» ICI, ON M’APPELLE LA GIRAFE « 

L’Anderlechtois le plus précieux des derniers play-offs nous a reçus chez lui pour évoquer sa nouvelle vie outre-Manche : entre Sam Allardyce, les larmes de son père et… des gardes armés.

De retour de Dubaï où il a passé cinq jours avec son club, Cheikhou Kouyaté attend devant son building, la valise et le GSM à la main.  » Les premiers étages du bâtiment sont ceux d’un hôtel, le reste ce sont des appartements « , nous apprend-il. Et pas n’importe quel appartement. En plein milieu de Londres, Cheikhou surplombe les docks modernisés du Canary Wharf. Son lieu de vie éclairé est superbe, décoré par des objets religieux, des photos et un ballon de foot :  » On a déjà cassé des trucs ici « . Cheikhou est fatigué de son voyage, mais comme d’habitude il est souriant et prêt à évoquer pendant deux heures sa carrière.

Cheikhou, on est loin du moment où vous êtes tombé d’un arbre sur un poulet au Sénégal n’est-ce pas ?

Nooon c’est pas vrai, qui a dit ça ? C’est des mensonges (sourire). Une fois je suis tombé, ça oui, et je me suis évanoui, mais pas sur un poulet.

À Dakar, vous faisiez des matchs inter-quartiers qui ne se sont pas toujours bien terminés…

On avait une équipe très forte, avec des joueurs plus talentueux que moi, et on gagnait souvent ce tournoi inter-quartiers. Mais une fois, après une victoire, on nous a dit  » Vous n’allez pas partir comme ça ! «  donc ça a commencé à se battre, j’ai reçu une pierre sur la tête – j’en ai encore la marque – et on est vite retournés à la maison !

C’est un certain Philippe Kontostavlos qui vous permet de découvrir l’Europe avec un premier test en Grèce…

Il m’a repéré pendant un match où j’étais au top avec l’équipe nationale junior. Mon président de l’époque m’a dit :  » Ton père est malade, c’est toi qui dois le soigner. Ta mère doit arrêter de travailler à cause de toi. Donc essaie de réussir en Europe, que tes parents soient fiers de toi.  » Les tests en Grèce et en France se sont mal déroulés pour diverses raisons, et alors que Philippe m’avait fait dormir chez un inconnu où je n’osais bouger de mon canapé que pour aller aux toilettes, mon président sénégalais m’a téléphoné. Il m’a dit que j’allais partir à Bruxelles en première division, c’est mon actuel agent qui a réglé le transfert. Deux ans plus tard, je signais à Anderlecht qui m’a directement prêté à Courtai. Là-bas, il a fallu attendre un derby contre Zulte Waregem pour gagner ma place. J’ai été homme du match, j’ai gagné l’amour des supporters, c’est la première fois que des hommes me faisaient des bisous, les gens étaient fous et à partir de là je ne suis plus sorti de l’équipe. Un jour contre le Standard, on avait perdu mais j’avais bien joué donc Laszlo Böloni est venu me voir et m’a dit :  » T’as encore combien d’années de contrat toi ici ?  » –  » Je suis un joueur d’Anderlecht…  » –  » Merde !  »

Quelque temps plus tard pourtant, Philippe est revenu…

Tout allait bien, on parlait de moi, et tout à coup, à la fin d’un entraînement à Courtrai, deux gardes armés viennent me trouver avec Sven Kums en nous  » invitant  » à les suivre. Arrivés près de la voiture, ils nous poussent dedans et je vois Philippe qui commence à rire :  » Ça va, tu vas bien ?  » Je lui demande directement ce qu’il veut, il répond :  » Tu crois qu’on peut m’échapper si facilement toi ? Si tu es là aujourd’hui c’est grâce à moi  » alors qu’il s’était enfui à l’époque. On était dans la merde parce qu’il me réclamait 30 000 € pour avoir volé son ami qui m’avait hébergé, je ne lui pardonnerai d’ailleurs jamais de m’avoir accusé de vol. Dans le même temps, Coulibaly, mon grand frère, a été averti que des gens m’agressaient. Je ne pourrai jamais oublier ce moment où je le vois se mettre à courir, à taper le premier garde : bam, puis l’autre : bam. Philippe voulait arranger les choses, mais Couli s’est énervé et a dit :  » Sven et Cheik, dans la voiture ! Et vous, rentrez aussi !  » Je ne les ai plus jamais vus (rires). Le lendemain, j’ai marqué contre Roulers donc Vanhaezebrouck a plaisanté en disant qu’on allait les appeler chaque veille de match. Plus sérieusement, Coulibaly a risqué sa vie pour moi et ça je ne pourrai jamais l’oublier car les gars auraient très bien pu lui tirer dessus.

 » Hasi est l’entraîneur le plus important que j’aie eu  »

De retour au Sporting, vous avez été baladé du milieu à la défense. Est-ce que la décision d’Hasi de vous remettre à la récupération l’an dernier a changé votre carrière ?

Hasi a fait de moi le meilleur milieu de terrain. Après le premier match des PO1 perdu contre le Standard, il m’a dit qu’il allait me mettre au milieu. Il voulait que je permette à Youri d’être à la baguette de l’équipe. J’ai rigolé quand il m’a dit ça, parce qu’il voyait quelque chose en moi que je ne voyais pas, et je ne voulais pas le décevoir. Mais il me connaissait, il savait bien que quand j’étais bien physiquement, je pouvais tout donner. Et pour cela, je devais me retrouver au milieu où je bougeais plus qu’en défense. Il a pris des risques, mais chapeau, c’est l’entraîneur le plus important que j’aie eu.

Et en dehors du terrain, c’est un marrant ?

Quand tout est fini, Hasi fait la fête. Il est là avec Madame, mais il décompresse, il s’amuse. C’est quelqu’un qui aime bien faire des blagues provocantes : par exemple, si je fais une mauvaise passe, il m’envoie :  » C’est normal, tu viens du Sénégal !  » Il sait bien quand il faut blaguer et quand il faut nous crier dessus.

Avant votre départ cet été, Anderlecht a essayé de vous pousser vers Kiev en 2013, ça a été le moment le plus frustrant de votre passage en Mauve ?

C’est le seul moment où je n’ai pas été content. Si je n’ai pas envie de faire quelque chose, je ne le ferai pas, et l’Est, c’était hors de question pour moi. Je comprends que le club veuille se protéger avant tout, mais j’ai un plan de carrière depuis le début. Je suis revenu d’une opération à l’été 2013 et j’ai entendu :  » Il est où ton passeport pour aller à Kiev ?  » Je ne voulais pas m’énerver, mais je pense quand même que mon agent ne m’a jamais vu comme ça… On voulait aller  » juste  » me faire visiter les installations, mais j’ai refusé !

Vous qui aviez eu des problèmes d’argent au début de votre carrière, vous auriez pu en gagner énormément en Ukraine…

Moi dans ma tête, c’était l’Angleterre la prochaine étape. Si j’avais accepté l’argent, ça voulait vraiment dire que mon plan de carrière était complètement faux.

Quel est l’argument-choc qui vous a fait venir à West Ham ?

Avec West Ham et Valence, c’étaient des salaires que je n’avais jamais vus, j’allais pouvoir payer une maison à mes parents. Comme j’avais deux-trois mois pour faire mon choix, je suis retourné au pays. Sur place, Sam Allardyce m’appelle alors qu’il est en vacances en Espagne, il voulait me voir deux jours plus tard à Londres. Quand j’ai dit ça à mon père, je l’ai vu pleurer pour la première fois de ma vie. Il était trop content, donc j’ai pris mon billet pour Londres. Allardyce a écourtéses vacances uniquement pour moi et à Upton Park, j’ai bien compris que les dirigeants n’allaient pas me laisser partir tant que je n’avais pas signé de contrat (rires).

 » Des coups pour comprendre le jeu anglais  »

Comment se sont passés les débuts à West Ham ?

Au début j’ai reçu des coups, à l’entraînement, en match… pour comprendre ce que c’est le jeu anglais. Mais tout le monde était sous le charme, j’ai été bien accueilli par les joueurs, notamment Mark Noble ou Kevin Nolan. Ils essayaient de parler un anglais lent pour que je comprenne et si ça n’allait pas, ils appelaient Guy (Demel) ou Momo (Diamé) pour me mettre à l’aise. Ça m’a bien aidé.

Vous avez senti qu’il y avait du changement au club cet été ?

Oui beaucoup. Ils ont embauché Teddy Sheringham, un monument du foot anglais, pour s’occuper des attaquants et qui m’a notamment aidé à mieux trouver le chemin des filets. Il me répète sans cesse que le plus important, c’est de cadrer. Et puis le fait de s’offrir le stade olympique montre que le club a des ambitions. Dans deux ans, West Ham va jouer pour le Top 4 je pense.

C’est un nouveau palier dans le professionnalisme pour vous ?

Oui, on a tout ce qu’on veut à notre portée : tu veux téléphoner à ta maman, hop c’est parti, on a quelqu’un qui s’occupe de la nourriture, de payer nos factures, etc.

Au mois de juillet vous faites connaissance avec le foot anglais en recevant un tacle les deux pieds en avant, mais en août vous êtes élu joueur du mois par les supporters. Quelle transition parfaite !

J’aime les défis donc quand je suis arrivé, j’ai dit à Sam Allardyce :  » Coach, vous n’allez pas le regretter.  » Il m’a répondu :  » J’espère bien « , parce qu’il avait écourté ses vacances. Avant, à Anderlecht, quand l’entraînement était fini, je repartais. Ici ça a changé : avant l’entraînement chez moi je fais des abdos, de la musculation et quand je reviens c’est pareil, maintenant je travaille plus. Mon premier match amical pour West Ham, j’ai été élu homme de la rencontre par les supporters. Et la première journée de championnat, c’était directement un derby contre Tottenham…

C’est vrai que vous avez demandé qu’on vous pince pour y croire ?

Oui oui je n’y croyais pas, je n’entendais rien du tout, j’étais concentré. Et ce jour-là, je termine de nouveau homme du match. Beaucoup de gens ont pu me dire que mon rêve était impossible, moi j’y ai cru, et dès ce moment contre Tottenham, c’est devenu un rêve à vivre. Mais je ne suis pas en Angleterre juste pour dire que j’y suis, il y a déjà des joueurs de D1 belge qui sont venus et sont vite repartis… Ici les Anglais ne sont pas là pour attendre, si tu fais 2-3 mois sans bien jouer, ils cherchent déjà un remplaçant.

 » Au Sénégal, on parlait de Rooney en rêvant  »

À Anderlecht, un jour qu’un journaliste vous parlait d’Angleterre, vous aviez dit  » Imaginez : jouer contre Rooney…  » C’est désormais fait et vous lui avez même mis un superbe but !

Il y a huit ans au Sénégal, on parlait de Rooney en rêvant, et là il est réalisé ce rêve. En plus, j’ai failli donner la victoire à mon équipe… Par contre, je n’ai pas parlé avec lui à la fin du match parce que mon anglais n’est pas top, j’ai échangé mon maillot avec Marouane Fellaini (sourire).

Comment est la vie à Londres ?

Je ne sors pas beaucoup parce que je ne connais pas bien. Mais quand il fera beau, on va aller voir les grands sites touristiques de la ville. J’ai par contre été touché par l’accueil des gens ! Je n’ai jamais vu ça de ma vie : je ne parle pas anglais, mais ils sont prêts à m’aider si j’ai un problème… Pourquoi les Anglais sont comme ça ? Bruxelles ne me manque pas en tout cas.

Et au niveau de la nourriture, on s’habitue à l’Angleterre ?

On a un chef cuisinier au club et à l’appartement, la maman de Diafra Sakho nous fait à manger, on est bien. En plus elle nous fait de la nourriture sénégalaise, ce qui nous fait dire que le pays ne nous manque pas (rires).

Vous avez une belle anecdote à raconter à propos de Londres ?

La voiture que le club m’a donnée n’a pas roulé 10 minutes sans avoir son premier accident, à cause de la droite et la gauche (rires). Dieu merci j’ai pris un trottoir vide, mais les roues étaient explosées.

Quel est le stade le plus impressionnant que vous ayez vu depuis vos débuts en Angleterre ?

Liverpool. Je n’avais pas joué mais Anfield était magnifique, là j’ai vraiment vu ce que c’était la Premier League. Mais Upton Park, un jour de derby, c’est fantastique. Parfois je me débrouille pour avoir des places, mais un jour mes amis avaient boudé parce qu’ils étaient tout le temps bousculés. Malheureusement je ne peux pas faire mieux, c’est tout le temps rempli…

 » Ici, les journalistes ne lâchent rien  »

On s’habitue aux tabloïds anglais ?

Sincèrement je n’écoute pas ce qui se passe. Ma vie privée, je n’en parle pas, je me protège un peu des journalistes, je les laisse parler, je sais que je ne suis pas un gars à draguer donc c’est bon… À côté de ça, les journalistes sportifs ne lâchent rien du tout : ils sortent les statistiques de passe, de course, ils mettent la pression, etc. C’est abusé, mais moi j’aime bien ça !

Vous avez déjà fait votre première interview en anglais ?

Avant un match, oui. C’était marrant, j’avais un peu peur de ne pas comprendre les questions, j’ai d’ailleurs demandé qu’ils répètent, ça les faisait rigoler (sourire). Mais il faut le faire sinon je ne vais jamais m’en sortir.

La bête, la grande tige, Pape, Yadel, le caméléon, box-to-box, Papis, le monstre, l’échassier, le caméléon… Vous avez de nouveaux surnoms en Angleterre ?

Ici le coach m’appelle La Girafe, il dit que j’ai tout le temps la tête dans le box (rires).

PAR ÉMILIEN HOFMAN À LONDRES – PHOTOS : BELGAIMAGE / IK ALDAMA

 » La voiture que le club m’a donnée n’a pas roulé 10 minutes sans avoir son premier accident, à cause de la droite et la gauche (rires).  »

 » A Courtrai, deux gardes armés viennent me trouver avec Sven Kums en nous  » invitant  » à les suivre… « 

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