Humour familial

A Liège, sur les traces de l’entraîneur national.

Waseige connaît bien la ville. Il observe Liège depuis les hauteurs depuis plus de 60 ans, de Vottem, de Sainte-Walburge et enfin de Rocourt. Trois quartiers, toujours sur les hauteurs.

La famille Waseige compte deux enfants, Lucienne et Henri, quand ils quittent Liège pour Borgoumont, près de Stavelot. Henri, qui aura 79 ans cette année, est flanqué de sa femme, Gérardine, avec laquelle il est marié depuis 56 ans. Leur bonheur fait plaisir à voir, comme la façon dont ils se tiennent encore la main. William, le fils cadet de Robert Waseige, suit la conversation et intervient. Il est curieux. Il va apprendre des anecdotes.

Henri, surnommé Riri: « Notre père souffrait d’asthme, d’où ce déménagement. Nous habitions une grande maison. Des bus amenaient les gens au sanatorium. Le chauffeur avait droit à un dîner s’il aidait les gens à manger. Notre mère tenait le restaurant et elle avait eu cette idée ».

La famille est retournée à Vottem, une entité de Herstal, quand la mère est tombée enceinte de Robert -un enfant sur le tard, puisqu’il a 16 ans de moins que son frère, Henri. Leur père, militaire, a été affecté à la caserne de Rocourt.

Nous retournons à Vottem, rue Vicinal, puis rue de l’Emancipation. Le frère et sa femme Gérardine posent devant la maison où Robert vit le jour.

Derrière, les terrains où jouaient les enfants. D’un côté de cette rue où s’alignent de petites maisons propettes, un terrain. Henri: « C’étaient les rails du vicinal, un train de marchandises. Plus tard, c’est devenu un dépôt ». Gérardine: « Ce train à vapeur passait deux fois par jour. A huit heures du matin et à six heures du soir. Il approvisionnait les différentes communes ».

Henri sauve la vie de Robert

A première vue, Vottem est une belle entité, un peu bourgeoise, dénuée d’industrie, contrairement à Herstal. Henri: « Nos parents n’étaient pas sportifs. Sûrement pas notre mère. Notre père aimait les pigeons. Il soignait ceux d’un citadin. Il menait une vie dure et aimait se reposer à la maison. Quand il faisait beau, il s’asseyait sur le talus, devant la maison. Les habitants s’y réunissaient pour bavarder ».

Gérardine: « Votre père a été en Angleterre pendant la guerre, il est revenu puis a été déporté en Allemagne. Ensuite, il a rejoint la caserne de Rocourt ». Henri: « Malgré sa carrière, il n’était pas sévère. Il n’avait pas grand-chose d’un militaire ».

Désiraient-ils un enfant, juste avant la guerre? Gérardine: « Je ne pense pas, non! Robert est venu, comme ça, sans que ça soit programmé, je pense ». Tout le monde rit. Henri, qui a parfois des problèmes de mémoire, précise: « Ma femme habitait là. Oh, je vous l’ai déjà dit? Enfin, vous voyez, elle ne pouvait pas m’échapper ». (Il rigole).

Comment ont-ils vécu la guerre? Henri: « J’étais déjà un jeune homme. Je travaillais dans la mine. Quand l’Allemagne nous a envahis, j’ai été appelé. J’avais le choix: ou j’allais travailler en Allemagne ou je restais à Liège et je travaillais dans la mine. J’ai préféré les mines, pour rester avec ma famille ».

William: « Raconte l’anecdote, quand tu as été bombardé et que tu as sauvé la vie de mon père ».

Henri se tourne vers sa femme: « Raconte, toi ». Il se tourne vers nous: « Elle est ma mémoire ». Gérardine: « Un jour, il se promenait avec Robert quand des avions allemands ont traversé le ciel. Ils ont mitraillé toute la rue. Mon mari a conduit la poussette sur le côté, à l’abri ».

La famille a-t-elle vécu des moments difficiles? Gérardine: « Quand même. Les conditions de vie étaient loin d’être idéales et il était difficile de se procurer une série de denrées de première nécessité ». Henri: « Nous avions des bons de nourriture. Un bébé avait droit à autant de lait, à autant de nourriture. Sur ce plan, ce n’était pas inhumain. Les adultes avaient une vie plus pénible. Nous nous sommes privés de nourriture pour que le bébé ne manque de rien ».

Que ressentent les adolescents lorsqu’ils sont confrontés à un bébé dont ils doivent s’occuper? Henri: « Ça s’est très bien passé. C’est ma soeur aînée, Lucienne, qui s’est surtout occupée de Robert. Nous l’aimions tellement que nous nous serions battus pour nous en occuper. Nous allions souvent le promener. Il donnait une main à ma soeur, l’autre à moi. Nous nous baladions dans tout Vottem comme ça ».

Lucienne, ainsi baptisée du nom de son père, Lucien, est décédée du cancer à l’âge de 47 ans. Le père Waseige est mort en 1978, suivi quatre ans plus tard par sa femme.

Un gars intelligent

Robert ne se plaisait pas à Vottem, lisons-nous dans le livre de Jean-Pierre Delmotte. Henri: « Je le comprends. Il n’y avait pas grand-chose à faire. Il y avait des terrains vagues, où on pouvait jouer au football, mais c’était tout. En plus, c’était la guerre ». Gérardine: « Peut-être est-ce la cause de ses mauvais souvenirs ».

La commune n’a pas vraiment été bombardée: les usines métallurgiques étaient situées de l’autre côté de la ville. Henri: « Mais des avions de chasse survolaient la ville et mitraillaient tout. Il y avait une caserne dans les environs, ainsi qu’un poste de gendarmerie. Une fois, j’ai eu de la chance ».

Gérardine: « Mon mari travaillait la nuit et il dormait la journée. Un jour, on a pris d’assaut la caserne. Henri s’est levé et est allé voir l’ampleur des dégâts. A son retour, il a vu un énorme trou dans son lit. L’impact d’une balle ». Henri: « Si j’étais resté au lit, j’aurais été tué ».

Quel genre d’enfant était Robert? Gérardine: « Bien ». Henri: « Sage, brave ». (William rit).

Etait-il gâté? Henri: « Pas vraiment. Il a rapidement pris part aux conversations des adultes. Robert était très intelligent. Sinon, nous l’avons gâté, à notre façon. Pas matériellement, car la famille n’en avait pas les moyens, mais il n’a pas manqué d’attention ni d’amour. Nous le suivions, le protégions. Robert vous le confirmera si vous l’interrogez ».

Leur mère a travaillé un moment, dans un magasin, en ville. Elle y vendait du poisson et de la volaille. Henri: « Le magasin marchait bien. Elle avait une fameuse clientèle. Plus tard, Robert a travaillé pour une société d’assurance et comme représentant de Puma. Je crois qu’il tenait ce don du commerce de notre mère. Elle avait vraiment ça dans la peau. Il a hérité de son caractère. Il lui ressemble beaucoup. Il est très intelligent et il s’intéresse à bien d’autres choses qu’au sport ».

Gérardine: « Robert a eu un accident à l’âge de cinq ou six ans. Un homme en état d’ébriété l’a fait tomber du tram alors qu’il s’apprêtait à en sortir. Robert est tombé sur la tête et, peu de temps après, on a diagnostiqué une déchirure d’un rein. Il a dû subir une volée d’examens et prendre du repos. Durant cette période, il a beaucoup lu ».

Le sport et le football n’étaient pas tellement appréciés dans la famille. La mère préférait orienter Robert vers la lecture, l’opéra, le théâtre. Henri: « Notre mère était férue de culture. Un frère de mon père était passionné de moteurs et de vitesse. Quand nous habitions dans les Ardennes, oncle Léon et ses amis venaient nous rendre visite. Toujours en moto. Je n’aimais pas tellement et Robert encore moins. Pour nous, un vélo suffisait. Sans oublier les livres ».

Qui est Sainte-Walburge?

Après la guerre, la famille a déménagé à Sainte-Walburge, un quartier plus proche de la ville, dont la citadelle domine le centre. Si Vottem est une commune de la périphérie, maintenant nettement coupée de la ville par la route, Sainte-Walburge fait vraiment partie de Liège. Les maisons y sont petites, mignonnes, pas vraiment ouvrières, mais elles ne débordent pas de luxe. Ce sont des maisons mitoyennes avec un jardin. La rue Xhovémont, la première résidence de la famille, est pentue. Elle plonge littéralement vers le centre. Avec ses vieux pavés, elle constituerait un endroit idéal pour l’arrivée de Liège-Bastogne-Liège, pensons-nous en voyant un cyclotouriste se hisser en haut de la rue.

Ensuite, nous empruntons la rue des Tawes, où Robert et Aline ont emménagé après leur mariage et où ont grandi les trois enfants.

William soupire devant la porte: « Que ne donnerais-je pas pour pouvoir entrer encore une fois ».

Les Waseige savent-ils qui était Saint-Walburge? Ils s’observent, interloqués. Ils ne connaissent pas l’histoire de la fille du prince anglo-saxon Richard, qui est entrée au couvent et est devenue abbesse en Allemagne.

Les trois générations Waseige, le père, le fils et les trois enfants du sélectionneur, ont tous fréquenté la même école, qui a été rebaptisée du nom d’un résistant, Justin Bloom. L’ancienne génération se rendait à pied à l’école, en empruntant un chemin qui passait par le cimetière. Les cadets habitaient à peu près au coin.

En face de l’école, une église, mais les Waseige n’étaient pas des grenouilles de bénitiers. Henri: « Nous avons été baptisés, nous avons fait notre communion mais nos parents n’allaient pas à la messe et nous encore moins ».

Gérardine: « A la demande de sa femme, qui est protestante, Robert s’est converti à sa religion. Ils se sont mariés devant l’église protestante et ont élevé leurs enfants dans cette religion ».

William: « Les protestants n’ont pas de pape, les règles sont moins strictes. Je ne sais pas si ça convenait mieux à mon père. Je pense qu’il l’a fait pour faire plaisir à ma mère. A l’école, j’ai suivi le cours de religion jusqu’à 12 ans, mais en humanités, j’ai pris l’option morale ».

Robert a choisi le football, Henri a embrassé le rugby. « Nous nous entraînions tous les jours au Parc Astrid de Liège. Il n’y avait pas de club en ville. C’est moi qui ai fondé la section rugby du Football Club Liégeois. J’avais 37 ans ».

William: « Tu as commencé à jouer au rugby si tard? »

Gérardine: « Que veux-tu, il n’y avait pas de club en ville! »

William: « Incroyable ».

Henri: « Je faisais de la gymnastique avec Gérardine. En rugby, j’étais centre dans la troisième ligne. Ça demandait pas mal de force ».

Gérardine: « Il a joué au rugby jusqu’à ses 43 ans ».

Un footballeur dur et correct. Un pied gauche.

Robert a donc choisi le football. Henri: « Je l’accompagnais aux entraînements. Quand mon père avait terminé son travail, comme la caserne était proche, il venait nous rechercher au stade. Nous revenions ensemble à la maison. Comme une vraie famille. Nous conservons d’excellents contacts, toujours maintenant. Robert est un gentil garçon ».

Tout le monde éclate de rire. Henri: « Un chouette frère. Voilà, ça sonne mieux? »

Henri et Julien, leur père, ont suivi avec attention les progrès du petit dernier. Henri: « Nous étions aux anges de voir Robert émerger en équipe fanion. Je trouvais qu’il était fantastique. Ce n’est pas vrai? Dur, décidé, mais correct, sans jamais vouloir blesser les autres. Un pied gauche ».

Alors que Robert a consacré toute sa vie au football, Henri a travaillé en ville, comme jardinier. Alors que nous rejoignons la voiture, il nous interpelle: « Voyez-vous les arbres, le long du boulevard de la Sauvenière? C’est moi qui les ai plantés. Malheureusement, ils vont bientôt disparaître ». Il a ensuite obtenu un poste à la bibliothèque communale. Henri: « Un travail fantastique. On sonnait, je recevais une liste de livres que je cherchais. Je courais beaucoup ».

Avant, les deux frères se voyaient régulièrement. Depuis quelques années, les liens se sont un peu relâchés. Riri sort moins souvent. Le couple n’a pas assisté à la grande fête qu’ont organisée les trois fils Waseige à l’occasion des 60 ans du sélectionneur.

Gérardine: « La veille, j’avais enterré ma soeur. L’heure n’était pas aux réjouissances ». Henri: « Pour le moment, nous le voyons peu. Il est rarement chez lui. Il a une vie très chargée. Celle que je plains, c’est Aline, sa femme. Elle passe de longues journées seule. Mais il ne nous oublie pas. Il s’est rendu à trois reprises au Japon et, chaque fois, il nous a envoyé une carte. Je trouve ça chouette ».

Le sélectionneur était-il populaire auprès des filles? Henri regarde Gérardine: « Non, pas vraiment. Les filles couraient après d’autres gars du voisinage. Je ne me souviens pas bien de la vie amoureuse de Robert ».

William: « Mes parents se sont mariés alors que mon père avait 20 ans et ma mère 18. Je pense qu’ils se connaissaient depuis quelques années ».

Ce n’était pas un sorteur

Nous passons devant une église où des ouvriers construisent un mur. Riri résume: « Comme ça, plus personne ne pourra s’enfuir ». L’humour est génétique car un peu plus tard, lorsqu’on aperçoit un défaut dans l’asphalte, Henri marmonne: « Le bonhomme qui a tracé les lignes était saoul… Notre mère aimait plaisanter, comme mon père. A table, quand quelqu’un lançait une blague, les autres se creusaient la tête pour riposter. C’était amusant. Robert était un garçon facile à élever. Il ne sortait pas souvent. Il se contentait d’une sortie au cinéma ou d’une brève incursion en ville ».

Gérardine: « Il n’y avait évidemment pas autant de possibilités de sortie que maintenant. Pas de discothèque. Je me souviens que pendant l’Expo 1958, nous nous rendions une fois par semaine à Bruxelles ».

Le couple a été surpris en apprenant la désignation de Robert Waseige comme sélectionneur, il y a trois ans. Henri: « J’espère qu’il va poursuivre son travail. J’ai été heureux qu’il reçoive cette chance, car on lui a proposé le poste à un moment auquel il n’y croyait plus lui-même ».

Les frères parlent-ils de football? Henri: « Le moins possible. Je crois que ça l’accapare déjà assez comme ça. Il y a déjà assez de gens qui lui demandent son avis ou lui posent des questions pour que je m’y mette. Je ne vais plus au stade. Je regarde la télévision. Je ne veux pas l’embêter. Nous avons cessé de suivre le football quand Frédéric a été transféré de Liège à La Gantoise ».

Mais vous avez bien un avis sur les Diables Rouges? Henri: « Oui. Je trouve qu’il a une bonne équipe. (Il rit).. Que voulez-vous que je dise? »

William: « Si tu la trouves mauvaise, tu peux le dire franchement. Tu ne dois pas être aveugle sous prétexte que ton frère est sélectionneur. Encore que tu as raison; elle n’est pas si mauvaise ».

Henri: « Pas mal, oui ». Il se prend au jeu. « Quelle question voulez-vous me poser? »

Un pronostic?

Henri: « Un bon classement. Parmi les quatre ou cinq meilleurs. Non? William, pourquoi ris-tu? »

William: « Je le souhaite de tout mon coeur, je voudrais même qu’il remporte la Coupe du Monde mais nous devons être réalistes: ce ne sera pas facile. »

Gérardine: « Non, car j’entends beaucoup de compliments sur les adversaires, à la télévision. »

Henri: « Nous sommes très fiers de lui. Comment peut-il en être autrement, avec un frère pareil? »

Peter T’Kint, ,

Ses frère et soeur se seraient battus pour s’occuper de bébé Robert

« Robert a hérité du don du commerce de notre mère » (Henri, son frère)

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