III. Retrouver l’héritage technique

Les ex-internationaux de RDA Matthias Sammer et Jürgen Sparwasser se souviennent du côté positif : la formation des jeunes.

La RDA a joué son dernier match le 12 septembre 1990, au Parc Astrid. Elle a battu les Diables Rouges 0-2, sur deux buts de Matthias Sammer (aujourd’hui âgé de 42 ans) 10.000 spectateurs à peine suivaient ce match dont l’ex-Ballon d’Or se souvient très bien. La veille, l’équipe s’est rassemblée dans un hôtel berlinois avant de s’envoler vers Bruxelles. L’actuel directeur sportif de la Deutsche Fussbal Bund raconte :  » 13 joueurs avaient répondu à l’appel. Ce n’était même pas une équipe B mais une C. J’étais tellement découragé que j’ai voulu reprendre l’avion vers Stuttgart mais il n’y avait plus de vol. J’ai téléphoné à Dieter Hoeness, le manager du VfB Stuttgart, qui m’avait engagé. Il m’a dit que je devais absolument me rendre à Bruxelles et que ce match polirait mon image internationale. Je suis heureux d’avoir obtempéré. Il s’agissait d’un match historique et j’ai inscrit les deux buts de la victoire dans le dernier quart d’heure. C’était beau mais dénué d’émotion : la Réunification avait eu lieu dix mois plus tôt et nous tentions d’oublier le passé.  »

Sammer a été formé par le Dynamo Dresde, pour lequel il a joué jusqu’en 1990. Médian, il possédait un bon bagage technique, était opportuniste, agressif et très rapide. Après la chute du Mur, il a joué pour le VfB Stuttgart (1990-1992), l’Inter Milan (1992-1993) et le Borussia Dortmund (1993-1997). Ballon d’Or 1997, Sammer totalise 23 sélections pour la RDA et 51 pour l’Allemagne réunifiée. Il a entraîné le Borussia Dortmund (2000-2004) et le VfB Stuttgart (2004-2005) avant d’entrer à la fédé pour y intégrer les aspects positifs du système de formation de la RDA.

 » Elle avait l’art de combiner sport et école « , explique Sammer.  » Il ne faut pas occulter ses motivations idéologiques mais la formation était unique. Les entraîneurs atteignaient un niveau très élevé, surtout ceux qui s’occupaient des jeunes. Tous étaient très compétents dans leur domaine : vitesse, endurance, force. Le travail était très détaillé. Mais on a fini par stagner. Il était impossible de jouer pour un club étranger et les entraîneurs étrangers ne pouvaient travailler en D1 (sauf D2, venaient essentiellement des Tchécoslovaques). Coupés des nouvelles tendances, nous étions freinés et le championnat n’était pas relevé Thomas Doll, Andreas Thom, Ulf Kirsten et moi-même avons parcouru du chemin mais nous nous entraînions trop dur. Nous arrivions au club à huit heures et en repartions à cinq heures.  »

Et les joueurs rêvaient de l’Ouest sans en parler.  » La liberté d’expression n’existait pas. Les autorités redoutaient les contacts avec l’Ouest. Une fois, le Dynamo Dresde a joué contre le VfB Stuttgart. A l’hôtel, j’ai bavardé avec Arie Haan, qui entraînait alors le VfB. Nous n’avons parlé que de football, cela n’avait rien à voir avec un transfert mais j’ai été rappelé à l’ordre et reçu une fameuse amende. Une tante et une grand-mère vivaient à l’Ouest mais je ne pouvais pas leur rendre visite. A la maison, nous discutions beaucoup de politique. Mon père (ex-international et entraîneur du Dynamo Dresde qui fut rétrogradé au rang de prof de gym dans une école maternelle après que son joueur, Frank Lipmann, s’échappa vers l’Ouest) n’était pas un partisan du système : des tas de choses ne fonctionnaient pas. Nous sommes allés en Roumanie et y avons vu des enfants mourir de faim alors qu’on nous martelait que le socialisme allait vaincre ! Puis nous avions découvert la Belgique, les Pays-Bas. Nous trouvions tout superbe mais on nous disait : -Le système de l’Ouest ne fonctionne pas. Il y avait un problème !  »

La chute du Mur a libéré Sammer, dont la vie semblait programmée : après sa carrière, il aurait eu la possibilité de décrocher un diplôme de professeur de sport et ensuite, il aurait pu être entraîneur. Mais Sammer s’est tellement hâté de signer au VfB Stuttgart qu’il s’est fait flasher au volant de sa Mercedes à 162 km/h et… a s’est vu retirer son permis ! Un peu plus tard, alors qu’on lui présentait une maison, il est tombé amoureux de la fille du propriétaire, qu’il a épousée. Pourtant, Sammer a mis du temps à s’habituer à sa nouvelle vie.  » J’ai souffert de l’estomac. C’était psychologique. Mentalement, j’étais au fond du trou. J’avais peur de l’inconnu… « 

Il constate aujourd’hui que le football de l’ancienne Allemagne de l’Est est en ruines :  » A cause du système où les clubs étaient dirigés par les autorités ou par des entreprises. Les dirigeants ne devaient jamais se demander comment ils allaient boucler leur budget : tout était réglé et adapté. Mais tout à coup, ils ont dû faire preuve de créativité. Certains clubs, comme le Dynamo Dresde, sont tombés entre les mains de personnes mal intentionnées. Mon c£ur a saigné en voyant tout ça. Mais la Réunification nous a offert ce que nous n’avions jamais eu : des perspectives. Sans elles, la vie ne représente rien. « 

Sparwasser : héros puis traître

L’international Jürgen Sparwasser (61 ans) n’a jamais eu le privilège d’enfiler le maillot d’une formation de l’Ouest. L’attaquant a joué, pour le 1. FC Magdeburg, jusqu’à 31 ans. Il a conduit son équipe à la victoire en Coupe d’Europe des Vainqueurs de Coupes en 1974, contre Milan, le favori, battu 2-0. Au terme de sa carrière, Sparwasser est devenu professeur de pédagogie à l’école de Magdeburg mais, après avoir refusé à trois reprises d’entraîner une équipe de football, il s’est retrouvé… homme à tout faire. Il ne rêvait que d’enseigner mais ne pouvait même plus assister à des séminaires ! Du coup, il a décidé de fuir et il a profité d’un match de vétérans du 1. FC Magdeburg à Sarrebruck pour rester à l’Ouest. Juste avant, sa femme avait obtenu l’autorisation de rendre visite à sa famille à Hambourg…

Sa fuite a suscité l’émoi dans le pays. Sparwasser a été considéré comme un traître et sa fille a été arrêtée et interrogée par la Stasi, menacée de perdre son emploi et sa maison.  » Je me suis alors tourné vers le quotidien Bild, qui a écrit un commentaire salé, demandant à Erich Honecker, le président de la RDA, de laisser ma famille en paix. L’article ajoutait qu’il y avait eu suffisamment de racisme pendant la Seconde Guerre mondiale, sous le régime d’ Adolf Hitler. Ma fille n’a plus jamais aperçu le moindre agent de la Stasi.  »

Sparwasser habite maintenant à Bad Vilbel, près de Francfort. Il est entré dans la légende au Mondial 1974, en inscrivant le but de la victoire 0-1, au premier tour, contre l’Allemagne de l’Ouest, à douze minutes du terme. Il a passé deux hommes avant d’envoyer sèchement le ballon dans les filets, sous le nez de Sepp Maier. Sparwasser :  » Tout le monde n’a pas jubilé, en RDA. Beaucoup supportaient l’Allemagne de l’Ouest. Le père de mon meilleur ami a même jeté sa télévision par la fenêtre quand j’ai marqué et mon père m’avait dit, avant le match, que nous perdrions 6-0. Lorsque je l’ai revu, à mon retour, nous avons eu une dispute tellement violente que j’ai demandé à ma femme de le mettre à la porte.  »

Sparwasser a refusé les nombreuses sollicitations et invitations qui ont suivi. Il ne voulait pas être le jouet d’un système dont il doutait sérieusement.  » L’entraîneur qui nous a menés à la victoire en C2, Heinz Krüger, a été rétrogradé pour avoir demandé à plusieurs reprises une augmentation pour ses joueurs. Du jour au lendemain, il s’est retrouvé à tondre la pelouse. C’est surtout pour cela que je n’ai pas voulu devenir entraîneur. Je voulais être libre de parole.  »

Comme Sammer, Sparwasser loue la formation qu’il a reçue en RDA. Le football allemand contemporain ne souffre pas la comparaison :  » Quand je vois ce qu’ils font du ballon, mon moral tombe dans mes chaussettes. Leur formation est dépassée. On a six millions d’affiliés mais les clubs de Bundesliga achètent des myriades d’étrangers. Je ne comprends pas. J’habite près de Francfort mais ne croyez pas que je sacrifie mon samedi après-midi pour assister aux matches de l’Eintracht. Je ne ferais que m’énerver. Quand je vois Mario Gomez, qui a coûté 35 millions au Bayern mais ne sait même pas contrôler un ballon. Ou Miroslav Klose, qui compte plus de 90 sélections internationales alors que sa technique est si limitée… c’est incroyable. Ils n’auraient jamais eu leur place à Magdeburg. La RDA travaillait avec des spécialistes. Ils étaient parfois trop durs ? Je n’en ai jamais eu l’impression. Evidemment, nous n’avons pas obtenu de grands succès internationaux mais la chance ne nous a pas souri non plus…  »

par jacques sys

La Réunification nous a offert ce que nous n’avions jamais eu : des perspectives.

(Matthias Sammer)

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