« Heureux pour le Standard « 

Que devient l’ancien numéro 1 liégeois après avoir tourné Foot and the City à Wevelgem ?

Il fut un temps où Gilbert Bodart fendait les mers du football belge et international avec la fierté et la puissance des plus grands paquebots. Des drôles de remorqueurs l’accompagnaient parfois à l’entrée de ports de D1. La vie et ses problèmes, le destin et ses avatars l’ont obligé à réduire drastiquement la voilure de cet homme en forme. Dès qu’il le peut, un bon jogging figure à son programme… même si les cigarettes défilent dans le cendrier.

Le matin de cette rencontre, une dépêche a annoncé le décès du chanteur Jeff Bodart. Il n’y aucun lien de parenté entre l’interprète de Coûte que coûte ou SOSbarracuda et Gilbert mais le moment est étrange…

 » Je suis passé par tous les états d’âme « , reconnaît-il.  » J’ai songé au pire mais ma femme et mes enfants m’ont aidé. Ils sont ma force. Au plus profond de ma traversée du désert, j’ai envisagé de tourner la page du football : impossible. J’ai fait quelques placements mais ce n’est pas mon truc. Je n’ai rien connu d’autre que le foot. J’ai beaucoup réfléchi. J’espère remonter la pente en Belgique ou à l’étranger. Certains ne m’accordent pas de crédit. Je ne veux pas revenir sur le passé. La justice fera son travail. Je maintiens que j’ai été une victime et presque tout ce qui a été écrit à mon propos était faux. J’ai cru que j’étais plus fort que les menaces sur mes proches. C’était une erreur. Je sais ce que j’ai fait et dans quelles circonstances : pour moi, La Louvière a été une catastrophe humaine et sportive. Etre snobé aujourd’hui par des gens bien en place qui n’ont pas été des enfants de ch£ur, cela me touche.

Je ne parle pas de revanche. Retrouver le plus haut niveau constituerait une satisfaction. Eric Gerets, Michel Preud’homme et d’autres ont aussi été massacrés après l’affaire de corruption Standard-Waterschei en 1984. Ils sont revenus, plus forts qu’avant. Je suis leur exemple. Il y a encore du chemin, mais j’existe encore. Je ne suis pas dans la dèche… même si cela fait plaisir à certains de le dire ou de le croire ! J’ai vendu ma maison de Verlaine. Ma femme entendait tourner la page et ne voulait plus y vivre : il fallait oublier les mauvais souvenirs. Non, nous ne vivons pas dans un deux-pièces. C’est pas bien chez nous ? Le grand air, la nature, les prés. Tôt le matin, je vois parfois des biches et des renards. Je n’ai pas reçu d’autre journaliste que vous ici. Et je préfère ne pas faire de photos… C’est mon univers et celui de famille : cela se protège « .

Le roi des océans est devenu un caboteur qui ne peut plus quitter les phares des yeux. Il a déposé durant un an et demi sa sueur et ses espoirs de jours meilleurs sur les quais de Wevelgem City, dans le Texas flandrien, entre Courtrai et Mouscron. Bodart répondait à l’appel de Tony Coorevits qui, à l’époque où il était dirigeant de Courtrai, l’avait déjà courtisé. Coorevits fut écarté et Bodart accepta l’offre de La Louvière. On connaît la suite. Quand Coorevits se retrouva à Wevelgem City, il songea à nouveau à Gilbert Bodart qui n’avait pas de club.

Du bon travail à Wevelgem

 » Cela s’est terminé en queue de poisson mais je suis fier du travail que j’ai abattu à la tête de ce club « , affirme Bodart.

 » C’était l’occasion de remettre le pied à l’étrier. Peu importe que ce soit en Promotion. On l’oublie mais j’ai forcé les portes de la D1 en coachant Ostende. Je savais que cette série promotionnaire était intéressante. On peut y trouver pas mal de joueurs qui pourraient tenir la distance en D2 et même en D1. J’en connais qui sont capables de le faire, à condition de travailler et de croire en leurs possibilités. J’ai été reçu avec beaucoup de gentillesse dans le fond des Flandres. Les supporters m’ont ouvert leurs bras. J’étais en manque, j’avais tellement besoin de foot et de travail. J’ai tout donné en échange de cet accueil. Joueur, je n’étais pas un bourreau du boulot en semaine. J’ai compris plus tard que c’était une erreur. Je le dis souvent à mes joueurs. Cette saison, notre effectif avait tout pour prendre le chemin de la D3. Cela s’est vérifié par le gain de la première tranche. La suite fut, hélas, moins drôle mais je ne peux pas en vouloir à Wevelgem qui s’est retrouvé sans un sou. Les joueurs n’ont plus été payés durant des mois. Au fil du temps, le vestiaire s’est vidé. J’ai même dû jouer un match et aligner des Scolaires que je ne connaissais pas. Malgré cela, l’équipe a gardé la tête hors de l’eau jusqu’au moment où tout se décida sur le tapis vert : un des jeunes que j’ai alignés était suspendu pour excès de cartes jaunes. Comme cela s’était passé avec son équipe d’âge, je ne le savais pas. Personne ne m’a rien dit. Ce n’était pas mon rôle de vérifier de tels détails.

Wevelgem a perdu des points précieux de la sorte et s’est retrouvé dans une situation abracadabrante : obligé de disputer les barrages pour échapper à la chute en série provinciale et qualifié pour le tour final donnant accès à la D3. Pour moi, c’était trop. Il était impossible vu la maigreur du groupe de réussir quoi que ce soit de bon. Ma mission était terminée : j’ai gagné une tranche et prouvé que notre noyau du début de saison avait la taille D3. Je ne pouvais plus continuer à bosser de la sorte. Je ne percevais plus de salaire. Je n’étais jamais certain d’avoir du monde aux entraînements. Cela use de motiver sans cesse des gars qui ne voient pas la couleur de leur argent. J’en connais qui ont continué rien que pour moi. Les premiers à décrocher ne furent autres que les joueurs de la région. Je devais parcourir 400 km pour un entraînement ou un match. Quand on paye soi-même le plein, cela finit par coûter très cher et on se pose pas mal de questions lors de ces heures passées au volant. Maintenant, j’attends une offre. C’est pas évident. Mais je trouverai quelque part en Belgique ou à l’étranger. Jean Tigana a failli signer en Angleterre et j’aurais pu y être son adjoint. La saison passée, j’ai eu une offre de Tunisie mais je n’étais pas prêt. De plus, ma femme ne veut plus déménager : c’est trop compliqué pour la scolarité des enfants. Mais mon avenir sportif passera par l’étranger… même si je devrai me résoudre à laisser les miens en Belgique « .

Dix ans loin du Standard

A la fin du premier tour, le nom de Bodart a circulé à l’Antwerp qui n’était pas satisfait de son entraîneur anglais, Warren Joyce. Ce dernier redressa alors la courbe des résultats et sauva temporairement sa tête. La vie de Bodart a souvent été synonyme de tragédie. A 19 ans, il débute dans la cage du Standard et fait la fierté de son père, Jean, qui fut notamment gardien de but à Tilleur, en D1. C’est un surdoué mais il est bloqué par Michel Preud’homme. Son ciel se dégage en 1986 quand MPH prend la direction de Malines. C’est la fin de l’alternance entre les deux amis. Preud’homme se pare du titre à Malines, chausse de l’or au pied, gagne la Coupe des Coupes, devient le numéro un en équipe nationale et est élu meilleur gardien du monde. Bodart est devenu le gardien du Standard mais c’est quasiment tout. Malgré des efforts importants et quelques championnats de haut vol, le Standard de Bodart-la-guigne passe toujours à côté de la montre en or. La Coupe de Belgique de 1993 constitue à peine une consolation.

Le comble de la frustration est atteint deux ans plus tard. Malgré un match hésitant en équipe nationale, personne d’autre que lui ne mérite le Soulier d’Or. Paul Okon le priva de ce bonheur par on ne sait quel tour de magie. Cette injustice évidente le marque au fer rouge. En 1996, il quitte le Standard et signe une excellente saison à Bordeaux. Bodart revient à Sclessin alors que Luciano D’Onofrio prépare une sorte d’OPA. Il y a 10 ans, ce changement de régime le précipite à nouveau sur les chemins de l’exil. 1998-2008, le Standard a beaucoup changé sans lui et a enfin remporté le titre avec… MPH.

 » J’ai fait ce que j’ai pu pour le Standard qui reste mon club « , dit-il.  » Le Standard a été excellent tout au long de la saison. Ce titre est mille fois mérité. J’ai été envahi de bonheur le jour du sacre. Quand je me promène en ville, beaucoup me félicitent comme si je ne l’avais jamais quitté. Chapeau à Michel. Ce titre ne doit rien au hasard. Le Standard a travaillé des années. Je me suis rendu à l’Académie Robert Louis-Dreyfus où j’ai découvert un véritable diamant. Un tel complexe ne pousse pas en une nuit. Il faut une vision et des années de labeur. Le Standard est passé à la vitesse supérieure il y a trois ou quatre ans et je me rends compte que Luciano D’Onofrio, son frère Dominique et Pierre François ont bien travaillé. Preud’homme a mis la cerise sur le gâteau en obtenant le titre.

Il a livré un travail d’expert car son effectif a gagné la bataille en y ajoutant la manière. MPH a replacé le Standard au top du football belge. Tactiquement, c’était du cousu main : un bloc où tous les secteurs se sont parfaitement emboîtés. Le Standard a toujours su tenir la route, même quand cela rigolait moins, tout en mettant à nu les défauts des autres. La défense est robuste. J’ai apprécié Dante qui a signé une très grosse saison. Avec lui, on peut aller à la guerre. Oguchi Onyewu a été excellent lui aussi. On le critique parfois mais il faut se le farcir. L’Américain est la clef de voûte de la défense. Je ne me pencherai pas sur la mise à l’écart d’ Olivier Renard : c’est de la cuisine interne. Mais je trouve qu’on a tenté de déstabiliser Aragon Espinoza. Je ne dis pas que c’est un grand gardien mais, mis à part ses bourdes en Coupe de Belgique, il n’a pas commis d’erreurs. Il a parfois été servi par la chance, c’est vrai. Le Standard a finalement été champion avec un keeper moyen par rapport à ses prédécesseurs les plus connus : Jean Nicolay, Christian Piot, etc. C’est la preuve qu’il était bien protégé par une défense pas souvent soumise à de fortes pressions. Le Standard a régulièrement joué dans le camp adverse et faisait peur à des adversaires n’alignant généralement qu’un attaquant : c’était du gâteau pour sa défense. La ligne médiane, c’est son assurance avenir avec Steven Defour, Axel Witsel, Marouane Fellaini, Réginal Goreux. C’est jeune, c’est bon : qu’on ne me dise pas, pour expliquer les résultats catastrophiques des Diables Rouges, qu’il n’y a pas de talents en Belgique. Le trio d’attaquants a été complémentaire. Aucune autre équipe ne disposait d’un effectif aussi varié. Je n’ai qu’un regret. Le Standard avait les moyens nécessaires pour viser le doublé. C’était la saison ou jamais. Au lieu de cela, le match retour de demi-finale de Coupe à Gand a été sacrifié : dommage. On a parlé de fatigue. C’est vrai mais il aurait été préférable de ne pas faire une croix sur la possibilité d’accéder à la finale de la Coupe. Même si personne n’est indispensable, j’espère que tous les partants seront poste pour poste « .

J’ignore la vraie raison du départ de Preud’homme. Je suppose que les deux parties étaient arrivées au bout de leur histoire d’amour. Je ne porte pas de jugement : j’avais aussi cru que je passerais toute ma vie au Standard. Je me trompais : c’est le foot. C’est un coup dur mais pas la fin du monde à condition que le successeur cerne bien la mentalité liégeoise. Preud’homme a remarquablement bossé. Il n’y aura pas d’arrêt dans la marche en avant du Standard, même sans MPH. Le club est désormais très bien organisé. C’est ce qui compte avant tout pour progresser « . l

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