Hors LIMITES

On dit le sport bon pour la santé mais jamais les décès de cyclistes et de footballeurs n’ont été aussi nombreux. L’avis du cardiologue Johan Van Lierde.

M arc-Vivien Foé, Miklos Feher et Serginho (football), Raimonds Jumikis (basket) ou Steve Vermaut, Tim Pauwels et Bart Heremans (cyclisme). Les noms de sportifs morts des suites d’un problème cardiaque ces derniers temps.

 » Et d’autres suivront, encore plus en cyclisme qu’en football « , avertit JohanVanLierde, cardiologue hospitalier à Genk, président de la section jeune du Racing local et de la commission médicale de l’UCI.  » Mais ce que la population gagnerait à pratiquer massivement du sport reste nettement supérieur aux risques éventuels « .

Van Lierde :  » Même si chaque sportif mort est de trop et que ça m’émeut, la circulation fait plus de dégâts « . C’est un peu paradoxal : le sport est sain, donc les sportifs de haut niveau devraient être en pleine santé. Or, certains ont des problèmes. Chaque décès entraîne une litanie de rumeurs.  » Les récits de dopage ou d’antécédents médicaux impressionnent les gens. Le recours à certains produits peut provoquer des troubles cardiaques mais soyons clairs : cette série noire n’a rien à voir avec le dopage. On a procédé à des examens toxicologiques post-mortem, sans rien trouver. Quand un tel drame survient, tout le monde a son avis : journalistes, sportifs, famille, monde scientifique, ministre. Cela libère beaucoup d’énergie « .

Les décès dans le sport ne sont pas un problème scientifique simple. Van Lierde :  » Dans les années 80 et 90, en lisant la littérature médicale, un cardiologue avait l’impression qu’on savait tout. Les Américains ont publié des études qui révélaient des déformations cardiaques, des anomalies dont souffrent aussi les gens normaux. Donc, pour prévenir tout problème, il fallait procéder à des examens et exclure du sport les gens atteints d’une malformation. A cette époque, suivant le mouvement, j’ai fait des tests et j’ai été confronté à des sportifs atteints de problèmes très graves. D’autres professeurs ont examiné des sportifs, souvent des coureurs, actifs depuis des années, chez lesquels on n’a décelé des troubles sérieux qu’après plusieurs examens. Ils étaient brusquement tombés, par exemple, et avaient repris conscience à terre. Ou leur pulsomètre passait d’un coup à 230 puis redevenait normal. Etaient-ils près d’une ligne à haute tension, y avait-il des interférences ? De fil en aiguille, nous nous sommes convaincus que l’accumulation de la surcharge cardiaque engendrait une sorte de dommage, plus manifeste en fonction de la durée et l’intensité de l’effort. Il peut provoquer des arythmies, surtout chez les sportifs d’endurance explosifs comme les cyclistes. Le triathlon et la course d’orientation sont aussi concernés « .

Selon van Lierde, il est difficile de convaincre le monde scientifique de ce problème.  » Après beaucoup de congrès et une publication dans EuropeanHeart, où j’ai présenté une cinquantaine de cas, avec des collègues, on commence à admettre que des sportifs ne meurent pas seulement d’une affection innée mais que d’autres ne paient pas leur tribut par une hanche abîmée mais par un dysfonctionnement cardiaque. Leur c£ur n’est pas foutu car c’est un moteur à la mécanique parfaite. Le problème se situe au niveau de l’électronique, disons, qui provoque des troubles du rythme « .

Les scientifiques ne sont pas d’accord

Que peut faire le monde médical pour diminuer le nombre de morts ? Théoriquement, il faudrait contrôler tous les sportifs régulièrement.  » C’est cher et les problèmes peuvent échapper aux examens de routine. Il faut opérer une sélection. Tout coureur qui veut une licence doit remplir un questionnaire de 19 points avec son médecin. Des membres de sa famille sont-ils décédés brutalement à moins de 35 ans ou ont-ils un pacemaker ? Prenez-vous des anti-tenseurs ?… Une réponse affirmative implique un examen par un cardiologue « .

Plus important encore, il faut expliquer aux sportifs et à leur entourage que le c£ur est l’organe le plus sollicité.  » Il faut leur dire qu’il n’est pas normal que le pouls passe de 150 à 230 puis redescende à 150. Ce n’est pas banal. Il faut être attentif à des douleurs brusques dans la cage thoracique ou à l’impression de perdre connaissance. Quand un problème majeur se présente, on apprend généralement que des plaintes de ce genre l’ont précédé « .

Il n’est pas toujours simple de démontrer que des troubles du rythme sont à l’origine des plaintes.  » Il ne faut pas être un savant si quelqu’un a perdu connaissance trois fois et qu’au moindre effort, on constate des anomalies. Si cela arrive dans la dernière étape d’une course, l’électrocardiogramme ne révélera sans doute rien, pas plus que des examens approfondis. A la limite, vous êtes confronté à un coureur qui veut absolument poursuivre son métier. En tant que cardiologue, je ne puis accepter une chose : des courses en côte de quatre ou cinq heures, par 35°, alors que les coureurs sont déshydratés. Ceci dit, présenter des tests normaux et conseiller d’arrêter le sport est très difficile à faire passer « .

NicoMattan est un exemple tout trouvé.  » On lui conseille d’arrêter puis d’autres médecins disent qu’il n’a aucun problème. Il roule à fond, gagne le prologue de Paris-Nice puis le GP de France à Plouay. Il est normal que les gens se posent des questions : – Avec un palmarès pareil, qu’a-t-il au c£ur ? Mais si ça va mal le lendemain, on dira que les médecins n’y connaissent rien. Là, vous êtes mal pris car vous véhiculez un message qui est mal perçu même par la communauté scientifique. Des magazines auxquels j’avais envoyé des articles m’ont répondu : – Très intéressant mais nous ne pouvons les publier car c’est trop alarmant pour la communauté sportive « .

Dernière difficulté :  » Convaincre les gens d’arrêter ne suffit pas. Le dommage provoqué ne disparaît pas complètement même si nous sommes plus agressifs qu’avant en matière de traitement « .

Raoul De Groote

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