» ICI, C’EST LA BUNDESLIGA, C’EST DU SÉRIEUX « 

Inconnu du grand public, il est l’autre Belge de Wolfsburg. A tout juste 18 ans, Ismaël Azzaoui découvre la Bundesliga en même temps qu’il s’essaye au football pro. Plongée dans le quotidien d’un gamin qui, contrairement à des millions d’autres, est parvenu à faire de sa passion son métier.

On l’avait quitté avec une médaille de bronze autour du cou en clôture des derniers Championnats du monde des moins de 17 ans. C’était au Chili au début du mois de novembre dernier. Entouré de ses potes du centre de formation d’Anderlecht, OrelMangala et AlperAdemoglu, IsmaëlAzzaoui avait le sourire. Un sourire de façade. De ceux qui font l’affaire pour une cérémonie protocolaire, mais qui trahissent en réalité une certaine amertume. En trois semaines de compétition, le principal artisan des succès glanés quelques mois plus tôt lors de l’Euro bulgare avait appris à faire connaissance avec le petit banc au Chili.

Une situation paradoxale pour celui que beaucoup décrivaient comme le chouchou de Bob Browaeys avant la compétition :  » J’ai été déçu de mon temps de jeu, mais c’est le football. Il y a des hauts et des bas, des coaches qui t’aiment, d’autres qui ne t’aiment pas… Je ne dis pas que Browaeys ne m’aimait pas, mais en tout cas, ce Mondial ne s’est pas passé comme je l’espérais.  » C’est donc dans l’ombre de Jorn Vancamp et Dante Rigo, soudainement plus médiatiques, qu’Azzaoui était rentré à Wolfsburg dans son appartement  » plus petit et moins central que celui occupé par Kevin De Bruyne l’an dernier « , dixit le principal intéressé.

Beaucoup auraient pu accuser le coup et traverser une période moindre en passant de la ferveur chilienne à la grisaille et la solitude allemandes. Pourtant, au moment de le retrouver près de quatre mois après les Championnats du monde dans le hall du Radisson BluHôtel de Hanovre, l’ancien joueur de Tottenham se montre apaisé. Il arbore le sourire franc d’un ado en train de devenir adulte et d’un footballeur qui découvre, encore émerveillé, le monde magique de la Bundesliga. L’expression fatiguée aussi de celui qui vient de se réveiller. Il est 16 h 15 et Ismaël vient tout juste d’émerger de la sieste imposée par le club à trois bonnes heures du coup d’envoi de ce qui sera la neuvième victoire de la saison du VfL en déplacement à Hanovre (0-4).

QUELQUES FILMS POUR PASSER LE TEMPS

Il faut dire que les hôtels, les mises au vert et les déplacements, Ismaël commence tout doucement à connaître.  » Perso, cela ne me dérange pas plus que ça. On est dans notre chambre tranquille, moi, j’ai mon laptop, je regarde quelques séries, quelques films pour passer le temps. Et puis, on a des meetings, pour analyser l’équipe adverse, les repas, etc.  » A l’entendre, l’ancien Mauve commencerait presque à être aussi rodé à l’exercice de l’interview qu’aux longues attentes qui précèdent la montée sur les prés de Bundesliga.

Ce soir-là, le principal intéressé n’aura d’ailleurs jamais droit aux honneurs de la HDI-Arena de Hanovre, malgré un échauffement long de 45 minutes, comme de coutume à Wolfsburg.  » C’est grâce à ces échauffements systématiques que je suis passé à la télé lors du troisième but de Max Kruse à Gand.  » Dans son entourage, tout le monde a vu cette image. Et, pour Ismaël, être une première fois retenu pour un match de Ligue des Champions à l’occasion d’un déplacement en Belgique, ça avait tout de la cerise sur un gâteau déjà garni de onze convocations dans les 18 de Dieter Hecking en Bundesliga.

 » Contre Gand, je me souviens que je m’étais bien entraîné pendant la semaine, mais je ne pense pas que ce soit un cadeau de l’entraîneur parce qu’il s’agissait d’un club belge. Il n’y a pas de place pour les cadeaux à ce niveau-ci, mais c’est clair que ça claque de se retrouver sur le banc contre Gand et d’entendre cette musique propre à la Ligue des Champions. A la limite, heureusement, que je ne suis pas rentré en fin de match, on aurait peut-être dit que les deux buts auraient été pour ma pomme (rire).

WOLFSBURG, VILLE FANTÔME

Visiblement, le nouveau numéro 38 des Loups ne perd pas plus le nord que le moral à Wolfsburg. Au moment de se retrouver dans la fraîche nuit allemande plusieurs heures après la fin du match à Hanovre, Ismaël sort d’un petit restaurant italien partagé avec son père, Kruse et Daniel Caligiuri. Le seul restaurant encore ouvert à cette heure avec le noctambule BurgerKing. Une absence d’activité nocturne qui pourrait impacter sur le moral d’un jeune mec de 18 ans, mais qui ne semble pas le perturber plus que ça.

 » C’est clair qu’il n’y a pas grand-chose à faire le soir ici et que tout ferme très tôt. Heureusement, je ne suis pas du genre à avoir le cafard. Ici, j’ai ma télé, ma PlayStation et vu que je n’aime pas quand il y a trop de monde, je savoure ma tranquillité.  » Il n’y a pas à dire, Azzaoui ne pouvait dès lors pas mieux tomber qu’à Wolfsburg. Démesurément trop grande par rapport à ses seules 130.000 âmes, la ville de Basse-Saxe est surtout connue pour être le siège du constructeur automobile Volkswagen. C’est donc l’endroit idéal pour s’affaler devant Narcos, Breaking Bad ou Daredevil, les trois séries du moment chères à ce Belgo-Marocain né à Bruxelles et passé par le Black Star avant de rejoindre Anderlecht.

Incomparable avec la City londonienne que son passage express du côté de Tottenham lui avait fait découvrir, Wolfsburg transpire l’huile de coude plus que les marchés boursiers et n’est pas franchement destiné à faire rêver le visiteur d’un soir. Tant pis pour la caravane médiatique censée accompagner chaque déplacement des Buffalos gantois en Ligue des Champions, tant mieux pour Ismaël à qui cette atmosphère de fin du monde semble réussir.

 » Tout a été si vite que j’ai du mal à réaliser. Ce qui est étrange, c’est que la semaine qui a suivi mon retour du Chili, j’ai fait mes débuts contre le Werder Brême. C’est le football, ça va vite et c’est parfois quand tu penses que tu es tout en bas, que tu te retrouves en un rien de temps tout en haut.  »

CHASSÉ-CROISÉ AVEC DE BRUYNE ET PERISIC

L’ascenseur social version footballeur professionnel est souvent brutal. Débarqué en droite ligne de Tottenham à Wolfsburg avec le statut de semi-pro le vendredi 28 août dernier à l’occasion de la réception de Schalke 04 en championnat, Ismaël ne mettra pas 24 heures pour se décider à changer de vie.

 » J’ai assisté à la rencontre des tribunes avec De Bruyne et Ivan Perisic (avec lesquels il partage le même agent, Didier Frenay, NDLR). Tous les deux étaient sur le départ, mais ils m’ont convaincu du bienfait de ma venue à Wolfsburg. Le lendemain, et malgré les coups de téléphone de Tottenham, je signais mon contrat ici.  »

Un peu plus de six mois plus tard, Ismaël confie avoir déjà reçu un message de félicitations des Spurs pour ses deux premières montées au jeu en Bundesliga. De quoi le conforter dans ses certitudes d’avoir opéré le bon choix. Confronté pour la première fois aux réalités du monde professionnel, Ismaël doit maintenant apprendre à vivre avec un nouveau statut : celui d’un néo-footballeur pro que le monde entier envie.

 » Tout le monde me dit :  » Ouais, regarde où tu es, c’est incroyable, etc. « , mais franchement, je ne me rends pas compte de tout ce qui m’arrive. C’était pareil en Angleterre. C’est bizarre, parce que ça ne veut pas dire que je considère ça comme la suite logique des choses, mais c’est juste que je vis le truc à fond et que je n’ai pas le temps de prendre le recul nécessaire.  »

Pour ça, il y a sa famille et sa copine qui font régulièrement les allers-retours entre Bruxelles et Wolfsburg pour le voir, mais aussi Joshua Guilavogui et Dante, deux coéquipiers avec qui il partage plus que l’amour du ballon rond et de la langue française.  » C’est un mélange entre des grands frères et des amis. Josh m’a fait découvrir la ville, les coiffeurs et les matchs de hockey sur glace du vendredi soir, à peu près la seule occupation à Wolfsburg. C’est avec lui que je passe le plus clair de mon temps quand je suis dehors.  »

DES FRISSONS CONTRE LE BAYERN

Ponctuel, et pas encore une seule fois en retard cette saison, Ismaël accumule les bons points. C’est cela, en plus de ses bonnes performances répétées aux entraînements qui lui ont offert ses deux premières entrées au jeu. La dernière en date ? Six minutes contre le Bayern Munich le 27 février dernier. Rien que ça.

 » Avec le fait d’être repris pour la Ligue des Champions quelques jours plus tôt, je crois que c’est la première fois que je me suis un peu rendu compte de ce qui m’arrivait. J’ai eu des frissons, je me suis dit que c’était ma vie que j’étais en train de vivre. En quelques semaines, je suis passé d’un match contre le Bayern à FIFA 16 à une réelle poignée de main avec Pep Guardiola qui me félicitait pour ma montée au jeu.  »

Encore une fois, le sourire est sincère, presque touchant. Il appartient à un gamin qui est en train, petit à petit, de voir sa vie d’adulte ressembler à celle dont il rêvait enfant. Cette montée au jeu contre le Bayern Munich, Ismaël ne veut pas l’oublier. Pas déjà.  » Je me suis retourné, j’ai vu Robben. Je tourne la tête, je vois Ribéry, Coman, Douglas Costa, Xabi Alonso, Lewandowski, Muller, là, je me suis dit :  » Waw, c’est un truc de ouf ! « .

Derrière les frissons et les dingueries, il y a aussi et forcément la peur rationnelle de mal faire et le sentiment de ne pas être à sa place.  » On ne va pas se mentir, je n’ai pas dormi des masses avant le match contre le Bayern. Je ne m’attendais pas à rentrer, mais je me disais que si c’était le cas, il allait falloir que j’assure.  »

Alors quand Hecking le prévient qu’il va rentrer, c’est forcément un choc.  » Pendant que je me préparais, il est venu me voir pour me dire que mon défenseur (Juan Bernat, NDLR) avait déjà reçu un carton jaune, et qu’il fallait que je fasse en sorte de le provoquer balle au pied.  »

DANS LES GRÂCES DE DIETER HECKING

Au final, Ismaël aura plus couru derrière le ballon que réellement provoqué son adversaire direct. Sur sa seule possibilité de faire mal au défenseur espagnol, c’est Thiago Alcántara qui est venu le stopper dans son élan. Peu habitué à reluquer ses propres prestations après coup, Ismaël dérogera cette fois-ci à la règle. Plus pour définitivement enregistrer ce qui venait de se passer que par envie de se voir courir dans tous les sens.

 » C’est marrant parce que contre le Werder Brême, en novembre, j’avais joué quinze minutes. Je ne pense pas avoir perdu une balle. Je suis parti en contre, j’ai centré, je suis rentré dans le jeu, mais je n’ai jamais regardé les images. Mais il n’y a rien à faire : le Bayern Munich, c’est encore différent.  »

Petit à petit, Azzaoui prend donc le pouls de la Bundesliga. Une immersion dans le professionnalisme du football allemand que personne n’imaginait aussi précoce et qui surprend pas mal de monde du côté de Wolfsburg.

 » On a vraiment été surpris par la rapidité de son adaptation au football allemand « , analyse Thomas Hiete, le journaliste détaché auprès du vice-champion d’Allemagne pour l’hebdomadaire allemand Kicker.  » Il s’est d’abord montré extrêmement séduisant à chacun des entraînements de début de saison avant de, progressivement, se mettre à commettre quelques petites erreurs, finalement assez logiques dans le chef d’un jeune joueur.

Il perd souvent des ballons qu’il devrait pouvoir conserver, mais malgré tout, il est visiblement dans les bonnes grâces d’Hecking. Il va maintenant devoir justifier cette confiance sur le plus long terme et faire face à la rude concurrence qu’il y a dans le groupe.  »

En attendant de prouver à son entraîneur qu’il ne s’est pas trompé et qu’il peut entrer en concurrence avec des joueurs comme Schürrle, Vierinha, Caligiuri, Draxler ou Bruno Pinto, Ismaël va d’ici peu récolter les premiers fruits de son apprentissage du foot à la sauce allemande.

 » Quand tu joues à Wolfsburg, une des premières choses que tu fais quand tu as 18 ans, c’est de passer ton permis de conduire.  » Ismaël a eu 18 ans le 6 janvier dernier et dans trois semaines, il recevra sa première voiture, une Golf 7 GTD. Le début d’une nouvelle vie, assurément…

PAR MARTIN GRIMBERGHS À WOLFSBURG – PHOTOS BELGAIMAGE

 » En quelques semaines, je suis passé d’un match contre le Bayern à FIFA 16 à une réelle poignée de main avec Pep Guardiola, qui me félicitait pour ma montée au jeu.  » – ISMAËL AZZAOUI

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