Héros maudit

Une des plus grandes finales de l’histoire de la Coupe oppose le Standard et Anderlecht : le plus célèbre numéro 9 liégeois est bien décidé à frapper les imaginations…

En cette fin du mois du muguet 1965, l’actualité politique belge n’est pas originale. Le Roi Baudouin a suspendu ses consultations après les élections du 23 mai et n’a pas désigné le nom d’une personnalité chargée d’une mission d’information. Le chemin semble sans issue.

A l’étranger, la Chine fait preuve d’intransigeance dans le conflit vietnamien, ce qui irrite autant Washington que Moscou. On note cinq agressions par jour à Bruxelles où un homme est entré dans les bâtiments de la télévision, Place Flagey, avant de faire feu sur le personnel présent ; l’opinion belge s’émeut devant  » l’augmentation inquiétante de la criminalité « . La vie est chère et la presse révèle qu’après le pain, le prix de la margarine augmente. Le 27 mai, c’est la crème de la crème de notre football qui se retrouve au Heysel pour la finale de la Coupe de Belgique. Anderlecht-Standard : qui dit mieux ?

Georges Heylens est aux anges : son épouse lui a offert un fils, Stéphane, durant la nuit qui a précédé ce Clasico. Les Mauves se sont emparés du titre et rêvent du premier doublé de leur histoire. L’équipe de Pierre Sinibaldi est à son apogée avec, dans son rôle de star, un Paul Van Himst riche de tout son art. Le Standard est en pleine restructuration après ses succès belges et européens de la fin des années 50 et du début des années 60.

Michel Pavic est arrivé à Sclessin et, dès la saison 1964-65, le gentleman de Belgrade entame le rajeunissement de l’équipe. Il s’intéresse d’abord à la défense. Le travail ne manque pas et le chantier n’est pas terminé en fin de saison. Les Rouches sont vice-champions mais à distance importante (12 points) de l’équipe du Parc Astrid. La finale de la Coupe constitue une belle consolation. Les boys de Pavic espèrent bien tendre ce trophée aux belles-z-oreilles dans le ciel bruxellois, 11 ans après la première finale du Standard, gagnée 3-1 contre le Racing Malines.

Le niveau technique est exceptionnel, un régal pour le sélectionneur de l’équipe nationale, Constant Vanden Stock, qui attend cette affiche avant de choisir les Diables Rouges pour Brésil-Belgique. La première mi-temps est marquée par un avantage indiscutable du Sporting qui mène logiquement 2-1 au repos, même si Zacharie Konkwe semble un peu tendre. Comment cela s’est-il passé ? Inspiré, Van Himst profite de la lenteur de FreddyMulongo, sème le trouble dans la défense liégeoise et marque un but superbe dès la 17e : bien servi par Jef Jurion, il évite adroitement Lucien Spronck, patiente un instant et, dans l’étonnement général, décoche, d’un angle fermé, un tir puissant et précis qui crucifie Jean Nicolay : 0-1.

Le Standard ne baisse pas la tête. Très actif et lancé par Istvan Sztany, Roger Claessen répond à son ami Van Himst et égalise rapidement (27e) après avoir grillé Bizzi Konter. C’est de la folie : Wilfried Puis fait 2-1 60 secondes plus tard en trouvant la lucarne. Si Anderlecht s’offre la première mi-temps, le Standard est transfiguré après la pause.  » Un orage nous est tombé sur la tête « , se souvient Heylens.  » Et cet orage avait un nom : Claessen « .

Roger-la-Force et Léon Semmeling laminent alors la défense en ligne des Bruxellois où Heylens colmate sans cesse les brèches. A la 50e, Claessen trouve l’ouverture et frappe : 2-2. Son mano a mano avec Van Himst est de toute beauté ; les deux meilleurs attaquants belges sont à la hauteur du défi, de leur prestige, de la beauté de cette soirée.

Claessen réclame justice

Pourtant, cette égalisation annonce un changement de temps. Le ciel de la finale se charge de nuages de plus en plus inquiétants. La fête n’est pas finie mais les deux orchestres changent de partition. Le premier incident se déroule a la 58e : après avoir évité deux adversaires, Konter, monté à l’attaque, percute violemment son copain d’équipe nationale luxembourgeoise Louis Pilot qui, comme d’habitude, ne bouge pas d’un centimètre : l’Anderlechtois est groggy. Pour le beau jeu, c’est terminé.

Le climat est devenu détestable avec à la clef des petites vengeances personnelles. Au coeur de la défense anderlechtoise, Jean Plaskie fait le ménage comme c’est le cas de Lucien Spronck devant Nicolay. Dans ce paradis devenu fournaise, l’arbitre Frans Geluck garde son calme, même si les Mauves réclament un penalty quand Spronck fauche Van Himst à la 82e. Il va se passer quelque chose, tout le monde le devine dès le début des prolongations.

Quatre minutes plus tard, sur coup de coin, Gilberto travaille un ballon qui surprend Jean Trappeniers, gêné par la lumière artificielle. Le keeper recule avant de cueillir difficilement la sphère. Mais est-elle entrée dans la cage mauve ? Pas pour le gardien anderlechtois mais les Liégeois sont formels : le ballon a bien franchi la ligne. Le juge de ligne dément. C’est la révolte : Claessen se rue vers l’assistant de Geluck et réclame justice. L’a-t-il agressé, l’a-t-il touché ou bousculé ? Geluck n’hésite pas et indique la direction des vestiaires à Claessen.

C’est une catastrophe pour les Rouches. Sans son attaquant, le Standard est veuf, orphelin, décapité, sans voix, carrément éc£uré. Dans la foule, certains rappellent que l’homme en noir gère un café près de la Gare du Midi, le Bruges, souvent fréquenté par des supporters et des joueurs d’Anderlecht qui y achètent notamment des billets pour les matches de D1. Est-il intelligent de confier une finale de cette importance à un Bruxellois avec les soupçons que cela pouvait faire naître. Les anciens du Sporting n’hésitent pas à le rappeler :  » Geluck est un très grand arbitre, parfaitement neutre. Il a bien dirigé cette finale. Il a toujours été très dur avec Anderlecht car il craignait qu’on le soupçonne de quoi que ce soit. « 

Mais le stade est pétrifié. En quelques secondes, le héros de cette finale en devient le joueur maudit. Il passe sans transition de l’exploit à la tragédie. Il n’a pas su maîtriser ses émotions. A 10 contre 11, le Standard tient le coup tant bien que mal. Karl-Heinz Ripkens percute même la barre transversale. La messe est dite à la 112e : but de Van Himst lancé en profondeur par Jurion. Anderlecht tient son doublé et prolonge son règne absolu.

Le Standard n’a que ses larmes pour pleurer. Pourtant, bien que très déçu, Roger Petit comprend que son club a bel et bien fait mal à Anderlecht tout au long de la finale. Et, pour le boss des Rouches, fin stratège, c’est plus important qu’un succès sans éclat. Petit sait qu’Anderlecht a mesuré l’étendue des progrès du Standard. Il se frotte les mains car même perdue, cette finale lui ouvre les portes de la Coupe des Coupes, Anderlecht étant déjà qualifié pour la Coupe des Champions. Et Petit a une totale confiance en Pavic qui continue son oeuvre.

La période de transition est terminée. En 1965, Petit entretient deux rêves : il désire que le Standard devienne un grand club omnisports. C’est le cas. Puis, le visionnaire qu’il est, se rend compte que le Standard est à l’étroit à Sclessin et a besoin d’un centre d’entraînement. Il lorgne les 33 hectares du Sart-Tilman et concrétise ses plans d’achat un an plus tard. Pour financer une partie de ses ambitions, il permet à des camions de gravats de déverser (moyennant payement) leurs cargaisons au Sart-Tilman pour égaliser les terrains. Malin comme un singe… Après la finale perdue, le Standard se défait de Gilberto, Maurice Bolsée, Sztany et Léon Gorissen avant d’engager Velco Naumovic, James Storme, Victor Wégria, PaulVandenberg, Guillaume Raskin. Petit est plus ambitieux que jamais. Il y a des défaites qui annoncent des lendemains qui chantent : un an après l’exclusion de Claessen, le Standard gagne la Coupe de Belgique : 1-0, contre Anderlecht… sans Claessen, blessé.

PAR PIERRE BILIC – PHOTOS: IMAGEGLOBE

C’est une catastrophe pour les Rouches : sans Claessen, le Standard est veuf, orphelin, décapité, sans voix, carrément éc£uré.

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