Herbe de PROVINCE

Pierre Bilic

Du haut de ses 24 ans, le Liégeois de l’Excelsior découvre le nouveau teint de son jeu.

Le vent est au blé pour le grand gaucher du Canonnier. Sans y paraître, Christophe Grégoire a déjà quatre saisons de D1 dans ses bagages. C’est un atout mais pas un droit acquis et il aborde une campagne encore plus importante que les précédentes.

Ce n’est un secret pour personne : Guy Roux le suit attentivement. Le gourou d’Auxerre prendra cependant le temps de la décision même s’il a des problèmes sur son flanc gauche. Les vignerons savent que le raisin ne mûrit pas en un jour. De son côté, même si le football français le fait rêver, Christophe Grégoire n’entend pas se griser. Malgré sa jeunesse, il a toujours eu ses choix, ses caps, ses idées, ses plans.

 » L’intérêt d’Auxerre me fait plaisir « , reconnaît-il.  » Tant mieux si cela se confirme et se réalise, un jour, mais pour l’instant ce n’est pas le cas et je me concentre totalement sur mon job à Mouscron. J’y vis des moments très intéressants « .

L’Excelsior a été transformé en laboratoire tactique par Philippe Saint-Jean. Les choses sont désormais très claires et le président des Hurlus l’a rappelé lors du stage de préparation de son club à Spa : l’avenir passe par la jeunesse du Futurosport, les inconnus belges ou étrangers dont personne n’a encore découvert le potentiel et les laissés-pour-compte qui reçoivent une nouvelle chance au Canonnier, etc.

De plus, quand un de leurs éléments intéresse un autre club, prêt à faire un investissement, les Hurlus sont toujours prêts à la discussion mais c’est le joueur qui tranche.  » Il n’y a rien à faire : l’Excelsior doit accepter cette situation afin de nouer les deux bouts « , affirme Jean-Pierre Detremmerie.  » Ce n’est pas toujours évident à gérer mais, au travers des nombreux intérêts nationaux et internationaux pour nos joueurs, c’est la qualité de notre travail au quotidien qui est honorée. Nous n’obligerons jamais personne à partir. Steve Dugardein a refusé l’offre du Standard, qui nous avait demandé l’autorisation de le contacter, avant de trouver chaussure à son pied à Caen. Sclessin avait aussi songé à Grégoire. Nous avons immédiatement informé le joueur qui a préféré rester chez nous. C’est très bien ainsi. Il sait maintenant que Guy Roux m’a parlé de lui « .

Le tourbillon de l’Excelsior

En attendant, Philippe Saint-Jean a relevé ses manches et développé ses nouveaux axes de travail.  » C’est tout à fait passionnant « , note Christophe Grégoire.

Présent à Walhain, afin de suivre l’excellent international algérien de Mouscron, Samir Beloufa, Robert Waseige eut cette formule :  » Cela me fait penser au tourbillon prôné autrefois par Pierre Pibarot « .

Au c£ur des années 50, en avance sur son temps, ce technicien et grand conférencier français, qui marqua beaucoup Raymond Goethals, tomba sous le charme de la défense à plat des équipes hongroises. Pibarot soignait le jeu de position jusque dans les derniers détails, exigeait de réduire les espaces entre les lignes, demandait à ses attaquants de permuter sans cesse afin d’affoler les défenses adverses, de ne pas leur permettre de prendre leurs marques. Pibarot fut un des chantres de la formation à la Fédération française de football.

 » Je suis impressionné par les connaissances tactiques de notre coach « , affirme Grégoire.  » Je n’ai jamais vu cela et je découvre de nouveaux horizons, d’autres potentialités « .

Hugo Broos et Georges Leekens ont marqué l’histoire de l’Excelsior mais leur vision était cependant assez rigide. Le coach argenté ne jurait que par son 4-4-2. Il ne dérogeait quasiment jamais à son système. Avec, à la clef, des avantages et des inconvénients : automatismes de qualité mais jeu facilement décrypté par les adversaires. Christophe Grégoire était le taulier du flanc gauche, avait la ligne sous son bras, devint un centreur de qualité. Le scénario fut comparable avec Georges Leekens même si, en fin de saison passée, Grégoire et son pied gauche furent un peu plus axiaux afin que l’Excel puisse aligner Mbo Mpenza, Luigi Pieroni et Marcin Zewlakow de concert.

 » Maintenant, je démarre souvent le match à droite devant le trio des médians « , raconte Christophe.  » J’ai été étonné mais le coach a bien décortiqué les avantages de cette démarche. Un arrière gauche est souvent mal à l’aise quand il se mesure à un gaucher. Mais je ne me cantonne pas sur l’aile. Je dois rentrer dans le jeu, permuter sans cesse avec les deux autres attaquants, me retrouver dans l’axe ou à gauche en fonction des événements. J’ai forcément plus de joueurs adverses devant moi qu’avant et même si c’est nouveau, cela ne dérange pas. Nous devons plus nous parler, faire appel à notre intelligence de jeu, varier les coups alors que nous branchions souvent le pilote automatique dans un passé proche. Saint-Jean m’a certifié que ces variations dans mon jeu de position me permettront de surprendre l’adversaire mais aussi de me présenter plus souvent en zone de finition et de percussion. Tout cela ne signifie pas que le 4-4-2 traditionnel soit abandonné à jamais : il sera utilisé quand ce sera nécessaire « .

Grégoire se sent bien dans ce 4-3-3 à géométrie variable. Les adaptations et autres réglages ne sont pas terminés. La ligne médiane tournera probablement autour des trois joueurs suivants : Tonci Martic, Patrice Noukeu et Marc Schaessens. Ce sont des éléments d’axe. Le risque d’avoir des appels d’air sur les flancs existe. Mouscron devra y prendre garde. De toute évidence, Grégoire n’est plus du tout qu’un porteur d’eau. Il a pris du poids dans le groupe et est devenu un des dépositaires du jeu de l’Excelsior.

 » Je ne crains pas du tout le poids des responsabilités « , assure-t-il.  » Je ne suis plus un débutant. Si on me demande plus, j’essayerai de ne pas décevoir « .

Même si les perspectives sont intéressantes et motivantes, les défis sont nombreux. En perdant Pieroni et Mpenza, Mouscron a cédé une grande partie de son artillerie. Luigi a marqué 28 buts, Mbo en a signé 11, soit au total 39 de 64 buts de Mouscron. On mesure le nouveau défi des attaquants. Les Hennuyers ne sont-ils tout de même pas passés à côté de la montre en or en ne décrochant que la cinquième place du dernier classement final de D1 ?

L’Europe, c’était jouable

 » Il ne faut pas oublier que nous revenions de très loin « , insiste Grégoire.  » Je n’aime pas évoquer cette période. La confiance avait disparu sous la gouverne de Lorenzo Staelens. Je n’étais plus dans le coup. Le discours de Leekens m’a fait du bien. Il a cerné mes atouts et mes problèmes, défini des axes de travail intéressants. J’ai aimé l’enthousiasme de cet homme de métier. Il entendait que je continue à exploiter ma technique mais m’incita à être plus présent défensivement, à me faire respecter dans les duels et à y aller plus franchement dans les duels aériens. C’est le style Leekens. Je me suis redéfini et j’ai retrouvé la joie de jouer comme du temps de Broos. Les choses se mirent assez vite en place. Beloufa, Stephen Laybut et Grégory Lorenzi ont bien aidé la défense. Pieroni a éclaté au bon moment. Il a su saisir sa chance et devenir le meilleur buteur de D1. Mais Mouscron, c’était aussi Mbo, qui avait un énorme impact sur notre jeu. L’Europe, c’était jouable. Mais pour y arriver, Mouscron aurait dû voyager de façon plus performante. Nous n’avons gagné que deux fois à l’extérieur. A côté de cela, je note onze matches nuls en déplacement. C’est énorme et nous avons souvent été rejoints dans les dernières minutes de la rencontre. L’Excelsior a souvent reculé dans le jeu après avoir mené à la marque. Cela explique notre trop grande collection de matches nuls. Sans cela, la troisième place aurait été à notre portée. Cela m’a fait mal au c£ur car notre groupe méritait un billet pour la Coupe de l’UEFA. En Coupe de Belgique, nous avons été roulés dans la farine. En demi-finales, chez nous, Bruges marqua deux buts largement contestables. De plus, nos adversaires tutoyaient l’arbitre, Frank De Bleeckere. Cela fait quand même bizarre sur le terrain « .

En février, Christophe Grégoire fut approché par le Standard. Avec le recul, ne regrette-t-il pas d’avoir mis un terme à ce contact ?  » Tous les jeunes joueurs de D1 rêvent de porter un jour le maillot d’un des trois grands clubs belges. Comme je suis Liégeois, j’étais honoré par la demande du Standard. Les deux clubs avaient trouvé un terrain d’entente. Mais les choses se compliquèrent quand il fut question des conditions de mon contrat de quatre ans. Le Standard me proposa un salaire inférieur de 30 à 40 % à celui que je perçois à Mouscron. Là, je ne pouvais pas comprendre. C’était à prendre ou à laisser. J’ai répondu à Luciano D’Onofrio et à Michel Preud’homme que cela ne m’intéressait plus. Je ne suis plus un gamin. Je n’étais pas obligé de quitter Mouscron où j’étais heureux. Mon contrat se terminera en 2007. J’y ai vu la preuve que le Standard ne me voulait pas vraiment. Sans cela, les Rouches auraient fait un effort. Tant pis, j’ai tourné la page et j’ai encore du temps devant moi. Mpenza et Pieroni ont décroché un grand transfert. Il faut être logique : vu leur saison exceptionnelle, Mbo et Luigi le méritaient plus que moi. Mbo va ravir Anderlecht. Il est à son top et je le trouve de plus en plus impressionnant, que ce soit dans le jeu ou à la finition « .

Si beaucoup de Hurlus estiment que Mbo Mpenza ne tardera pas à enfiler le Soulier d’Or, Grégoire a souvent son ami Pieroni au bout du fil :  » C’est génial ce qu’il vit là-bas. Il a déjà trouvé ses marques à Auxerre et marque beaucoup en matches amicaux. Cela ne m’étonne pas. Il est passé en un an de la D2 belge à la L1 française. Et c’est loin d’être fini car son potentiel est énorme. Auxerre avait envoyé un de ses collaborateurs afin de me suivre en match amical contre Valenciennes. Notre nouvelle équipe n’était pas encore en place. Je suppose qu’Auxerre n’aura pas attendu ce match afin de se faire une idée à mon propos. On verra ce que demain apportera mais je ne m’énerve pas « .

L’équipe nationale fait aussi partie de ses nouveaux horizons. Il sera un jour le successeur de Bart Goor à condition d’accentuer ses progrès. Aimé Anthuenis le garde à l’£il même s’il ne l’avait pas retenu face à la France, ce qui constitua une petite déception vite oubliée. Mouscron comptait deux Diables Rouges la saison passée : Luigi Pieroni et Mbo Mpenza. Un troisième international hurlu à part entière aurait-il froissé les grands clubs ?

Cet athlète de 1,87 m, pour 77 kg, a quitté Liège pour Mouscron en 2.000. Que de chemin parcouru en quatre ans par celui qui n’était alors qu’un talent en herbe de province. Chaque saison, il complète son bouquet : thym, romarin, origan, sarriette, marjolaine, basilic. Un jour, Grégoire fera son marché dans un grand club.  » On verra mais je ne veux surtout pas m’emballer « , précise-t-il.  » Il n’y a qu’un chose qui compte : le championnat. C’est là que tout se fait, se gagne et se mérite « .

Pierre Bilic

 » JE NE CRAINS PAS le poids des responsabilités  »

 » Il n’y a qu’UNE CHOSE QUI COMPTE : le championnat  »

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