Iceman et le Fantôme

Ce sont deux attaquants très différents qui s’affronteront en quarts de finale de la Ligue des Champions.

Cela fait maintenant plusieurs années qu’on lui prédit un rôle de remplaçant. Car au sein de Chelski, les stars sont reines. Pourtant, Eidur Gudjohnsen est devenu un pion indispensable. Et le club ne s’y est pas trompé en lui proposant, en juillet passé, un nouveau contrat de quatre ans avec à la clé, un salaire de 82.500 euros par semaine.

Avec son engagement, ses passes tranchantes et son feeling, il s’est imposé aux avant-postes de la formation de José Mourinho. Ce n’est certes pas un buteur de surface de la trempe des Jimmy-Floyd Hasselbaink, Adrian Mutu ou Hernan Crespo mais il est toujours là, résistant aux tempêtes des départs et arrivées de l’ère du président milliardaire russe, Roman Abramovich.

 » Quand j’ai signé à Chelsea, il y avait déjà Tore Andre Flo et Gianfranco Zola « , explique Gudjohnsen.  » Et Hasselbaink a été transféré la même semaine que moi. Et puis il y avait moi, un jeune qui arrivait de Bolton. Mais j’ai relevé ce challenge. La saison passée, il y avait encore Jimmy et moi avant les arrivées de Mutu et Crespo mais je suis resté titulaire jusqu’au bout « .

Et même s’il dut s’effacer devant le phénomène Didier Drogba, la blessure de l’Ivoirien allait lui permettre de se remettre en selle. A 26 ans, il est désormais au sommet de son art comme l’a prouvé le super match qu’il a fourni en huitièmes de finale de la Ligue des Champions face à Barcelone (4-2). En décrochant sans cesse, il a perturbé la défense catalane qui ne s’est jamais remise des trois buts encaissés en vingt minutes.

Mais il est vrai que l’on ne reste pas cinq ans dans un tel club sans un minimum de talent. Car de l’époque du président Ken Bates et du manager Gianluca Vialli, il ne reste plus que trois rescapés : Carlo Cudicini, John Terry et Gudjohnsen. Il aura donc tenu. Une gageure dans une équipe où il y a plus de transits que dans un aéroport de province. Une gageure pour un gamin qui a débuté son écolage à Brussegem dans la banlieue bruxelloise alors que son père, Arnor, faisait les beaux jours d’Anderlecht. Il fallait savoir se faire un prénom, se démarquer de ce paternel qui avait acquis une dimension internationale en jouant à Lokeren (1978-1983), en décrochant le titre de meilleur buteur en 1987 chez les Mauves où il resta sept ans et en découvrant la France à Bordeaux (1990-1993).

Un talent précoce

Né à Reykjavik, Eidur a vécu une partie de sa jeunesse sur le sol belge et ce fut lors d’un match amical que Brussegem disputait face aux jeunes d’Anderlecht que son pedigree délivra tous ses secrets. Il n’avait que 11 ans et venait d’inscrire les cinq buts de la victoire des siens :  » Je jouais au foot avant même que je sache marcher (sic). En Belgique mais aussi durant les vacances en Islande. Du football toute l’année et cela ne me fatiguait jamais « .

Il allait finalement se développer en Islande au Valur Reykjavik. Et en garçon précoce, il ne lui fallut pas longtemps avant de revenir en Europe, au PSV Eindhoven où il débutait en équipe fanion lors de la saison 1995-1996 à 16 ans !

A partir de cet instant, naîtra entre le père, encore actif en Suède, et son fils un défi : jouer ensemble en équipe nationale d’Islande. Rêve partiellement réalisé puisque le 24 avril 1996 le fiston remplaçait le père sur la pelouse de Tallinn, face à l’Estonie. A l’époque, Arnor avait glissé à son fils û A toi de marquer, fiston ! Moi, je n’y suis pas parvenu, mais, toi, tu vas réussir. Mais ils ne joueront jamais ensemble. C’était prévu en juin de cette année-là mais Eidur connaissait le premier contrecoup de sa carrière. Il se fracturait la jambe quelque temps avant. Pendant plus de deux ans, le fils allait lutter pour retrouver les terrains de football :  » Le docteur du PSV m’avait dit qu’il pensait que je ne rejouerais plus jamais. C’était une période frustrante et très difficile car mes proches commençaient à perdre la foi « .

Le PSV le laissait retourner sur son île où il signa un contrat avec le modeste club du KR après avoir souffert mille maux aux mains de physiothérapeutes :  » C’était cela ou tout arrêter et chercher un nouveau travail. Mais j’avais quitté l’école à l’âge de 16 ans « .

Cela en valut la peine. Il ne resta que deux mois en Islande avant que l’Europe ne lui tende de nouveau les bras. Son destin le guida en Angleterre à Bolton au mois d’août 1998. Un simple entraînement lors du stage de préparation en Irlande avait suffi pour convaincre le manager, Colin Todd. A tel point que son manager Peter Harrison, l’ancien joueur de Charleroi, s’était exclamé û Je ne sais pas ce que tu leur as fait à l’entraînement mais ils veulent te faire signer immédiatement.

Le début de la renaissance. Il mit sept mois à se forger une place dans le onze de base de Bolton.  » Il ne se prenait pas pour une star « , détailla Todd à The Observer,  » Il avait de nombreuses qualités. Il respirait le talent, était en mouvement perpétuel et savait plus qu’un autre se trouver dans le rectangle au bon moment. Je lui ai dit qu’il devait prendre patience avant de se faire une place en équipe Première. Il perdit un peu son enthousiasme et j’ai dû le mettre à l’amende. Mais une fois qu’il a conquis sa place, il n’a plus quitté son poste « .

A cette époque, Bolton évoluait en Division One mais deux saisons et 21 goals plus tard, Eidur Gudjohnsen décrochait la timbale. Pour 7,5 millions d’euros, il était transféré à Chelsea durant l’été 2000. Les Londoniens coiffaient Newcastle et Tottenham sur le poteau. Mais Gudjhonsen débarquait dans la capitale sur la pointe des pieds. LE transfert de l’été, pour les Blues, c’était Hasselbaink.

Ebony and ivory

Une grande complicité allait naître entre le Néerlandais et l’Islandais.  » Il y avait une véritable alchimie entre nous « , se souvient Gudjohnsen,  » Nous riions aux mêmes blagues, cochonnes ou non. On nous appelait Ebony and ivory mais on nous a trouvé également beaucoup d’autres surnoms comme Fire and Ice. Jimmy était quelqu’un de très émotionnel sur le terrain, un homme fier qui voulait toujours avoir le ballon et qui le faisait savoir aux autres. Je suis plus relax et je le calmais souvent. Nous nous respections et on se complétait très bien. Et cela me plaisait de préparer les buts pour lui « .

Durant quatre saisons, il s’illustra aux côtés d’Hasselbaink. Dans l’ombre du Néerlandais, il parvint tout de même à tirer son épingle du jeu en inscrivant 40 buts. Résistant à Vialli et Claudio Ranieri, il s’est également imposé aux méthodes de José Mourinho. Les arrivées de Mateja Kezman, Arjen Robben et Drogba n’ont eu aucune incidence sur lui : il était titulaire pour débuter la saison. Et de quelle manière puisqu’il inscrivit le but de la victoire face à Manchester United en ouverture de saison.  » J’ai l’idée que je peux encore offrir beaucoup à Chelsea « , avait-il asséné à la presse.

Depuis lors, il n’a dû s’effacer que l’espace de quelques semaines lorsque Mourinho avait préféré évoluer avec le trio Robben-Drogba- Duff. Mais fort comme un chêne, Gudjohnsen allait revenir dans le parcours, profitant de la sérieuse blessure de l’Ivoirien pour devenir incontournable. Désormais, l’attaque se forme autour de lui. Mourinho a abandonné son 4-3-3 pour faire évoluer Drogba et Gudjohnsen conjointement. Et la méforme persistante de l’ancien sociétaire de Marseille nous dit que s’il fallait choisir entre eux, ce n’est pas nécessairement l’Islandais qui en ferait les frais.

Ivresse et casino

Avec ses huit buts depuis le début de la saison, Gudjohnsen ne pointe qu’à une longueur de Drogba. Iceman s’est érigé en iceberg d’un club qui court vers son premier titre de champion d’Angleterre depuis 1955. Et ce ne sont pas ses récents abus en dehors du terrain qui auront raison de ce roc. Car s’il n’était pas une star en arrivant à Chelsea, il a appris. Gudjohnsen a défrayé la chronique l’année dernière après avoir annoncé dans le Sunday People avoir dépensé 600.000 euros au black jack et à la roulette sur une période de cinq mois :  » Je m’ennuyais. J’étais blessé et j’étais retourné en Islande auprès de ma copine et de mes enfants et je ne savais pas comment passer mon temps. Je ne faisais pas attention mais lorsque j’ai commencé à accumuler les dettes, j’ai compris que j’étais devenu accro en quelques mois. J’ai donc décidé de ne plus remettre les pieds dans un casino. Et via cette interview, je veux prévenir les jeunes. Avant que tu ne le saches, tu es perdu.  »

Si le démon du jeu semble ne plus s’être manifesté, Gudjohnsen ne s’est pas pour autant rangé. Il y a quelques semaines, c’est en état d’ivresse qu’il fut arrêté au volant de sa voiture aux petites heures du matin. Mais il pourrait nous faire croire que c’est dû à ses gènes d’Islandais :  » Au pays, tu ne vas pas dans un café pour boire une ou deux bières. Non, quand tu y vas, tu ressors saoul « .

Makaay, le buteur hors pair

Autre équipe, autre style d’attaquant. Le Hollandais Roy Makaay fait partie de la race des buteurs purs, ceux qui n’ont que la cage adverse dans leur champ de vision et qui n’applaudissent à la fin d’un match qu’après avoir réussi à chatouiller les filets. Les plus difficiles ne se satisfont même plus d’un but par rencontre. Ils chérissent les séries et recherchent le hat-trick. Makaay en fait partie. Bien loin de l’image de ces attaquants qui se démènent durant toute une partie, il se montre très peu. Mais son rendement presque maximal justifie le surnom trouvé par la presse allemande de FantômeMakaay. Invisible, il surgit soudainement avant de retrouver l’anonymat.  » Tu ne le vois pas pendant 90 minutes. Mais quand tu l’aperçois, c’est trop tard car il est déjà en train de célébrer son goal « , avait un jour affirmé le défenseur de Dortmund Christian Wörns.

A 30 ans, il a réussi son boulot dans tous les clubs où il est passé. Par tous les temps et dans toutes les positions, il a emmagasiné les réalisations. Au point de truster toute une série de records. Pourtant, après un exil doré de plusieurs saisons en Espagne, peu de gens étaient prêts à parier sur sa réussite au Bayern Munich lorsqu’il a rallié le club allemand lors de l’été 2003.

Lui qui était courtisé par les plus grands clubs, il avait choisi la rude Bavière et son noyau de stars aux préoccupations bien lointaines de celles du Néerlandais.  » Je reste la plupart du temps à la maison auprès de ma femme et de mes enfants. Sortir le soir, faire la fête, ce n’est pas vraiment mon truc. Beaucoup de joueurs du Bayern pratiquent le golf, mais je n’aime pas ça « . Mais son choix s’avéra judicieux. Cette saison encore, il répond présent. Pilier de la formation de Felix Magath, il a marqué les esprits lors de certaines rencontres. Comme ce match de la Ligue des Champions face à l’Ajax Amsterdam (4-0) en septembre dernier où il avait réussi à inscrire trois buts. Sans oublier l’assist final à Ze Roberto. Et en championnat, Makaay a ressorti son habit de lumière face à Dortmund (5-0) où il prit à sa charge trois des cinq réalisations du Bayern. Soit 12 roses en championnat et sept en Ligue des Champions. Voilà de quoi alimenter un peu plus un capital pourtant déjà bien pourvu.

De Vitesse à l’Espagne

Très tôt lancé dans le monde du foot, Makaay connut le premier tournant de sa carrière en intégrant le centre de formation de Vitesse Arnhem à l’âge de 13 ans. Avec son bon jeu de tête et sa faculté à jouer des deux pieds, il allait grimper les échelons et percer en équipe Première à 18 ans. En trois saisons, Makaay s’affirma : 41 buts en 98 rencontres. Juste de quoi être appelé en équipe nationale pour affronter le Pays de Galles le 5 octobre 1996 :  » J’ai eu la chance que l’on m’ait donné très vite une chance. Le Vitesse Arnhem est un club qui mise sur des jeunes « .

Il commença alors à faire parler de lui hors des frontières hollandaises au point qu’Anderlecht se montra, un temps, intéressé. Relatif anonyme dans son pays, il fallut attendre son transfert en Espagne pour que le monde apprenne à le connaître. Le Betis Séville fut le premier sur la balle mais c’est finalement dans les Canaries, à Ténériffe qu’il aboutissait pour un montant de six millions d’euros. Les sceptiques ne voulaient toujours pas croire qu’il était de la trempe des Patrick Kluivert ou Dennis Bergkamp. Il devra donc leur prouver qu’ils ont tort.

Dans une équipe qui luttait contre la relégation, il parvint à marquer à sept reprises lors de sa première saison (1997-1998). Sa progression fut alors constante. Ténériffe ne faisait que repousser l’inéluctable d’un an. Le club ne put éviter la relégation malgré le Néerlandais qui avait doublé son compteur buts par rapport à l’année précédente. Embourbé dans des problèmes financiers, Ténériffe ne put se permettre de garder un élément de la trempe de Makaay pour disputer le championnat de D2. Un accord intervint pour 8 millions d’euros avec La Corogne en 1999.

Et cela fonctionna une nouvelle fois. Le club galicien fêta un titre de champion grâce notamment au réalisme de sa recrue : 22 buts. Pourtant les blessures rattrapaient Makaay et durant deux saisons, il subissait la loi d’un Diego Tristan plus efficace que lui. Dans son rôle de joker, il tenta de faire son possible mais cela ne suffisait pas. Il dut attendre une nouvelle fois que la roue tourne et que Tristan subisse à son tour les affres de la blessure pour retrouver sa place de titulaire.

En cette saison 2002-2003, il éclatait. En huit jours, il réalisait deux doublés en championnat et un triplé au stade Olympique de… Munich. De quoi marquer les esprits. Ses armes : une frappe puissante et une accélération efficace sur les premiers mètres.  » Je peux utiliser ma vitesse. Dommage que quand on évolue à la maison, on se retrouve confronté à des équipes qui jouent devant leur but. Les espaces sont très petits mais je marque quand même « , ajoutait-il. Le Depor avait déniché son nouveau champion : celui qui allait décrocher le titre de Soulier d’Or européen et battre le record de Bebeto comme meilleur goleador du club.  » Tous mes équipiers voulaient que je devienne meilleur buteur européen. Ils s’en préoccupaient plus que moi. Lors des dernières rencontres, ils me donnaient des ballons qu’ils pouvaient eux-mêmes convertir en buts. Parfois, ils attendaient que je sois bien placé. Contre Recreativo Huelva, nous avons gagné 6-0 et le credo, c’était û Toutes les balles sur Makaay. Je crois que j’ai tiré au goal à 12 reprises « . Mais cela ne modifia en rien son comportement. S’il marque, il le doit en grande partie à ses coéquipiers qu’il remerciait en leur offrant une copie de son Soulier d’or avec l’inscription û Gracias, Roy Makaay. Une façon toute simple de tirer sa révérence. Car après avoir effacé Bebeto des tablettes de La Corogne, Makaay allait battre un autre record. Celui du transfert le plus cher pour le Bayern Munich.

Muet avant d’exploser

Durant l’été 2003, Makaay est courtisé par les plus grands clubs. Le Depor s’était déjà résigné à perdre son joueur le plus populaire, celui qui écoulait le plus de maillots auprès des supporters :  » Quand tu marques chaque année 25 buts, tu deviens vite populaire « . Après moult tergiversations, les Bavarois allaient remporter la palme pour la coquette somme de 18,75 millions d’euros. Il devenait l’espoir de toute une ville, de toute une région. Lors de son premier entraînement, il attirait 5.000 curieux. Pourtant, les tabloïds allemands n’avaient pas déniché un client pour leurs pages sensationnelles. Son principal caprice : une pause pipi effectuée avant le début de la prolongation lors des quarts de finale du dernier EURO. Normalement, aucun joueur n’avait droit de rejoindre les vestiaires. Les Suédois, éliminés aux penalties, n’ont pas manqué de faire référence au  » scandale pipi « . Et c’en est déjà fini de ses frasques. Il fallait se contenter de ses prestations.

Mais pour un garçon si discret, cette somme et toute cette attente semblèrent dans un premier temps peser sur ses épaules. Arrivé en Allemagne en retard de condition et succédant à un monument comme Giovane Elber, parti à Lyon, il eut du mal à justifier tous les espoirs placés en lui. Les exemples des cuisants échecs d’autres attaquants étrangers comme Alan McInally, Emil Kostadinov ou Ruggerio Rizzitelli étaient encore dans les mémoires des dirigeants munichois.

C’est finalement contre le Celtic Glasgow, en Ligue des Champions, qu’il retrouvait toutes ses sensations. Son doublé offrait la victoire au Bayern (2-1).  » La pression, je l’ai toujours eue que ce soit aux Pays-Bas avec l’équipe nationale ou en Espagne. Pour moi, le plus important, c’est de sentir le soutien de l’entraîneur « , avait-il répliqué. Il finissait la saison avec 23 buts dans sa besace. Il lui reste désormais à remporter des titres avec ce club allemand où certains avaient prédit qu’il allait s’enterrer. Mais n’a-t-il pas appris à faire fi des prédictions ?

Stéphane Vande Velde

 » En Islande, tu ne vas pas au café pour boire un ou deux verres. QUAND TU RESSORS, TU ES SAOUL  »

LE SEUL éCART de Makaay, c’est d’aller pisser avant les prolongations contre la Suède à l’EURO

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