« Il a encore trop peur de l’échec »

Le coach d’Olivier Rochus explique dans quel état d’esprit son poulain va tenter de confirmer sa brillante prestation de l’année dernière.

Il y a un an, quasi jour pour jour, Olivier Rochus réussissait à Wimbledon une performance de haut vol en se débarrassant de celui qui occupait alors la première place à la Champions race, le Suédois Magnus Norman. A l’époque, le jeune Rochus était encore en train de faire son écolage du plus haut niveau et était donc venu à Londres tel un enfant tout heureux de jouer sur le court des grands.

Douze mois plus tard, le deuxième joueur belge a retrouvé le club de Church Road mais, quand il a franchi la grille, il a certainement senti que la pression de son nouveau statut l’empêchait d’aborder la compétition avec le même sentiment de n’avoir rien à perdre. En un an, beaucoup de balles ont roulé sous les filets, comme nous l’explique Thierry Van Cleemput, le coach d’Olivier.

Le Wimbledon 2000 a sans doute constitué la première grande expérience au plus haut niveau pour Olivier Rochus. Comment se sentait-il quelques jours avant de retrouver le gazon londonien?

Thierry Van Cleemput: L’année dernière, c’était une surprise, une découverte, et il n’avait donc aucun état d’âme. Cette année, je ne peux pas vous cacher qu’il en a. Il y a un peu plus d’anxiété dans son chef par rapport à il y a un an. Ce n’est pas qu’il ne soit pas confiant du tout mais on ne peut pas dire non plus qu’il est sûr de lui.

En raison des points qu’il a à défendre ou plutôt en raison des performances réalisées l’an dernier et qu’il n’est pas convaincu de pouvoir rééditer?

Malheureusement, en raison des points qu’il a à défendre.

Il ne parvient pas à gérer ce phénomène de perte de points?

Non, il le gère assez bien mais cela crée de l’anxiété. Le problème, c’est qu’il manque d’expérience de son nouveau statut. Il n’est plus un jeune joueur qui arrive en pleine confiance mais bien un joueur reconnu qui doit apprendre à vivre avec sa nouvelle étiquette.

Vous estimez que le gazon est sa surface de prédilection?

Non, pas du tout. Je ne peux pas encore vous dire aujourd’hui quelle sera sa surface préférée. Pour moi, un jeune qui est encore en formation -et à 20 ans, Olivier l’est toujours- doit essayer de tenter son coup sur toutes les surfaces. Quand on a 26 ans comme Alex Corretja, on peut se concentrer sur tel ou tel type de surfaces mais, plus tôt, je trouve cela dangereux. Avec ses armes, Olivier devrait à terme être plus fort sur ciment ou sur terre battue. Maintenant, je pense que, sur gazon, comme il est très technicien, il a beaucoup d’atouts à faire valoir.

Comment l’avez-vous préparé entre Roland Garros où il a tout de même réussi un très beau parcours et Wimbledon?

La transition s’est faite de manière assez simple puisqu’il y a un changement de surface et, donc, de mentalité. Dès que l’on quitte la terre battue pour le gazon, il faut se montrer beaucoup plus offensif. A Paris, Olivier s’est contenté, si je puis dire, de contrer et de se battre. A Londres, on ne peut pas rester dans cette filière de jeu puisqu’il faut aller chercher régulièrement le point au filet. Je l’ai donc préparé en essayant qu’il aille davantage vers l’avant. En tournoi, il ne l’a fait que lors du match contre Stoliarov au Queens. Après, il a rencontré Pete Sampras face auquel il a regardé les balles passer tant le niveau était supérieur. Et, à Rosmalen, il a fait un très mauvais match face à Tommy Robredo. Match au cours duquel il s’est légèrement blessé, ce qui l’a inquiété pour Wimbledon.

Jouer contre Pete Sampras a impressionné Olivier?

Enormément!

Et vous?

Je vais être honnête, cela ne m’a pas impressionné avant le match car il s’agissait d’une rencontre comme une autre mais quand je l’ai vu sur le terrain, j’ai été obnubilé tellement son jeu est parfait. J’ai vu, pour moi, ce que j’appellerais la perfection sur gazon. Sampras, c’est ce qu’il y a de mieux. Il est impressionnant à tous points de vue : attitude, présence physique, technique. C’est magnifique. C’est la première fois que j’aurais mis 10 sur 10 à un joueur.

Au niveau du classement, Olivier est-il trop haut ou trop bas?

Au niveau potentiel, il est trop bas. Il peut encore progresser. Quant à son statut, on ne peut pas dire qu’il ait actuellement conscience de son potentiel.

Comment sont ses contacts avec les autres joueurs?

Il est très à l’aise. En fait, il s’en fout complètement. Peut-être par insouciance mais il n’a aucun problème avec ses collègues. Par contre, vis-à-vis de lui-même, il manque encore de repères. Il a encore une grosse marge de progression. Il doit avant tout progresser dans sa tête pour accepter les progrès qu’il peut encore effectuer.

Son nouveau statut l’oblige à faire des choses qui semblent l’énerver, comme par exemple signer des autographes…

Il doit faire la part des choses et gérer ces nouveautés avec professionnalisme. Mais, pour tout cela, ce n’est pas encore clair dans sa tête. La conception « Olivier Rochus qui est-il et que va-t-il devenir? » n’est pas encore fixée dans sa tête alors que, pour moi, il peut viser la trentième place mondiale. Il pourrait avoir un pic à 20 mais, sa moyenne devrait se situer à 30. Pour arriver à cela, il doit encore apporter un soin à tous les aspects de son boulot.

Quels sont les gros défauts d’Olivier Rochus?

Le plus gros défaut d’Olivier est de ne pas oser modifier ce qui est. Il n’aime pas changer ses habitudes, que ce soit techniquement ou dans d’autres secteurs de son métier. Si, dans un match, il doit tout le temps monter au filet, il aura peur de le faire car ce n’est pas son jeu habituel. Si une technique marche bien à l’entraînement, il n’osera pas toujours l’appliquer en match car le changement l’inquiète.

Il aime la routine?

Pas vraiment mais il adore la sécurité. Comme il se connaît bien, il sait a priori ce qui va se passer s’il pratique son jeu comme à l’accoutumée. Par contre, il est dans le vague s’il joue d’une autre manière. Et, donc, il aura tendance à ne pas prendre de risque. En fait, il a encore peur de l’échec, il est encore trop calculateur. Or, il doit rencontrer l’échec pour continuer à progresser.

Cette peur de l’échec ne vient-elle pas du fait que, lorsqu’il était plus jeune, il dominait sa catégorie d’âge au niveau mondial?

Ce pourrait être une explication. Mais il faut aussi savoir qu’Olivier est très intelligent. Donc, il voit très bien ce qu’il peut faire et ne pas faire. Et, en raison de cela, il ne prend pas toujours les options qui, à terme, seraient positives.

Vous en parlez avec lui?

Oui, assez souvent et c’est d’ailleurs pour cela que je me permets d’en faire écho. J’essaie de lui faire comprendre qu’il faut parfois reculer pour mieux sauter. Je suis certain que quand il osera prendre certaines décisions difficiles par rapport à la gestion de son tennis, il progressera de manière importante.

Olivier n’est-il pas davantage un joueur de tournois courts joués au meilleur des trois sets qu’un compétiteur de Grand Chelem?

C’est un peu difficile de répondre à cette question aujourd’hui. A 20 ans, il a déjà obtenu deux bons résultats en Grand Chelem (Wimbledon 2000 et Roland Garros 2001), donc, je ne peux pas affirmer qu’il est un joueur de tournois d’une semaine. Ce qui est certain, c’est qu’il adore les événements importants.

Son mental est-il influencé par les résultats de son frère Christophe?

( il rit) C’est possible, oui. Il est soumis, comme tout le monde, a beaucoup d’influences et les résultats de son frère en font partie. Mais ce n’est pas le plus important.

Cela l’ennuie de voir son frère rater des tournois? Il vous en parle?

Vous savez, Olivier ne parle pas beaucoup. Il ne me parle donc que très peu de son frère qu’il adore.

Vous voulez dire qu’Olivier est plutôt un joueur introverti?

Non, il commence à communiquer de plus en plus. Introverti, c’est autre chose. Olivier, lui, ne dit pas les choses. Il ne dit pas ce qui ne va pas.

A cause de quoi?

Modestement, je vous dirai que je suis entraîneur de tennis, pas psychologue.

Et vous, en tant que modeste entraîneur, comment vivez-vous l’accession de votre poulain aux hautes sphères du tennis alors qu’il y a deux ans, vous étiez encore directeur d’une école de tennis à Morlanwelz dans le Hainaut?

Je vais être très honnête. Certains croiront peut-être que je suis prétentieux, mais tant pis. Je suis un amoureux de la technique, du coaching. Donc, je n’ai pas conscience de ce que je fais. Je ne me rends pas compte que je suis dans des tournois majeurs, dans des tournois du Grand Chelem. En plus, je ne me sens pas vraiment concerné par le milieu de l’argent. Je suis payé par la fédération et je gagne la même chose lorsque Olivier va loin ou pas. Ce que j’adore, ce sont les problèmes tennistiques, psychologiques, tactiques. J’adore les conflits qui surgissent dans la vie d’un entraîneur. Je fais donc mon métier avec autant de passion quand je suis dans un club ou quand je suis dans un Grand Chelem. Mais, il est évident que c’est très agréable de côtoyer les meilleurs, c’est un peu comme si j’étais chef coq dans une très grande cuisine. Cela étant, le milieu ne m’intéresse pas vraiment. Quand je le quitterai, il ne me manquera pas.

Vous préférez tout de même être en train de coacher Olivier lorsqu’il joue contre Sampras que de donner cours à un C15 du Hainaut?

A mon sens, il s’agit du même travail.

D’un autre côté, avez vous beaucoup de propositions de travail?

Beaucoup, non. Il y a des joueurs avec qui je m’entends très bien et qui m’ont approché. Mais ce n’est pas à l’ordre du jour. Pour que je fasse du bon boulot, il faut que je croie dans le jeune que j’entraîne. Mais je suis persuadé que je peux trouver les mêmes plaisirs en entraînant des jeunes moins doués qu’Olivier. Le tout est que la relation soit excellente et productive.

Vous pourriez prendre en charge un jeune joueur qui vous dirait que son rêve est d’être prof de tennis plutôt que joueur professionnel?

Vous savez, être prof de tennis, ce n’est pas si agréable que cela. Alors quand, à quatorze ans, un gamin me dit que c’est son rêve, j’ai tout de même un peu de mal à lui dire de tout lâcher pour tenter d’atteindre un tel but. Par contre, s’il me dit qu’il veut être pro, alors je serai tenter de le pousser à fond car l’objectif me paraît intéressant. Ce qui ne veut pas dire que s’il ne l’atteint pas, il ne puisse pas, alors, devenir prof et malgré tout vivre du tennis. J’aurais trop peur que quelqu’un gâche sa vie à cause d’un de mes conseils.

Par contre, le coaching vous passionne. Vous pourriez en donner votre définition?

C’est vivre des relations conflictuelles et oser heurter son joueur sans avoir peur de le choquer et de le perdre.

Bernard Ashed

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