Ici, la terre…

Le coach de Christophe Rochus analyse les possibilités de nos représentants sur la surface de Roland Garros.

La saison sur terre battue commencera le 9 avril à Estoril et Casablanca. Par tradition, les Belges adorent cette surface qui n’est pas forcément celle sur laquelle ils obtiennent leurs meilleurs résultats. Julien Hoferlin, coach de Christophe Rochus et entraîneur actuel de l’équipe de Coupe Davis, évoque les relations qu’entretiennent nos représentants avec cette surface.

Pourquoi les joueurs belges choisissent-ils systématiquement la terre battue lorsque la Belgique reçoit en Coupe Davis?

Julien Hoferlin: Si on prend les joueurs individuellement, on constate que les meilleurs belges ont souvent été plus performants sur terre battue que sur d’autres surfaces. Et puis, il faut ajouter que l’on choisit souvent la surface en fonction aussi des adversaires.

Vous pensez réellement que la meilleure surface des frères Rochus et de Malisse est la terre battue?

Non, pour moi, c’est le dur. Ils ne sont pas super puissants et ils éprouvent donc parfois des difficultés lorsque les balles rebondissent, comme sur terre, à hauteur d’épaules. Ils sont plus performants sur dur que sur terre car ils sont tous les trois vifs et explosifs, même s’ils n’ont pas spécialement l’arme principale du dur qui est le service. Leur meilleure surface est le dur extérieur, comme à l’Australian Open, Miami ou Indian Wells. Pourquoi extérieur? Parce que les conditions de jeu extérieures perturbent les grands serveurs.

N’y a-t-il pas un aspect psychologique qui veut que, étant nés sur terre, les joueurs belges pensent souvent que cette surface est forcément la leur?

Si, bien sûr. La Belgique est cependant un pays mixte là où l’Espagne, par exemple, est une nation uniformisée sur la terre et les Etats-Unis sur le dur. Ici, on est obligé de jouer sur dur en hiver en raison des conditions climatiques et sur terre en été car 90 % des terrains extérieurs sont en terre. Mais notre culture est effectivement une culture terrienne. L’éducation tennistique est elle aussi terrienne, ce qui influence bien évidemment la manière d’entraîner, de donner cours.

Quels inconvénients sont générés par l’entraînement quasi exclusif sur terre battue?

Cela limite le joueur dans un seul type de jeu. Aussi bien au niveau des trajectoires de balle, des choix tactiques, des options sur les échanges courts, etc. Il y a toujours moyen de tout faire sur terre mais c’est aussi plus facile. Par contre, si un joueur s’entraîne sur une surface ultra-rapide, c’est forcément la filière pure du dur qui sera exploitée mais, sur rapide, le joueur n’a pas le choix parce que cela va trop vite.

Pouvez-vous expliquer les différentes filières?

Sur terre, au niveau mental, on fera plutôt appel au courage, à la lutte totale car le match n’est jamais fini, que le physique peut faire pencher la balance. Sur dur, il faut faire appel à la concentration car tout se joue en très peu de temps. Au niveau tactique, il faut de la patience sur terre alors que sur rapide, les échanges ne font que deux ou trois frappes. Techniquement, les trajectoires sont tout à fait différentes. Sur terre, elles sont bombées, les balles doivent gicler et rebondir très haut. Sur dur, par contre, on joue beaucoup plus près de la ligne de fond, on entre dans le terrain et on essaie de créer des trajectoires beaucoup plus tendues.

Une des grandes caractéristiques de la terre réside probablement dans la glissade, qui n’est pas possible sur d’autres surfaces. Estimez-vous que l’on travaille assez cette glissade?

Le jeu de pied et de cheville est effectivement très important sur terre car, sans cela, le sportif ne sera pas capable de glisser convenablement. Si on prend un gars comme Réginald Willems sur terre, c’est Holiday on Ice. On doit donc beaucoup travailler la glissade. En Belgique, Dominique Monami-Van Roost et Sabine Appelmans ne savaient pas très bien glisser et elles n’ont pas obtenu leurs meilleurs résultats sur terre, ce qui est logique. Filip Dewulf, par contre, glisse à merveille et s’est hissé en demi-finale de Roland Garros.

Mais apprend-on suffisamment à glisser?

Maintenant, oui car on accepte les appuis ouverts en coups droits et même en revers. Un appui ouvert veut dire qu’en coup droit, le pied droit est devant et, en revers, le pied gauche. Traditionnellement, les appuis étaient pris sur le pied gauche en coup droit et le pied droit en revers. Avec les appuis ouverts, le joueur est quasiment face au filet tandis qu’avec les appuis fermés, il était perpendiculaire. Or, avec un appui ouvert, il faut glisser quand on joue sur terre. Mais ce n’est pas le tout de dire qu’il faut glisser. Il ne faut pas commencer à glisser trop tôt, ni trop tard, ni avec la jambe tendue. Et puis, après la glissade, il faut penser à la frappe. Si les Espagnols sont si forts sur terre, c’est parce qu’ils savent glisser. Ce qui est logique vu qu’ils jouent douze mois par an sur terre.

Il est plus difficile de passer du dur à la terre ou l’inverse?

L’inverse en raison, justement, de la spécificité du jeu de jambes.

Le fait que la Belgique soit un pays de la terre explique-t-il que l’on ait très peu de grands serveurs?

A mon avis, oui. Mais j’ai aussi l’impression que si les Belges avaient plus évolué sur dur, on aurait peut-être perdu des joueurs. Prenons le cas de Bart Wuyts: s’il avait dû jouer toute sa jeunesse sur dur, il aurait peut-être arrêté le tennis parce que ce n’est pas si agréable que cela de s’entraîner sur rapide. Si le joueur aime transpirer, se battre, le jeu sur rapide n’est pas très grisant.

Outre les exceptions que sont Dick Norman, Arnaud Fontaine et Gilles Elseneer, peut-on dire que les meilleurs belges sont des joueurs de fond?

Oui, sans aucun doute.

Que peut-on faire pour changer cela alors que 75 % de la saison internationale se joue sur d’autres surfaces?

Si j’étais responsable de ce secteur, je dirais que c’est beaucoup mieux de construire des terrains en dur. Pas uniquement pour que les pros puissent s’améliorer mais surtout parce que le dur est plus facile à gérer: il n’y a pas de terre battue dans le club-house et le terrain demande moins d’entretien. Cela étant, si la surface est trop rapide, on ne sait pas très bien travailler non plus. Il faut, je pense, dissocier les pros et les non pros. Pour les premiers, il y a moyen de préparer le joueur en fonction des tournois à venir. Nous avons maintenant en Belgique un nombre de plus en plus important de terrains qui ne sont pas en terre. Par contre, d’une manière plus générale, je ne sais pas si la fédération doit, comme cela a été fait en France, prendre une option pour que les clubs construisent plus de terrains durs extérieurs. Quelques saisons plus tard, les Français ont constaté qu’ils n’avaient plus de spécialistes de la terre battue et ils ont fait marche arrière.

Un des autres avantages de la terre est son côté non traumatisant.

Il y a moins de traumatismes au niveau des genoux mais, par contre, les matches sont souvent plus longs, ce qui peut engendrer des problèmes au niveau des ligaments, qui sont soumis à rude épreuve en raison des glissades et des fins de course qui se font souvent jambe tendue.

Pour vous, quel a été le meilleur joueur belge sur terre battue?

On pourrait hésiter entre Wuyts et Dewulf mais c’est ce dernier qui est le plus fort sur terre. Remettons les choses dans leur contexte. Ce que Bart a réussi, c’est vraiment admirable. Mais avec Filip, il y avait le résultat et la manière. Lui, il gagnait vraiment ses matches. Il jouait vite et sortait l’adversaire du court. Et puis, il a été en demi-finale de Roland Garros, ce qui constitue la plus belle performance du tennis masculin belge.

Chez les joueuses, a priori, je dirais que c’est Justine Henin qui présente les caractéristiques les plus typiques de la terrienne. Avec ses trajectoires de balle et la variété de ses coups, c’est certainement elle qui a le plus gros potentiel sur terre. A l’inverse, Kim Clijsters est capable de briller aussi sur cette surface car elle applique sa tactique de dur sur toutes les surfaces. Et, parfois, cela peut fonctionner comme ce fut le cas avec Pierce l’an dernier à Roland Garros.

Le grand public a parfois tendance à considérer les joueurs de terre comme étant des remballettes.

Il y a eu une génération de lifteurs qui manquaient de force de pénétration, de puissance. Je pense à l’époque de Wuyts, Tulasne ou des Suédois. Maintenant, c’est terminé. Les grands joueurs de terre sont des attaquants du fond, ils sortent leurs adversaires du terrain et jouent vers l’avant. Les vrais crocodiles ont disparu. Ces crocodiles ralentissaient le jeu, ce qui n’est plus possible aujourd’hui en raison du nouveau matériel et des capacités physiques des tennismen.

Justine Henin a gagné Roland Garros chez les Juniors. Peut-on imaginer une victoire dans le tournoi des Seniors?

Oui, certainement. Vous savez, Justine et Kim vont souvent arriver tranquillement en huitièmes de finale. Après, il restera trois ou quatre matches à gagner. Et, là, tout sera possible. La grande différence entre la génération actuelle et la précédente, c’est que quand Sabine Appelmans et Dominique Monami-Van Roost arrivaient en quarts, c’était exceptionnel.

Bernard Ashed

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire