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HURLUS PERDUS

Le train mouscronnois file à tout berzingue. Son terminus probable et quasi-inévitable ? L’enfer de la D1B. Avec, en toile de fond, un futur à nouveau en question.

Sept petites minutes. Soit moins de 420 secondes pour faire sauter le verrou. D’entrée de jeu, Samuel Kalu ouvre la porte du succès de La Gantoise et claque celle des espoirs de Mouscron. Les locaux déroulent ensuite, malgré un honneur sauvé tardivement par Luka Stojanovic (3-1). Plus qu’une défaite logique, la partie accélère le compte-à-rebours enclenché au Canonnier. Pourtant, 2017 avait plutôt bien commencé. Mais, après deux succès sur Lokeren (2-1) et Eupen (3-0), l’Excel enchaîne quatre revers consécutifs pour descendre tout droit vers son destin : la D1B.

Si rien n’est acté mathématiquement, les hommes de Mircea Rednic doivent encore recevoir le Standard ce samedi et aller à Courtrai, tandis que leur adversaire direct, Westerlo, se déplace à Zulte Waregem puis accueille Genk. Quatre points séparent les deux entités, avec une différence de buts favorable à Mouscron, dont la mission n’a jamais semblé aussi impossible. Le sauvetage miraculeux de l’an passé contre Anderlecht (2-1) paraît difficile à rééditer. Sous pavillon maltais depuis deux saisons maintenant, les Hurlus s’en remettent à leur directoire pour bricoler un avenir incertain. Officiellement, le club est détenu à 90 % par Latimer, qui a succédé à Gol Football Malta Limited en février 2016. Le fonds d’investissement est géré par Adar Zahavi, neveu de Pini, célèbre agent israélien qui tire par ce biais les ficelles mouscronnoises avec l’aide d’un autre cador de la profession : Fali Ramadani. Chacun compte sur son bras droit. Humberto Païva pour le premier, Jurica Selak pour le second, tous deux directeurs sportifs en Wallonie picarde. Il y a quelques semaines, le quatuor apporte les garanties financières nécessaires à l’obtention de la licence, mais n’efface pas les doutes pour autant. Que va-t-il advenir de l’Excel ?

92 MOUVEMENTS DE JOUEURS

Jurica Selak choisit d’abord de tempérer.  » Je connais la réalité de la D1B. Peut-être que le projet sera différent, mais les investisseurs seront toujours là « , affirme-t-il.  » Je tiens à rassurer tout le monde : le club ne doit pas un seul euro à qui que ce soit et nous allons avoir la licence très facilement. S’il y a rétrogradation, bien sûr que l’on va devoir réduire le budget. La D1B est un championnat difficile, où on a les mêmes contraintes au niveau de la licence qu’en D1A.  »

L’ancien agent belgo-croate dit également avoir  » commis des erreurs « , et se trouver parmi  » les premiers responsables  » du mauvais exercice des Hurlus, malgré des  » circonstances atténuantes.  » Il vise notamment plusieurs  » erreurs d’arbitrages  » qui, selon lui, auraient coûté une dizaine de points aux siens. Mais le problème semble trouver sa source dans des eaux plus profondes. L’Excel cherche une identité propre depuis sa mise en liquidation en 2009, puis son interlude lillois.

En quatre mercatos, le Canonnier a été la scène de 92 allers et retours de joueurs : 46 mouvements entrants (dont 23 prêts) et 46 sortants. C’est toujours moins que les 111 du Standard sur la même période. Mais sur 30 joueurs débarqués avant cette saison, 9 ont disputé moins de cinq matches (dont 4 sans la moindre minute de temps de jeu) et 7 seulement sont toujours dans le noyau. Cet été, le board mouscronnois a laissé filer plusieurs cadres tels que Noë Dussenne, Anice Badri ou Julian Michel, sans pallier qualitativement leurs départs.

Le système du duo Zahavi-Ramadani, détricoté par Le Soir dans l’enquête Football Leaks, place les Hurlus au sein d’un large réseau dans lequel l’Apollon Limassol fait office de  » boîte aux lettres « . Avant janvier, neuf joueurs signent à Chypre, sans nécessairement y mettre les pieds, puis transitent vers l’Excel. En somme, Mouscron devient le dernier maillon de la chaîne et récupère des footballeurs qui n’ont parfois ni le niveau, ni le rythme pour notre championnat.  » Il y a un fossé qui s’est créé entre le club et les supporters. Les gens ont du mal à se remettre derrière le club « , regrette Thierry Van Weehaege, quadra supporter hurlu depuis ses 7 ans et ancien bénévole au Canonnier.  » Autant le club était redevenu sexy dans les divisions inférieures jusqu’à sa remontée, autant l’image aujourd’hui est plutôt négative. On est plus un club de transit, un hall de gare à proprement parler.  »

Difficile aussi de citer un transfert de l’ère Latimer qui est une totale réussite. Cette saison, seul Filip Markovic peut apporter une satisfaction mesurée, voire Mickaël Tirpan, qui a fini par se révéler.  » On a un groupe vachement cosmopolite. Mais le plus dur, chaque année, c’est de recommencer quasiment de zéro « , explique Thibault Peyre, qui traverse la frontière début 2014. Le noyau mouscronnois actuel compte en effet 14 nationalités différentes sur une base de 26 joueurs, dont 4 Serbes et 9 Belges. Un élément que Selak balaie rapidement, à juste titre :  » On est en plein dans la mondialisation. Bien sûr que j’aimerais avoir des joueurs du coin, mais il n’y a qu’à Mouscron que j’entends ça. On a fait revenir Jérémy Huyghebaert. Plus mouscronnois que lui, ça n’existe pas.  » L’homme tente aussi Dino Arslanagic fin août, en vain, mais réussit son coup en janvier.

L’EMPIRE DU MILIEU

Il y a deux ans, les nouveaux proprios étaient arrivés avec la volonté affichée de polir le joyau local : le Futurosport. Là aussi, les doigts d’une main suffisent pour compter les succès. Aristote Nkaka, qui a participé à une douzaine de rencontres, mérite un pouce. C’est maigre, mais c’est un mal itinérant, surtout révélateur du football moderne, qui ne frappe pas qu’à Mouscron. Côté jeunes, Mircea Rednic a accepté de prendre Martin Selak, fils de, ce que Glen De Boeck refusait de faire. Benjamin Vandenbroucke est vice-président des Hurlus Red Fans :  » Ce qu’on veut, c’est surtout arrêter d’avoir tous ces joueurs en prêt. On sait aussi qu’on n’aura jamais un directoire exclusivement mouscronnois. On était content d’avoir Dino cet hiver. Mais là, ça fait deux ans qu’on se sauve miraculeusement et on ne peut pas continuer comme ça.  »

La plupart des joueurs mouscronnois savent également qu’ils sont simplement de passage. Être une pièce amovible d’un carrousel n’aide pas à se sentir concerné par un projet d’autant plus flou. Fin janvier, la Gazzetta dello Sport émet l’hypothèse d’un rachat du club hurlu par les Chinois du Suning Commerce Group. Propriétaires de l’Inter depuis l’été dernier (à 70%), ils détiennent déjà le Jiangsu Suning et seraient aussi intéressés par Gil Vicente (D2 portugaise). Le possible établissement d’un réseau pyramidal de la Lombardie à la Wallonie picarde se ferait par l’entremise de Pini Zahavi. L’Israélien reste proche de l’ancien DG de Chelsea Peter Kenyon, qui conseille désormais le groupe chinois à Milan. Pareil pour Fali Ramadani avec Piero Ausilio, actuel DS des Nerazzurri.

Patrick Declerck, président du CA et visage des actionnaires locaux (10%), assure pourtant n’être ni au courant, ni avoir des raisons de l’être :  » Au dernier conseil d’administration, j’ai posé la question et on m’a dit : ‘Ce n’est pas d’actualité. La première personne qui en sera informée, c’est toi.’ Ce qui ne veut pas dire que ça ne va pas se faire, mais je ne sais pas quelles sont leurs intentions (des actionnaires, ndlr). L’année passée, si on descendait en D1B, ils restaient. Cette année, je ne sais pas ce qu’il va se passer.  » S’il  » vaut mieux être un club satellite que ne plus avoir de club du tout « , d’après ses mots, les interrogations fusent concernant les actionnaires actuels et les potentiels futurs repreneurs.

 » ON SERA LÀ QUOI QU’IL ARRIVE  »

 » Je sais que les gens se posent beaucoup de questions. Mais aux dernières nouvelles, je peux vous assurer que les actionnaires ne vendront certainement pas le club « , poursuit Selak, qui tente à nouveau de rassurer. Pour la première fois en Belgique, les clubs pros vont devoir faire preuve de transparence concernant la provenance de leurs fonds. Une telle opération pourrait ainsi permettre à Pini Zahavi de continuer de placer ses pions à Mouscron, sans risquer d’être épinglé. Même s’il peut se servir de prête-noms, un agent ne peut pas détenir un club.  » Ce sont des conneries « , stoppe net Selak.  » Vous croyez que Pini Zahavi n’a pas autre chose à faire ? C’est vrai que Latimer, c’est Adar Zahavi et que Pini Zahavi, c’est son oncle. Mais maintenant, s’il peut apporter quelque chose par ses connexions, on est forcément à l’écoute.  » Declerck embraye dans la langue de bois :  » Je ne connais que notre actionnaire majoritaire, qui est Latimer, une société de droit maltais dans laquelle se trouve Adar Zahavi et c’est tout. Le reste, je ne m’en occupe pas.  »

Un discours et une situation en suspens qui ne semblent pas non plus susciter la panique.  » On a vécu tellement de choses, entendu tellement d’histoires, qu’on préfère attendre de voir « , temporise Benjamin Vandenbroucke, 27 ans ce jeudi.  » Notre philosophie est simple : on sera là quoi qu’il arrive.  » Avec 3.758 spectateurs de moyenne à l’issue du premier tour, le Canonnier se classait avant-dernier au championnat des tribunes, juste devant Eupen. Les officiels mouscronnois ont beau placer les  » supporters de l’Excel  » avec le numéro 12 sur la feuille de match, leur enceinte manque de poudre pour s’enflammer.

Thierry Van Weehaege :  » Avant, quand on disait qu’on était supporters de Mouscron, ça dégageait un espèce de capital sympathie. Maintenant, c’est plutôt des moqueries. Il faut vraiment être motivé et s’affirmer pour supporter Mouscron aujourd’hui.  » L’Excel ne se trouve pas dans une situation similaire à celle qui l’avait poussé à la faillite en 2009, mais reste à la recherche de sérénité.  » On a un peu peur que le groupe maltais s’en aille si on descend « , avoue Vandenbroucke.  » Mais pour nous, la D1B ne constitue pas un souci en soi. Ça nous fait des petits déplacements. Et puis, en D1A, on piétine et on s’ennuie même un peu, faut l’avouer. Je n’ai pas l’impression que rester en D1A soit la meilleure chose pour nous.  » Des pensées à l’image du REM, peu sujet à la pression populaire.

Pour Patrick Declerck,  » remonter de D1B n’est jamais très facile. J’ai mangé avec le président Lambrecht de Lokeren avant Lokeren-Mouscron. Il m’a dit : ‘Ne descendez jamais en D1B. Vous ne saurez jamais quand vous remonterez.’ Et Yuri Selak de relativiser, encore :  » Tout n’est pas noir. La D1B est quand même visible. Charleroi est aussi descendu avant de repartir de plus belle. On s’attend déjà à faire une belle recette contre le Standard. Quoi qu’il arrive, on fera la fête à Mouscron.  » C’est l’essentiel.

PAR NICOLAS TAIANA – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Il vaut mieux être un club satellite que ne plus avoir de club du tout  » PATRICK DECLERCK, PRÉSIDENT DU CA

 » L’image du club aujourd’hui est plutôt négative. On est plus un club de transit, un hall de gare à proprement parler  » THIERRY VAN WEEHAEGE, SUPPORTER HURLU

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