Chine en pleine fleur de l’âge, c’est un parcours atypique pour un Africain, non ?

Je me fais quelquefois la réflexion, en effet, que j’ai accompli ma carrière à l’envers. Beaucoup d’Africains ponctuent leur trajectoire par un séjour en Asie ou au Moyen-Orient. Comme mon compatriote Patrick Mboma, qui a terminé son parcours en J-League japonaise. Moi, par contre, j’ai commencé par la Corée du Sud et la Chine avant d’aboutir en Europe. Je ne me plains pas car je suis un privilégié par rapport à la plupart de mes frères de couleur qui doivent se battre chaque jour pour vivre ou survivre. Même si, moi aussi, j’en ai bavé par moments dans la vie. Si on parle parfois de racisme ici, en Belgique, ce n’est absolument rien en regard de ce que j’ai connu en Asie. Là-bas, j’ai dû composer constamment avec des cris de singe. Pire, il n’était pas rare qu’on me lance des pelures de banane à la tête. L’arbitre n’y trouvait rien à redire. Il laissait faire. C’était chose normale. En dehors des stades, tout était à l’avenant. En rue, on me regardait comme une bête curieuse. Certains changeaient de trottoir pour m’éviter. Pendant huit ans, c’était foot-manger-dormir. Mes seules escapades, c’étaient les galeries commerciales où je me rendais pour manger. Pas rigolo tous les jours, mais je ne me suis jamais laissé aller. J’ai continué à me battre en me disant que tôt ou tard je rebondirais ailleurs. Et j’y suis arrivé après un long détour. Parfois je me demande où j’en serais aujourd’hui si, voici une bonne dizaine d’années, j’avais été amené à faire un test au Standard, comme il en avait été question, au lieu d’aboutir aux Pohang Steelers. Qui sait si je n’aurais pas pu m’affirmer comme Dieumerci Mbokani ? Dans ce cas, ma destinée eût sans doute été tout autre.

 » On veut rester invaincus à domicile « 

Qu’attendez-vous de cette saison ?

Mes partenaires et moi respectons actuellement le plan A : nous situer dans la colonne de gauche. Pour le club, c’était là l’objectif essentiel au cours de cette saison-charnière où la lutte sera féroce pour le maintien. Comme il est bien connu que l’appétit vient en mangeant, nous espérons tous aborder le plan B au deuxième tour, lisez la lutte pour une place européenne. Personnellement, j’y crois. Genk et La Gantoise, que nous avons battus, ne sont pas plus forts que nous. Quant aux trois grands nous tâcherons de leur rendre la monnaie de leur pièce lors de leur visite chez nous. Mais d’une manière générale, toutes les équipes qui se rendront au Kuipke n’auront qu’à bien se tenir car mes potes et moi, on vise à obtenir un brevet d’invincibilité à domicile cette saison. Et au train où vont les choses, on est bien partis pour y arriver.

Bertin Tomou Bayard est né le 8 août 1978 à Bafoussam (Cameroun)

Attaquant ; 1,89m, 84kg

Carrière : a débuté au PWD de Bamenda avant d’entamer, à 19 ans, un périple en Asie via la Corée du Sud (Pohang Steelers, champion en 1997) et la Chine ensuite où il a empilé 118 buts pour Shenzhen (1997-2000), Yunnan Hongta (2000-2002), Shanghai Shenhua (2002-2004, champion de Chine 2003), Xiamen Lanshi (2004), Zheidjang Hangzhou (2004-2005).

En 2005, il débarque en Europe à Brest (D2, 15m/3b) avant d’être transféré la saison suivante à Mouscron où il reste deux ans (52m/18b). Passé à Westerlo pendant l’été 2008, il a disputé les 14 rencontres de championnat, inscrivant 5 buts.

Sélectionné à 20 reprises avec les Lions Indomptables (6 buts) avec lesquels il a participé à la phase finale de la CAN en 2008. C’était son premier grand tournoi.

par bruno govers- photos: reporters/ gouverneur

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