« ICI, JE SUIS LORIS ET PAS LE FILS DE DANTE »

Loris Brogno explose au Sparta Rotterdam et compte bien faire parler de lui en Eredivisie.

Deux journées d’Eredivisie et Loris Brogno a déjà fait parler de lui, et de quelle façon ! Flash-back sur une quinzaine où les événements se sont précipités. Dimanche 7 août, premier match de la saison au  » Kasteel « , le nom de la vieille enceinte du Sparta Rotterdam. Le plus vieux club professionnel des Pays-Bas, fondé en 1888, vient de retrouver l’élite après six années passées au purgatoire et la foule est présente en masse. Il n’y a plus une place libre. D’autant qu’en face, c’est le grand Ajax qui a fait le déplacement.

Pour Loris Brogno, le jour J est arrivé. Lui qui a quitté la Belgique par la petite porte il y a un peu plus d’un an, après la faillite de Mons, va pouvoir découvrir les délices de l’élite hollandaise, son jeu rapide porté vers l’offensive et aussi… la lutte pour le maintien. Car malheureusement, l’ancien club de Louis Van Gaal n’a pas d’autres ambitions cette saison. Au final, ce sera une défaite 1-3 et le sentiment d’avoir appris.

Samedi 13 août : déplacement à PEC Zwolle. Pas le match le plus sexy de la saison en perspective mais les hommes d’Alex Pastoor ont répondu à l’attente et le Carolo a éclaboussé le match de sa classe : 0-3 et un doublé pour l’artiste. Rencontre à Rotterdam avec le fils de Dante.

LES COMPLIMENTS DE RONALD DE BOER

 » Loris Brogno m’a tapé dans l’oeil à l’occasion de ce match. Je crois que c’est un joueur qu’il va falloir suivre dans les mois qui viennent. Il a le sens du but, du sang-froid et une bonne technique. C’est intéressant.  » Déclaration de Ronald de Boer, ancien international hollandais et consultant de luxe de Fox TV, la chaîne qui retransmet tous les matchs.

Voilà de jolis compliments pour un jeune élément qui a dû supporter l’étiquette de  » fils de Dante Brogno  » en Belgique avant même d’avoir joué. Et pourtant, cela n’a jamais dérangé Loris Brogno, qui porte le numéro 7 depuis le début de la saison et qui évolue sur le flanc droit, bien qu’il soit gaucher.

C’est l’une des autres particularités du Sparta Rotterdam, qui n’a pas cédé aux sirènes de la médiatisation ni de la vente des maillots en masse. Ici, chaque joueur aligné au coup d’envoi, reçoit une vareuse floquée d’un numéro allant de 1 à 11. Les réservistes de 12 à 18. Basta.

Depuis son arrivée, Loris Brogno avait le 11, comme son papa durant sa carrière mémorable au Sporting de Charleroi. Aujourd’hui, puisqu’il est passé sur l’autre versant de la

pelouse, le coach lui a donné un autre chiffre.

Beaucoup de gens étaient venus le soutenir à l’occasion de ses grands débuts en Eredivisie, nous y compris : Beverly, sa compagne, Esther et Chloé, sa maman et sa soeur, Antonio, son grand-père paternel et Quentin, son ami de toujours rencontré sur les bancs de Saint-Joseph.

Plus loin, dans un autre bloc, on retrouvait Chendo, le neveu d’Esther, Mélanie, Justine et William, plus un groupe de fanatiques du RFC Liège qui a fait le voyage en guise d’affection envers Dante Brogno, le coach de leur club.

Lui, d’ailleurs, n’était pas là et il enrageait. Au même moment, son club disputait le deuxième tour de la coupe de Belgique contre Warnant. Il n’allait pas pouvoir effectuer non plus le déplacement à Zwolle en raison du tour suivant de l’épreuve.

STAR PENDANT 48 HEURES

A quelques mètres de notre siège, le  » kop  » de l’Ajax était en ébullition. Plus encore quand un jeune homme haut comme trois pommes passa devant nous en compagnie de ses parents. Tout de suite reconnu, les  » Younes, Younes  » fusèrent des tribunes. Il s’agissait d’Amin Younes, international espoir allemand et joueur de l’Ajax actuellement blessé.

S’ensuivirent alors des dizaines de selfies, de dédicaces, d’accolades et une file d’attente de dix mètres se forma au premier rang de la tribune. L’unique goal du Sparta face à l’Ajax avait été inscrit par RyanSanusi, l’autre Belge de l’étape. Ce fut le dur apprentissage de l’élite pour Loris Brogno, qui a pourtant livré une bonne prestation.

Il avait été l’un des seuls joueurs du Sparta à amener le danger, notamment trois phases arrêtées obtenues après s’être fait sécher à l’entrée du rectangle. Nous l’avions ensuite retrouvé longuement dans la  » spelersroom  » en famille.

 » C’est une défaite logique « , disait-il.  » Je pense que nous n’avons pas été ridicules contre une équipe qui luttera pour les deux premières places, comme d’habitude. Ce n’est de toute façon pas dans ce genre de match que l’on doit prendre des points. Je crois que les supporters ont apprécié notre comportement. Nous n’avons pas baissé les bras, même quand l’Ajax a ouvert le score après moins de cinq minutes. Mais il y a encore du pain sur la planche, c’est clair.  »

Une semaine plus tard, le succès conquis en déplacement confirme que le Sparta n’a pas été trop marqué par la défaite initiale et qu’il ne sera pas non plus un oiseau pour le chat. Et Loris Brogno a pu savourer, de façon brève dit-il, son statut de  » star « .

 » Oui, disons que j’ai été une star pendant 48 heures « , glissait-il en riant.  » Et il est clair que recevoir de tels compliments, c’est franchement agréable. Mais l’important, c’est de durer. Et en ce qui nous concerne, nous devrons nous imposer à domicile lors du troisième match contre Go Ahead Eagles. Si nous y parvenons, alors nous aurons réussi notre entrée en matière dans la division.  »

PELOUSE SYNTHÉTIQUE

Au Sparta Rotterdam, les joueurs évoluent sur une pelouse entièrement synthétique de la toute dernière génération. Ce qui permet aux joueurs de s’entraîner en permanence dans leur stade et pour Loris, c’est du pain béni avec son jeu technique et vif.

 » C’est en effet un atout non négligeable pour moi. En Belgique, il n’y a que Saint-Trond qui évolue sur un terrain semblable alors qu’aux Pays-Bas, c’est plus fréquemment le cas. Personnellement, j’adore parce que cette surface est si récente qu’elle ne cause aucun dommage aux articulations. Je m’éclate ici. La pelouse est systématiquement arrosée pour que le jeu soit encore plus rapide et le fait que nous nous entraînons sur ce terrain nous permet d’avoir d’excellents repères.  »

On sent le jeune homme épanoui. La présence de sa compagne n’y est pas étrangère non plus et même s’il a désormais trouvé ses marques dans cette ville très étendue et dont le port est l’un des plus importants du monde, il revient néanmoins à Charleroi dès qu’il a un jour de congé pour passer du temps en famille.

 » Je vis dans un quartier très calme appelé Charlois dans le sud de la ville. Notre appartement donne sur l’eau, c’est d’une quiétude absolue et c’est important que nous soyons dans un environnement où l’on se sente bien. Ce ne fut pas tellement le cas à Lommel, où il n’y avait pas grand-chose à faire ou à voir dans le coin. Aujourd’hui, je commence à maîtriser le néerlandais et c’est aussi un sacré avantage.  »

L’autre avantage pour lui, c’est qu’aux Pays-Bas, personne ne sait qui il est ni qui est son père. Pour lui, c’est une fierté mais il ne voulait pas non plus que ce soit un fardeau et que des comparatifs maladroits pleuvent.

 » Je suis heureux qu’on le laisse tranquille avec tout cela et qu’il puisse jouer à un aussi bon niveau « , glisse Antonio, le papa de Dante et Toni Brogno.  » Au Sparta, Loris s’est fait un prénom et on ne le juge pas pour rien. Il gagne bien sa vie et est bien dans sa peau. Pour moi, c’est le plus important.  »  »

 » Ici, personne ne connaît mon père. Je me suis forgé tout seul et c’est aussi une victoire pour moi parce que je pense que je n’aurais pas été jugé de la même façon en Belgique « , embraie Loris.  » Attention, je ne renie rien. Je suis fier de ce que mon père a réalisé et sans son soutien, je n’en serais certainement pas là. Mais je pense qu’il est important pour moi d’avoir pu me révéler loin des regards, des rumeurs et des sous-entendus.  »

L’ANTWERP HOLLANDAIS

Tout n’a toutefois pas été tout rose pour le jeune homme quand il évoluait en Belgique.  » J’ai joué une rencontre en équipe première à Charleroi, contre le Cercle Bruges, mais c’était un match remis et le club n’avait pas eu d’autres choix que d’aligner des jeunes. On ne comptait pas sur moi et je suis alors parti à OHL, puis à Lommel. L’épisode montois est alors arrivé. Je m’y plaisais mais le club a été déclaré en faillite.

Quelques joueurs ont quitté le navire mais moi j’ai choisi de jouer jusqu’au bout, même en n’étant plus payé. SébastienStassin, qui travaille au syndicat des joueurs et qui est mon agent, m’a alors aiguillé vers le Sparta Rotterdam. J’ai rencontré LéoBeenhakker, qui était encore le directeur général du club. Il m’avait vu jouer et m’a dit qu’il croyait en moi. Quand un monsieur qui a coaché le Real Madrid et l’Ajax vous dit ça, ça fait réfléchir…

J’ai donc signé tout de suite et je ne l’ai jamais regretté. La saison dernière, j’ai marqué 16 buts et délivré 12 assists en D2 et le club a gagné le droit de retrouver l’Eredivisie après six ans d’attente. Pour les supporters, cela a été un grand moment et moi, en tant que joueur pro, c’est l’un des faits marquants de ma jeune carrière. La fête a été fabuleuse.

Le Sparta Rotterdam, c’est un peu l’Antwerp hollandais. Un vieux club, qui joue dans un stade historique et dont les supporters sont très fervents. C’est le club populaire de la ville à côté du grand Feyenoord, qui est plutôt l’entité de la bourgeoisie. Et entre les deux, il y a une énorme rivalité. Comme entre le Standard et le RFC Liège, en somme, pour rester dans les comparatifs.

Lors du dernier match de la saison passée, nous devions gagner pour être promus. L’adversaire était Jong Ajax. J’ai inscrit le but d’ouverture et nous avons longtemps mené 1-0 mais voilà qu’à la 85e minute, les visiteurs ont égalisé. Je me souviens du froid glacial qui a soufflé sur le terrain. L’espace de quelques secondes, on s’est dit ‘Mince, ce n’est pas encore pour cette année…’ Puis, à la 89e et la 92e, dans un engouement indescriptible, nous avons mis deux goals et gagné notre accès à l’élite.  »

CHOUCHOU DU PUBLIC

En 2015-16, Loris a donc explosé les compteurs mais la question d’un transfert ne s’est pas posée en fin de saison. Il avait envie de continuer l’aventure au Sparta.  » Ce club m’a accordé une chance magnifique et je lui suis redevable de quelque chose. Et puis, le coach Alex Pastoor croit en moi. Je sens que j’ai beaucoup progressé depuis quelques mois.

J’ai toujours été attiré par le but adverse, ce qui fait que j’ai un jeu porté vers l’avant, dans la verticalité. Mais mon capital-confiance a gonflé aussi. Je prends des responsabilités et ça me plaît. Le coach sait que je peux apporter quelque chose à l’équipe en débordant sur le flanc, par un centre, une accélération ou un tir, et il me laisse une grande marge de manoeuvre. Je me sens libre sur le terrain et heureux dans la vie.  »

Et Charleroi dans tout ça ?  » Cela reste ma ville, j’y ai toute ma famille et le Sporting est le club de mon coeur. Je suis ses résultats et son maillot ne me laissera jamais indifférent mais en football, on ne peut jamais prédire ce qui va se passer. Un retour n’a jamais été à l’ordre du jour mais bon… Au Sparta, je suis le chouchou du public, cela a son charme.  »

Au Sparta Rotterdam, Loris Brogno ne laisse effectivement pas indifférent. Il est adulé par les fans, qui l’applaudissent chaudement à chacune de ses accélérations. Avant la rencontre face à l’Ajax, nous avions discuté avec MarkHortsen, un jeune quadragénaire qui est abonné au club depuis de longues années et qui a été surpris par l’éclosion du jeune Carolo :

 » Personne ne le connaissait quand il est arrivé ici mais il s’est rapidement adapté au point de devenir l’un de nos meilleurs joueurs. Loris Brogno est le ‘smaakmaker’ de notre équipe. Dans le 4-3-3 que prône notre coach, il est indispensable et je suis convaincu qu’il sera très bon en D1 aussi. Il est appelé à grandir.  »

Pendant l’interview, Esther, sa maman, tourne la tête à quelques reprises et regarde son fils avec fierté. Pour elle, le foot, c’est devenu une habitude quasi quotidienne.  » Vous savez, entre la carrière de Dante comme joueur puis désormais comme entraîneur, et celle de Loris, j’ai toujours été aux quatre coins de la Belgique pour regarder des matchs. Ma fille a désormais arrêté les compétitions de patinage artistique et dans un sens, ça me permet de souffler un peu « , glisse-t-elle doucement.

La famille Brogno est soudée et désormais, après les carrières de Dante et Toni, c’est Loris qui fait résonner le nom de famille haut et fort. Pour Antonio, c’est une fierté bien entendu.  » Toni a une petite fille qui ne jouera pas au foot. Le fils de David, mon autre garçon, a arrêté le foot alors qu’il avait quelque chose. Les espoirs sont désormais entièrement sur les épaules de Loris.  »

A moins qu’une troisième génération de Brogno ne voit le jour ? Conçue à Rotterdam ou ailleurs en Europe…

PAR DAVID DUPONT – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Il est important pour moi d’avoir pu me révéler loin des regards, des rumeurs et des sous-entendus.  » – LORIS BROGNO

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire