» Ici, je suis connu et respecté par tout le monde « 

Rencontre avec le Ninja de l’AS Rome qui parle exile, Rome, Totti, Indonésie mais aussi et surtout Diables Rouges.

Il est un peu plus de 23 heures. Les catacombes du Stadio Olimpico sont noires de monde. D’un côté, des journalistes descendus à la pêche aux déclarations, de l’autre une trentaine de fans de la Roma gagnants d’un package vip patientent dans l’attente d’une photo-souvenir avec leurs préférés. Radja Nainggolan est de ceux-ci. Parmi les maillots giallorossi tendus, plusieurs portent le numéro 44 du dernier transfert hivernal romain.

A 25 ans, Nainggolan est aujourd’hui un joueur qui compte en Série A. A la Roma, le joueur et l’homme font l’unanimité. Ailleurs aussi. Croisé à la sortie des vestiaires, Omar Kaddouri, Bruxellois de 23 ans qui évolue aujourd’hui à Torino, est élogieux.  » Ce que réalise Radja, c’est impressionnant, c’est un exemple.  »

Une demi-heure plus tôt, la Roma inscrivait dans les arrêts de jeu le but victorieux (2-1) face au club turinois et enchaînait un 20e succès cette saison en championnat, de quoi consolider encore un peu plus sa 2e place derrière la Juve. Radja sort enfin des vestiaires et laisse admirer sa dernière oeuvre capillaire façon  » gratte tête senshi « .

Les fans se l’accaparent et multiplient les selfies en sa compagnie pendant une dizaine de minutes. Le lendemain (lisez mercredi 25 mars), notre international est attendu en compagnie du reste de l’équipe, du président américain, James Pallotta et du Maire de Rome, pour une conférence de presse exceptionnelle.

But de la manoeuvre : la présentation du futur stade de la Roma ; une enceinte de 52.500 places inspirée du Colisée dont l’inauguration est prévue pour la saison 2016-2017. Radja Naingolan est une des pièces angulaires de l’ambitieux projet romain. Quelques heures après cet étalage de charme et de puissance, notre interlocuteur nous reçoit dans son appartement à quelques kilomètres au nord du centre historique de la ville éternelle. En toute simplicité mais avec fermeté…

En Belgique, tout le monde n’a peut-être pas conscience de ta popularité. Estimes-tu être aujourd’hui une star en Italie ?

En Italie, peut-être… Mais en Belgique, il n’y a personne qui me connaît, sûrement parce que je n’ai jamais joué en D1. Je suis parti très jeune à l’étranger, à 17 ans, je me suis construit seul.

Construit en tant qu’homme également ?

Bien sûr. Je suis devenu  » homme  » plus tôt que si j’étais resté en Belgique. J’ai dû me débrouiller seul.

Pourquoi émigres-tu si jeune vers l’Italie ?

Car j’avais besoin d’argent pour la famille.

Tu te souviens de ton premier contrat ?

Oui, je gagnais 1400 euros. Pour moi et pour la famille, c’était beaucoup. Donc je n’ai pas hésité à partir. Une grosse partie de l’argent que j’empochais, je le versais à ma mère. Aujourd’hui encore, j’essaie d’aider un maximum de personnes, la famille, les amis. Je leur achète des billets d’avion, je les héberge, je n’ai pas changé même si la situation est plus facile. Et je ne pense pas que je changerai.

Comment ça se passe pour toi à ton arrivée à Piacenza, ton premier club italien ?

J’étais dans une sorte de centre, dans un appartement avec d’autres joueurs où l’on était surveillé par un éducateur. Il fallait se réveiller au plus tard à 9 h du mat’, faire le petit déjeuner et rentrer pour 22 h max. Mais aujourd’hui, je peux dire que partir si tôt était la bonne décision car on gagne en maturité, on comprend les choses de la vie. A 17 ans je suis parti, à 21 j’étais en Serie A ; je peux être fier de mon parcours.

Aujourd’hui on te considère comme un gladiateur en Serie A. A quel point t’es-tu métamorphosé en Italie ?

Je suis costaud de nature mais à mon arrivé j’étais encore un petit, je ne faisais que 65 kg. Désormais, j’en suis à 83 kg. Et tout ça sans produits (il rit).

 » Tactiquement, le Calcio est au-dessus du lot  »

Comment décrirais-tu ton jeu ?

Je suis quelqu’un qui peut récupérer les ballons, qui a une bonne technique, et qui veut toujours aller de l’avant.

Rudi Garcia dit de toi que tu as  » tout « .

Mais en Belgique, personne ne sait ça…

Tes équipiers chez les Diables semblent en tout cas s’en rendre compte puisqu’ils sont souvent très élogieux à ton propos.

Peut-être qu’ils regardent le championnat italien… Je me dis parfois que beaucoup de joueurs qui débarqueraient ici ne joueraient pas car le foot italien est vraiment très difficile, très tactique. Peut-être qu’ailleurs le foot est plus beau à voir mais tactiquement aucun championnat n’est autant pointu qu’en Italie. Ce qui explique notamment pourquoi la Squadra a remporté la Coupe du Monde en 2006 avec une équipe  » normale « .

Tu as appris à être fort tactiquement ?

Oui, car j’ai été formé ici. Ça fait près de dix ans que je suis ici. C’est rentré dans la tête.

Tu as souvent revendiqué ton attachement à la Sardaigne ?

C’est normal d’autant que ma femme est de Cagliari. Et jouer pour une île, c’est particulier. Dans n’importe quel recoin on te reconnaît et les gens te font comprendre que tu as énormément de responsabilités. Le 6 avril, je retourne avec la Roma à Cagliari. Ce sera un match spécial, difficile pour moi d’autant que mon ancien club n’est pas dans une bonne passe. Je suis aussi un peu nerveux de l’accueil que mes ex-supporters vont me réserver même si je pense que ça se passera bien. J’ai toujours donné tout pour ce club.

Le fait de signer à l’AS Rome cet hiver a changé le regard des gens à ton propos ?

Être à Rome, c’est évidemment autre chose d’autant que l’on jouera peut-être la Ligue des Champions l’an prochain. Mais personnellement, je ne suis pas meilleur qu’il y a trois mois quand je jouais pour Cagliari.

 » Totti, un vrai champion et un bon mec  »

Tu t’attendais à être titulaire directement chez le deuxième d’Italie dans une équipe bien en place ?

Quand je suis arrivé à Rome, j’étais tranquille, je me disais que j’avais cinq mois pour m’intégrer et que j’abattrais mes cartes la saison prochaine. Mais le coach, Rudi Garcia, m’a mis directement dans le onze et hormis face à la Lazio, j’ai tout joué depuis. Le coach me donne beaucoup de confiance.

Jouer avec une légende comme Totti ça fait quoi ?

C’est un rêve d’enfant que je réalise. Quand je suis arrivé à Piacenza, Totti était une star, un intouchable et maintenant je joue avec, je partage le vestiaire avec lui. Mais au-delà d’être un vrai champion, c’est un bon mec.

En quoi ?

Il a 37 ans mais si tu l’observes, il donne encore le maximum. Et puis, il ne joue pas pour lui mais pour l’équipe. Il est respecté par tout le monde. C’est Totti quoi…

Pourquoi choisis-tu l’AS Rome alors que la presse a évoqué de l’intérêt de la Juve, de Milan et même du PSG ?

Paris, ce n’est pas vrai, simplement des racontars de journalistes. Je pense que la Rome était, vu mon profil, le meilleur choix. Et puis, le club a de grands projets avec ce nouveau stade notamment. Je savais aussi que je pourrais être important au milieu de terrain.

A la Juve, à Milan, c’eût été différent ?

C’est souvent les mêmes joueurs qui jouent dans ces clubs, surtout à la Juve. Mais c’est clair que c’est une grande équipe, la meilleure d’Italie.

Tu as discuté avec la Juve ?

Oui, la saison dernière, j’avais refusé de signer là-bas. Je pensais que c’était trop tôt pour moi, je ne jouais que depuis un an et demi à Cagliari.

 » Tout est réuni à la Roma  »

Les supporters qui t’acclament à ton arrivée à l’aéroport de Rome démontrent l’importance que tu as acquise en Italie.

Où que je bouge en Italie, que ce soit à Naples, à Florence, à Milan, tout le monde me reconnaît. Si je marche dans la rue en Belgique, je passe inaperçu.

Et pourtant ton look, ton côté fashion-victim, tes tatoos, ne t’aident pas à passer inaperçu.

C’est l’Italie qui m’a transformé. Ici, on fait très attention à la mode, beaucoup d’Italiens sont tatoués. Hormis les Musulmans, tout le monde a, par exemple, un tatouage dans l’équipe.

Tu estimes être une personne extravagante ?

Non, pas du tout, je suis quelqu’un de calme. Au premier abord, tu vas te dire que je suis un bad boy comme Balotelli mais ce n’est pas ça du tout. Je suis quelqu’un de tranquille.

Qu’as-tu appris en Italie, que tu n’aurais pas appris en Belgique ?

C’est difficile à dire car j’ai quitté la Belgique en pleine adolescence. Mais j’ai le sentiment que la qualité de vie est meilleure en Italie, la nourriture, la météo…

Ton désir était donc de quitter Cagliari pour un club italien du top ?

Oui, bien sûr. Je suis bien en Italie, je suis connu, je suis respecté par tout le monde. Pourquoi aller ailleurs ?

Cette reconnaissance est-elle due au fait que tu es un guerrier sur le terrain ?

Les supporters aiment les joueurs qui donnent tout pour le maillot et c’est ce que j’ai toujours fait, que ce soit à Piacenza, Cagliari ou maintenant à Rome. Tu peux mal jouer mais l’important est de tout donner, et ça les supporters le voient…

Qu’est-ce que l’AS Rome représente en Italie ?

Le nom Rome est déjà imposant, c’est une grosse ville, la capitale du pays, tout est réuni pour faire quelque chose de bien : des supporters incroyables, un futur stade splendide et une équipe qui est déjà très performante. J’avais déjà discuté avec la Rome en janvier mais le président de Cagliari ne m’avait pas laissé partir. En janvier, les dirigeants romains se sont faits encore plus insistants, avec toujours le même discours : on veut devenir la meilleure équipe d’Italie.

 » Pour vivre en Italie, il faut être malin et rusé  »

Vivre à Rome, c’est comment ?

C’est compliqué car il y a beaucoup de pression. Ici, la Roma est très importante. Où que tu te rendes, que ce soit au resto, en sortie, tu attires l’attention et tous les tifosi sont au courant de tes faits et gestes.

C’est pour ça que tu n’as pas ton nom sur la sonnette de ton appartement…

Voilà (il rit). Il faut être malin, rusé. Tu choisis donc des endroits en retrait, un peu privé, pour ne pas être reconnu. Ça s’apprend. Mais pour l’instant, il n’y pas de problème car les résultats sont très bons mais si ça va mal comme la saison dernière où la Roma est passée complètement à côté de son sujet, c’était très dur pour les joueurs.

En Italie, les problèmes avec les ultras sont récurrents. Tu en as récemment fait les frais en étant pris à partie à l’aéroport de Cagliari par des supporters de l’AC Milan.

Je rentrais en Sardaigne et les supporters de Milan allaient reprendre l’avion après le match face à Cagliari. Ils m’ont insulté mais comme je suis un homme, je leur ai montré que ça me dérangeait, ils sont venus se poser derrière moi, ils étaient 20, mais il n’y a pas eu de violence, je suis resté là, tranquille.

La pression des supporters, la vie romaine, ça ne te fait pas peur ?

Non pas du tout. Et puis un joueur pro doit être irréprochable sur le terrain mais aussi en dehors. Et c’est mon cas, je fais ma petite vie tranquille, parfois je vais prendre un verre avec des amis mais je ne fais rien de mal.

Te rappelles-tu ton premier match en D1 et celui qui t’a donné son maillot à la fin du match ?

L’Inter et Zanetti…

J’avais lu Eto’o…

Oui, bien sûr, Zanetti c’était au match retour. Ce fut un moment très spécial, on entre dans un autre monde. J’avais 20-21 ans, c’était déjà 3-0 pour l’Inter mais j’étais tellement content de monter au jeu pour les dix dernières minutes face à de tels joueurs, des monstres.

 » De nombreux fans en Indonésie  »

Tu as des modèles ?

J’observe beaucoup mes équipiers, mes adversaires. J’aime les joueurs puissants, les joueurs forts.

On t’a souvent comparé à Gattuso…

Oui on dit ça parce que je suis un joueur de caractère qui utilise sa force mais techniquement je suis plus fort que Gattuso.

En Italie, on t’avait attribué le surnom de  » Lion d’Anvers  »

Oui c’était surtout à mes débuts à Cagliari. Aujourd’hui, les supporters de Rome m’appellent  » Ninja « , à cause de mes origines asiatiques et parce que je cours beaucoup.

Tu as découvert l’Indonésie l’été dernier ou tu as été reçu par le ministre des Sports. C’était important pour toi de te rendre sur la terre de tes ancêtres ?

Oui, parce que je voulais connaître l’autre part de ma vie. Et j’ai reçu un accueil formidable en Indonésie où j’ai de nombreux fans. Je suis le seul joueur de haut niveau à être originaire de là.

Ton père indonésien a essayé de reprendre contact avec toi lors de ce voyage.

Il m’a abandonné quand j’avais cinq ans et m’a laissé seul avec ma mère et ma soeur. Il a essayé de me revoir quand je suis arrivé à l’aéroport. Mais j’étais un peu bloqué. J’ai essayé de le rejoindre pour écouter sa version. Mais bon… ça fait 20 ans qu’il est parti, ce n’est pas comme un vrai père. J’étais un peu sous le choc.

Ta soeur, Riana, évolue également en D1.

On a joué ensemble chez les jeunes de Borgerhout. Elle est comme moi, dure sur un terrain, forte dans les duels. Mais le foot féminin, c’est malheureusement pas ça car il n’y a pas d’argent ni d’organisation. C’est dommage.

Via un de tes tweets, tu as félicité le Beerschot pour son titre en P1. Tu restes attaché à ce club ?

Ce n’est pas le club de mes débuts mais c’est celui qui m’a formé. Et je suis donc heureux qu’il accède à la promotion. Quand j’ai vu que les supporters étaient 12.000 pour fêter le sacre, c’est la preuve que ce club n’est pas mort. C’est un club spécial pour moi…

Le fait que ta soeur joue chez l’ennemi, l’Antwerp, ce n’est pas problématique ?

Y a un contexte derrière tout ça : elle jouait en équipe première au Beerschot mais elle n’était jamais payée. Et comme elle ne voulait pas quitter sa ville, elle a signé à l’Antwerp.

Tu te sens encore anversois ?

Oui, moi je suis anversois. On y trouve de tout comme à Bruxelles mais c’est mieux organisé, plus neuf, les rues sont plus propres. Il n’y a pas de ville en Belgique comme Anvers.

PAR THOMAS BRICMONT À ROME

 » On me compare à Gattuso mais techniquement je suis plus fort.  »

 » Mon premier contrat en Italie était de 1400 euros. Pour moi et pour ma famille, c’était beaucoup.  »

 » Que ce soit à Naples, à Florence, à Milan, tout le monde me reconnaît. En Belgique, je passe inaperçu.  »

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