HIER, L’ENFER…

Le T2 a volé dehors après le départ de Demol : il trouve ça logique et ça le soulage…

T 2 de juin à octobre 2009. Aux côtés de Stéphane Demol qui lui avait demandé de le suivre à Charleroi.

T1 en novembre, l’espace de trois matches. Suite au départ de Stéphane Demol et en collaboration avec Mario Notaro : Charleroi avait officiellement deux coaches principaux.

T plus rien depuis début décembre : le Sporting a viré Michel De Wolf (51 ans) et l’a remplacé par Tibor Balog pour assister Tommy Craig.

On s’attend à rencontrer un homme déconfit. Erreur : De Wolf reste De Wolf. Un gars souriant au discours tranchant et à l’accent rocailleux. Et surtout : un type soulagé. C’est parti pour une sacrée confession intime.

Vous êtes sans boulot sous un froid polaire alors que Charleroi s’entraîne sous le ciel bleu du Portugal : c’est dur ?

Michel De Wolf : Alors là… Pas du tout ! Je ne suis plus à Charleroi, je n’ai plus ce club en tête, je ne m’intéresse même plus à ses résultats. La page est tournée et c’est très bien comme ça. Je dois dire que je suis… assez content. Dès que Demol est parti, c’était fini pour moi. Mon expérience d’entraîneur principal ne me laisse vraiment pas des souvenirs extraordinaires. Qui était le patron sportif ? Notaro ou moi ? Je n’en savais rien moi-même. On ne nous avait rien dit de clair. C’était impossible de prendre de vraies décisions. Quand Notaro pensait blanc et moi noir, on ne prenait tout simplement pas de décision. Tout le monde était dans le flou : Notaro, les joueurs et moi. Ce n’était pas vivable. Je te donne un exemple concret. A Mouscron, Badou Kéré était dans la panade. Je voulais le remplacer, Notaro trouvait que c’était mieux d’attendre. Donc, Kéré est resté sur le terrain. Lui-même était étonné qu’on ne le fasse pas sortir. En attendant, nous discutions beaucoup sur le banc et tout le monde le voyait. Ça ne faisait pas très sérieux. Pour ce match à Mouscron, il y a même eu trois T1 sur la soirée : j’ai composé l’équipe de départ avec Notaro, puis Craig, qui s’était installé dans la tribune pour la première partie du match, est venu dans le vestiaire à la mi-temps et a pris des décisions. C’était très spécial.

Anes, banlieue et peaux de bananes

En octobre, vous m’aviez déjà dit que vous resteriez tout au plus une saison à Charleroi parce qu’il était impossible de travailler dans ce club.

J’en ai souvent discuté avec Demol : lui aussi a très vite compris que ce serait dur de rester plus d’une saison. Les conditions de travail étaient difficiles et nous étions aussi conscients que tout pourrait aller très vite si les résultats ne suivaient plus.

Pourquoi n’ont-ils plus suivi après un bon début de championnat ?

Tout le monde s’est sans doute installé dans une certaine facilité, le staff comme les joueurs. Quand une équipe ne gagne plus, la mentalité change. On ne se bat plus pour son coéquipier, il y en a qui sont mécontents parce qu’ils ne jouent pas. Et comme il y a beaucoup d’enfants gâtés dans ce vestiaire, c’était encore plus compliqué.

La mentalité du vestiaire est le plus gros problème de Charleroi ?

C’est une explication à la saison difficile mais il y en a une autre qui compte autant : la direction fait en sorte que le staff n’ait pas assez d’emprise sur le groupe. C’était encore plus vrai pour Notaro et moi que pour Demol. Pour les joueurs, nous ne représentions rien. Dans leur esprit, nous n’étions que deux adjoints, une solution transitoire. Le club cherchait un nouveau T1, c’était officiel. Et dans ce club, le coach principal ne sait jamais ce qu’il peut faire et ce qu’il ne peut pas faire. Parce qu’au moindre petit événement dans le vestiaire, l’un ou l’autre joueur prend son téléphone et appelle Mogi Bayat. Ou il va le trouver directement dans son bureau. Il arrivait par exemple que des joueurs l’appellent pour dire qu’ils étaient un peu blessés et qu’ils ne pouvaient pas s’entraîner.

L’intrusion constante de Mogi dans le travail sportif, c’est un frein pour l’évolution du club ?

J’imagine mal Herman Van Holsbeeck s’occuper comme ça du travail de son coach à Anderlecht. De son temps, Michel Verschueren foutait aussi la paix à ses entraîneurs. Il ne descendait dans le vestiaire que dans les moments où les résultats étaient vraiment mauvais. A Charleroi, le manager se pointe tous les jours. Et s’il ne vient pas, des joueurs vont le trouver. Un autre problème dans ce club est qu’on n’arrête pas d’acheter et de vendre. Et on essaye de faire de l’argent avec tout. Même avec des ânes. Charleroi n’achète pas cher mais il y a une vérité incontournable : les joueurs peu coûteux sont souvent des joueurs à problèmes. Et au staff, on demande de faire des chevaux de courses avec les ânes.

C’est le vestiaire le plus difficile que vous ayez connu depuis que vous êtes dans le football ?

(Catégorique). Oui ! Beaucoup de joueurs ne sont pas contents. Mais qu’ils acceptent de voir la réalité en face : dans quel autre club pourraient-ils aller avec une mentalité pareille ? Soit ils changent énormément, soit ils restent toute leur carrière à Charleroi. Au niveau de l’indiscipline, j’ai assisté à des trucs que je n’avais jamais vus. Après un match amical pendant l’été au Brussels, notre vestiaire était dans un état lamentable. Des joueurs avaient jeté notamment leurs peaux de bananes à terre. C’était habituel pour eux. Il y a des poubelles à deux mètres mais ça ne les intéresse pas. Le Brussels a même mis les photos sur son site. Moi, j’en avais tellement marre de leur demander d’être propres qu’à la fin, je nettoyais moi-même le vestiaire.

C’est la banlieue qui fait la loi dans le vestiaire ?

Peut-être pas, mais c’est en tout cas la banlieue qui fait l’ambiance. Je pourrais citer cinq gars qui posent beaucoup de problèmes et se tiennent très fort. Moi, j’étais un salopard sur le terrain, j’avais un caractère très fort et je disais toujours ce que je pensais. Mais je donnais le ballon à des coéquipiers avec lesquels je ne m’entendais pas. A Charleroi, ce n’est pas comme ça. Quelques gars jouent entre eux, il faut que les gens regardent ça à la télé, c’est frappant : Hervé Kagé, Geoffrey Mujangi Bia, Adlène Guédioura, Pelé Mboyo. Même à l’entraînement, ils se font les passes entre eux. Pourquoi Alessandro Cordaro est boycotté ? Parce qu’il joue à la même place que Mujangi Bia.

 » Ferme ta gueule, tu es payé pour te taire « 

Quand avez-vous compris que ce serait très compliqué pour le staff ?

Vers la mi-octobre, quand l’affaire Guédioura a éclaté. Il nous avait déjà posé des problèmes avant ça, notamment par des retards à l’entraînement. Mais là, il s’est battu avec Majid Oulmers à la sortie du stade, il y avait déjà eu des étincelles pendant l’entraînement. Demol a dû les séparer et il a logiquement pris position : il ne voulait plus entendre parler de Guédioura. Il y a eu une réunion avec les joueurs : plus personne n’en voulait dans le groupe. La direction l’a écarté pour deux semaines. Et quand il est revenu, Demol a démissionné. C’était très clair : Guédioura devait retrouver le groupe, il devait revenir dans l’équipe et même jouer médian défensif car c’est comme ça que le club aurait les meilleures chances de le vendre pour un bon prix. Un des problèmes pour le staff, c’est que Guédioura n’a même pas le profil d’un vrai milieu défensif. Il fait trop ce qu’il a envie de faire, il part trop facilement vers l’avant, il prend plein de risques, il refuse de jouer simple, il essaye des passes à 50 ou 60 mètres.

L’affaire Guédioura, c’est la véritable raison du départ de Demol ?

Oui. En tout cas, ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Quelle était encore son autorité sur le noyau après le retour de Guédioura ? On a affaibli tout un staff. Je l’ai fait remarquer à Mogi. Il m’a dit : -Ferme ta gueule, tu es payé pour te taire. Dès ce jour-là, je savais que c’était fini pour moi. J’ai été très surpris de tenir encore un mois et même d’être promu entraîneur principal ! (Il rigole).

Demol serait encore à Charleroi aujourd’hui s’il n’avait pas démissionné ?

Je pense qu’il serait parti tôt ou tard. Je le voyais de plus en plus tracassé, ce n’était plus le même Demol qu’en début de saison, il était beaucoup moins naturel.

Vous êtes d’accord quand on dit qu’il s’est grillé dans le foot belge en démissionnant par sms ?

Pas du tout. Les dirigeants des clubs belges sont suffisamment intelligents pour voir le nombre d’entraîneurs qui se sont cassé les dents à Charleroi depuis dix ans. Demol n’a pas fait exception, c’est tout.

Craig, un choix surprenant. Pour tout le monde !

Vous en êtes vraiment venu aux mains avec Mogi ?

Non. Si je le touche, il est vite à terre.

D’où est partie cette rumeur ?

Je n’en sais rien. Du club, peut-être.

Mais il y a quand même eu un gros incident ?

Oui, une discussion très animée. Mogi nous reprochait, à Notaro et moi, de ne rien faire. Il nous accusait de ne pas être productifs dans le scouting. Et il exigeait que nous ne quittions le stade qu’après le dernier joueur, même s’ils passaient leur fin de journée à faire un tournoi de ping-pong ! Je lui ai répondu, il s’est énervé et a dit à Demol de me faire sortir. Stéphane a refusé. Puis il a demandé à son frère Mehdi de me mettre dehors. Lui aussi a refusé. Mogi est un bien pour le club s’il se limite à l’aspect financier. Dès qu’il se mêle du sportif, ça foire. Combien d’entraîneurs ne sont pas restés longtemps à Charleroi à cause du même problème ?

Sur son site officiel, le club parle d’une séparation de commun accord.

On m’a dit que le staff mis en place par Demol avait échoué et qu’il fallait du changement. Jusque-là, je les suivais dans leur raisonnement, c’était logique. Mais quand on m’a demandé d’entraîner les -19, je n’étais plus d’accord. Mogi m’a dit qu’il avait le droit de le demander, vu le contenu de mon contrat. Je lui ai répondu qu’il mentait, que mon contrat mentionnait explicitement une fonction avec l’équipe pro. Alors, il a décidé de me licencier et nous avons trouvé un terrain d’entente. Une partie a déjà été réglée mais je crois que leur calcul n’est pas tout à fait juste. J’irai voir prochainement le syndicat pour qu’il refasse les comptes. Mais bon, je n’en fais pas une fixation : c’était tellement pénible à vivre que je suis vraiment heureux d’avoir quitté Charleroi.

Votre état d’esprit au moment où vous videz votre casier ?

J’étais plus soulagé que déçu. Ma seule déception, c’était d’abandonner un bon staff et quelques chouettes joueurs.

Quel genre de contacts avez-vous eus pendant votre courte collaboration avec Craig ?

Tout se passait bien mais je n’avais plus grand-chose à faire. Je ne faisais qu’observer, il ne me consultait jamais.

Le choix de la direction vous a surpris ?

Oui, et tout le monde a été surpris dans le vestiaire. Craig avait quand même déclaré en fin de saison dernière qu’il avait vu ce que c’était de travailler dans un club pareil, non ? John Collins était parti pour les mêmes raisons.

Quel est le danger de descendre ?

Pour cette saison, il ne faut pas s’en faire. Quel est encore le danger depuis la disparition de Mouscron ? Il n’y a plus de descendant direct, seulement un club qui jouera les barrages. Et Roulers est tellement faible… Je pense que Charleroi souffrira jusqu’à la fin mais ne sera pas vraiment menacé. C’est in-concevable, en tout cas. Il y a tant de qualités techniques dans ce noyau. A ce niveau-là, le Sporting est un club du top en Belgique. Mais il y a beaucoup de joueurs qui aiment trop le ballon et ne sont pas suffisamment intelligents. En plus d’une mentalité qui laisse méchamment à désirer. Ça fait beaucoup. C’est anormal de devoir dire continuellement à des joueurs de D1 où ils doivent se placer et se déplacer. J’en vois dans tous les clubs mais j’ai l’impression que Charleroi est particulièrement touché. Il y en a qui sont incapables d’enchaîner des petits sauts au-dessus de sept ou huit ballons. Ils finissent chaque fois par en toucher un. Comme s’ils n’avaient jamais appris la coordination des mouvements. D’autres ne savent pas ce qu’ils doivent faire de leurs bras quand ils courent. D’autres encore n’ont jamais appris à sauter. Si on doit apprendre à des pros à shooter (ce qu’Abbas Bayat nous demandait quand l’équipe ne marquait pas…), il y a un gros problème et ça veut dire que notre football est vraiment tombé très bas. La génération PlayStation et internet s’est installée en D1. Quand j’étais gosse, j’allais voir les matches du RWDM. J’étais arrière gauche, donc je me focalisais sur le back gauche de l’équipe Première. Aujourd’hui, on regarde l’ensemble du match et on se braque sur les actions spectaculaires en se disant qu’on va essayer de faire la même chose à l’entraînement suivant…

« Charleroi essaye de faire de l’argent avec tout. Même avec des ânes. »

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