Steve Van Herpe
Steve Van Herpe Steve Van Herpe est rédacteur de Sport/Voetbalmagazine.

Stupéfaction générale la semaine dernière quand le Bayern a annoncé l’embauche de Pep Guardiola à partir du mois de juin prochain. À y regarder de plus près, ce choix est pourtant logique.

« Le football anglais m’a toujours fasciné. J’espère devenir un jour entraîneur ou manager en Angleterre.  » Ce sont les paroles de Pep Guardiola, dans un clip lancé par la Football Association mercredi dernier, à l’occasion de ses 150 ans. Elles ont ravivé les spéculations quant à l’avenir de l’Espagnol. Deux clubs semblaient en course : Manchester City, qui emploie déjà deux anciens Barcelonais, le directeur sportif Txiki Beguiristain et le CEO Ferran Soriano, et Chelsea, qui a renchéri. L’année sabbatique de Guardiola à New York, où l’on parle anglais, comme vous le savez, semblait constituer un argument de plus en faveur de la Premier League.

Mais ce sera donc le Bayern Munich, un club que Guardiola a toujours admiré. Les négociations auraient débuté depuis un moment et le contrat signé avant même la Noël. Mais qu’est-ce qui a poussé l’entraîneur ibérique dans les bras du géant allemand ?

Structure et organisation

Même s’il gagnera moins en Bavière qu’à Chelsea ou à Manchester City, Guardiola est sous le charme de la structure du Bayern, au sein duquel d’anciens joueurs occupent tous les postes-clefs : le président d’honneur Franz Beckenbauer, le président Uli Hoeness, le CEO Karl-Heinz Rummenigge et le directeur sportif Matthias Sammer. Ici, il ne sera pas confronté à des mécènes style Abramovich ou Sheikh Mansour, qui imposent parfois leur volonté. C’est un point important aux yeux d’un entraîneur comme Guardiola.

L’Espagnol apprécie également l’organisation de la Bundesliga, qui est incontestablement le championnat économiquement le plus sain d’Europe. Les strictes conditions d’obtention de la licence imposées par la Deutsche Fussball Liga (DFL) sont comparables au fair-play financier que l’UEFA va introduire en Europe à partir de la saison 2013-2014.

Depuis des années, les clubs allemands n’ont plus le droit de dépenser plus qu’ils ne gagnent. Uli Hoeness, qui a déclaré que l’embauche de Guardiola allait conférer un plus grand rayonnement au Bayern mais également à tout le football allemand, est convaincu que dans les prochaines années, les clubs allemands vont jouer les premiers rôles dans les joutes européennes, puisqu’il y aura désormais un contrôle de la gestion des clubs.

L’Allemagne n’a plus gagné de trophée continental depuis la victoire du Bayern en Ligue des Champions, contre Valence, en 2001. Les Bavarois ont disputé la finale à deux reprises ces trois dernières années, s’inclinant face à l’Inter en 2010 et à Chelsea en 2012. Les experts financiers prédisent également de beaux jours au football allemand dès que le fair-play financier aura été introduit.

Succès commercial

Les spécialistes de football jugent idéal le format de la Bundesliga. Le championnat fête ses 50 ans cette saison. Il a été mis sur pied en 1963 par la fusion des divisions régionales. Il y a quelques années, l’Allemagne n’occupait que la quatrième place en Europe, la Premier League, la Primera Division et la Serie A jouissant d’un plus grand prestige.

Les récents développements révèlent une autre image : la Bundesliga est saine, ouverte à ses supporters, elle est un vivier de talents et n’a besoin d’aucun investisseur étranger pour assurer la survie de ses clubs. Cela n’a pas échappé à Guardiola non plus, d’autant qu’on joue dans de grands stades confortables et toujours combles.

Mais ce n’est pas tout. Alors qu’on ne parle plus que des dettes laissées par des présidents et des propriétaires de clubs aux quatre coins de l’Europe, le football allemand prospère économiquement, commercialement et sportivement. Cinq clubs allemands figurent parmi les vingt premiers d’une liste récemment publiée par la Football Money League. C’est un classement réalisé sur base des rentrées générées par le football. Cinquième, le Bayern était le mieux classé d’Allemagne.

Début décembre, le Bayern a présenté son dernier bilan. Son budget est encore en hausse, passant de 350 à 375 millions d’euros. Il a enregistré un bénéfice de 11,1 millions sur la dernière année comptable. Il y a six ans, son budget n’était encore que de 204 millions, ce qui constituait déjà le double de 1997.

En l’espace de quinze ans, le Bayern a donc quadruplé son budget. Sa marge de progression est largement liée à ses succès commerciaux. 160 millions du budget proviennent des sponsors et du marketing. Le Borussia Dortmund, le Hamburger SV, Schalke 04 et le Werder Brême sont également des machines à sous bien huilées. Alors que l’Angleterre et l’Europe du Sud retirent leurs rentrées des droits TV et de la billetterie, la Bundesliga est une mine d’or pour les entreprises et vice-versa.

Jeunes et Allemands

Ces dernières années, la Fédération allemand (DFB) a injecté quelque 700 millions dans les académies des clubs. Le niveau des entraîneurs des jeunes a considérablement augmenté. Partout, d’anciens footballeurs s’emparent de postes-clefs. Matthias Sammer, l’ancienne vedette du Borussia Dortmund, a été directeur sportif de la DFB de 2006 à 2012 et il est le moteur de ce boom. Il occupe désormais le même poste au Bayern. Lorsque le club a officialisé l’engagement de Guardiola, Beckenbauer a déclaré :  » Je ne puis rêver meilleur tandem que Sammer et Guardiola.  »

L’Allemagne a été la première nation à ouvrir ses frontières aux footballeurs ne faisant pas partie de l’Union Européenne. Il s’en est suivi un afflux de joueurs qui ont pris la place des talents du cru. Actuellement, on ne trouve plus guère d’étrangers prépensionnés sur les terrains allemands. Le Borussia Dortmund, champion ces deux dernières saisons, aligne huit titulaires allemands. En 2011, il a été sacré champion avec la plus jeune formation de l’histoire.

60 % des joueurs de Bundesliga possèdent un passeport allemand et l’âge moyen des sélections est d’environ 24 ans. Même si Guardiola aura sous ses ordres de nombreuses vedettes au Bayern – Franck Ribéry, Mario Gomez, Bastian Schweinsteiger, Manuel Neuer -, il rêve évidemment de former une jeune équipe. L’avenir nous dira quelle voie compte emprunter le Bayern mais s’il a offert un contrat de trois ans à l’entraîneur espagnol, ce n’est pas pour rien.

Des stades combles

La perspective de jouer dans des stades combles a certainement ravi Guardiola. Son ami Raul, qui s’est produit deux ans à Schalke 04, n’a certainement pas manqué de lui faire un topo. Les chiffres sont impressionnants. Lorsque la Bundesliga a vu le jour, il y a 50 ans, 24.000 personnes suivaient les matches, en moyenne. Au début de ce siècle, elles étaient 28.000.

L’assistance a crû de manière spectaculaire après l’aménagement de nouvelles arènes pour le Mondial 2006. La saison dernière, la Bundesliga a encore amélioré son record avec une moyenne de 44.293 spectateurs lors des 306 matches de championnat. Aucun pays ne fait mieux. On constate une tendance similaire en deuxième Bundesliga : l’année dernière, l’assistance y est passée de 14.539 à 17.196 spectateurs, alors que la Serie A accueille en moyenne 20.000 personnes par match.

Les clubs de Bundesliga sont toujours restés maîtres de leur sort grâce à un règlement introduit en 2001 : 50 + 1. La directive du DFB empêche ainsi des investisseurs de s’emparer de la majorité des parts d’un club. Une bénédiction selon les partisans de la règle, qui considèrent la Premier League comme un épouvantail.

En Allemagne, le football reste un sport populaire. Les présidents rendent des comptes à leurs membres, qui peuvent les démettre, dans le pire des cas. Les géants de la Bundesliga restent ainsi ancrés dans la société et ne perdent de vue ni leurs traditions ni leur rôle social.

Le vécu, la tradition et l’identité sont des valeurs auxquelles Guardiola a toujours attaché beaucoup d’importance. Ce n’est pas pour rien qu’il a un jour déclaré ne vouloir entraîner aucune autre formation espagnole, hormis l’Athletic Bilbao, un club de tradition qui n’aligne que des footballeurs basques et peut compter sur des supporters fanatiques. Chelsea et Manchester City ne peuvent certainement pas lui offrir ces valeurs. Et le Bayern ? Sans doute. Et peut-être cessera-t-on de le surnommer le FC Hollywood sous l’ère de Guardiola…

PAR SÜLEYMAN ÖZTÜRK & STEVE VAN HERPE

En l’espace de quinze ans, le Bayern a quadruplé son budget.

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