» Hazard peut marquer l’histoire de Chelsea « 

Les premiers pas d’Eden, le passage éclair de Kevin De Bruyne et les questionnements de Romelu Lukaku. Retour sur la tournée américaine des Belges de Chelsea.

R oman Abramovitch déambule dans les rues de Philadelphie avant de se faire accoster par quelques supporters de Chelsea. L’oligarque russe se prête à une rapide séance photos puis se glisse dans le Ritz Carlton situé en face du touristique et imposant Hôtel de Ville. Après Seattle et New-York, Philly est la troisième date de l’US Tour des Blues débuté le 18 juillet et bouclé dix jours plus tard à Miami par une opposition avec le Milan AC. Il est 17 h et les fans sont de plus en plus nombreux attroupés devant le palace à guetter la sortie des joueurs qui, en soirée, affrontent les meilleurs joueurs du championnat américain pour le MLS All-Star Game.

On a beau être à plus de 5.000 km de Londres, le champion d’Europe garde sa grappe de supporters partout où il passe. A chaque arrêt, les maillots blues s’affichent dans la ville : le long des avenues de Manhattan ou sur les bords de Miami Beach toisant les corps créatinés et botoxés de la faune locale. Question marketing, les Anglais ont tout compris avant tout le monde (voir cadre, les bienfaits d’un US Tour). L’Asie et les Etats-Unis ont vu débarquer, il y a environ dix ans, les meilleurs clubs de l’Albion alors que les autres grandes nations du ballon rond ont pris le train de la mondialisation bien plus tardivement -trop tard avancent d’ailleurs certains économistes du sport tant la planète foot semble quadrillée par les échoppes et amoureux de la Premier League.

Que ce soit face au PSG à New-York ou face aux Milanisti à Miami, les fans des Blues sont surreprésentés. La veille du match face aux Rossoneri, ils sont plus de deux cents à venir assister à l’entraînement de leurs favoris dans l’enceinte des Dolphins (l’équipe de foot américain) alors que les joueurs milanais prennent le relais au beau milieu de sièges vides. Tout est préparé avec minutie. Dès l’entraînement terminé, plusieurs joueurs passent de main en main pour une séance de dédicace avec, caché derrière eux, un préposé au matériel se tenant prêt à remplacer chaque feutre déficient… Parmi les six joueurs triés sur le volet, on trouve RomeluLukakouuuuh crié par la meute bleue. Malgré un temps de jeu famélique la saison dernière en championnat, Big Rom compte de nombreuses groupies outre-Atlantique. Le jour du All-Star Game, la presse locale le pointe d’ailleurs comme l’élément à suivre, avançant son jeune âge et des qualités physiques hors-normes proches des standards de la NFL ou de la NBA.

Prince Harry et son franc-parler

Eden Hazard et Kevin De Bruyne ont, eux, découvert durant dix jours l’univers d’un club de l’élite anglaise. Le double meilleur joueur du championnat de France, l’homme aux 40 millions d’euros, est évidemment attendu et le moindre dribble épié. Hazard échappe toutefois au brouhaha médiatique que se coltinent Frank Lampard, John Terry ou Fernando Torres arrivé plus tard sur l’US Tour en raison d’un EURO victorieux et donc terminé sur le tard. Les errements d’Eden dans la langue de Shakespeare contribuent aussi à ce relatif anonymat…

Transféré en janvier dernier pour neuf millions d’euros, De Bruyne regarde le tout avec recul. Très vite, Prince Harry a compris que son avenir proche ne passait pas par Chelsea mais par un prêt. Le jour du match de Philadelphie, le manager du Werder Brême, Klaus Allofs, annonce d’ailleurs sa venue. Quelque peu dépité après être monté au jeu pour les vingt dernières minutes, arpentant un côté droit qu’il n’affectionne pas, De Bruyne nous lance à la sortie des vestiaires :  » Je pars, c’est sûr… Je dois jouer des matches si je veux progresser. J’aime trop le ballon, j’aime trop le jeu pour rester sur le banc.  »

Un franc-parler qui détonne, et qui irritera d’ailleurs l’encadrement de Chelsea, quand l’utilisation de la langue de bois est sacrée chez les joueurs cadres du CFC. Lors du dernier match de la tournée face au Milan AC, le plus beau coup patte du Royaume n’est d’ailleurs pas sur la banc alors qu’il était titularisé six jours plus tôt face aux Parisiens. Même sanction pour Yossi Benayoun officiellement en partance (Fulham ? West Ham ?). Si l’on oppose la brillante saison de Thibaut Courtois, prêté l’an dernier à l’Atlético Madrid par les Blues, à celle plus douloureuse de Lukaku, le départ de De Bruyne devrait être salvateur. Le divin rouquin n’aura pas non plus perdu son temps. Il aura goûté à la vie d’un club champion d’Europe tout en mêlant les joies des grandes villes américaines (on l’a notamment vu se rendre en compagnie des autres boys de Chelsea dans un des restos les plus huppés de Miami habillé avec l’attirail casual chic du club : chemise blanche, chino beige, et baskets bleues). Cet univers fait de médiatisation extrême, luxe et ultra-professionnalisme n’a toutefois pas semblé le décontenancer :  » C’est le très haut niveau mais ça ne impressionne pas… « , nous dira-t-il le sourire en coin.

Hazard impressionne

Hazard, non plus, n’a pas semblé intimidé. Mais plutôt à l’aise dans ce bal de champions qu’il a ouvert devant ses partenaires en entonnant, en guise de bizutage, Molotov 4 du rappeur Sefyu (un an plus tôt Lukaku avait fait le choix plus classieux de Juicy de Notorious BIG). À Lille, chez les Diables ou à Chelsea, l’allure reste la même : décontraction et nonchalance. Sur le terrain par contre, Hazard a fait le taf même si l’enchaînement matches/entraînements lui ont enlevé le coup de dash nécessaire pour faire la différence. Après sa prestation d’une demi-heure face au MLS All-Star (seul match de l’US Tour où il n’était pas titulaire), il nous dira d’ailleurs  » On a pu voir qu’on était tous un peu fatigués vu qu’on approche de la fin du stage. Et même si j’ai trouvé la préparation moins costaude qu’à Lille où l’on courait beaucoup plus. Ici, ça court aussi mais toujours avec ballon. C’est complètement différent et ça me plait. Et puis, il fait aussi un plus chaud qu’à Lille ( il rit), ça joue aussi sur les organismes.  »

Pour le dernier test face au Milan, Roberto Di Matteo a aligné ce qui ressemble à une équipe type (exception faite de Torres qui devrait remplacer Lukaku). La version plus défensive en première mi-temps avec un milieu à trois tout-terrain composé de Mikel-Lampard- Meireles avec Hazard sur le côté gauche, puis la version plus offensive en seconde période avec Marin (en remplacement de Meireles) placé sur la gauche et Hazard positionné au poste de numéro 10. C’est d’ailleurs dans ce rôle qu’il est apparu le plus fringuant, multipliant les actions de classe et en étant un des rares à mettre le feu dans l’arrière-garde italienne. Ses énormes qualités ne sont pas passées inaperçues auprès de ses coéquipiers.  » Hazard est un excellent joueur. Il nous a déjà montré quelques instantanés de haut-vol « , pointe Obi Mikel.

 » On doit encore trouver nos marques, monter en puissance, jouer plus vite. C’est normal vu qu’on a pas mal de nouveaux joueurs « , explique Lampard.  » Mais il y a des signes qui montrent qu’on devrait avoir une grosse équipe cette saison. J’ai pu me rendre compte directement aux entraînements qu’Eden avait de grosses qualités : un superbe touché de balle, de la créativité. Il a beaucoup de potentiel. Il peut devenir un très grand joueur qui marquerait l’histoire de Chelsea. Son jeu devrait exciter nos fans, tout comme celui de Marin ou Mata. J’ai aussi entendu que notre dernière signature, Oscar était, lui aussi, un talent incroyable.  »

Chelsea Sexy ?

La venue de ce jeune Brésilien (20 ans) s’inscrit dans la politique de rajeunissement voulue par Abramovitch et entamée avec les transferts de De Bruyne (21 ans), Marin (23 ans), et Hazard (21 ans). Exit donc les vieux : Anelka, Drogba, Bosingwa, en attendant les départs probables de Malouda, Benayoun et Essien (qui a toutefois déclaré vouloir rester). D’après les médias anglais, Oscar aurait couté la bagatelle d’environ 30 millions d’euros. Un montant qui oblige pratiquement Di Matteo à lui trouver une place dans le onze. Et donc de pousser Hazard sur le côté gauche ? Car l’ex-joueur de l’Internacional de Porto Alegre, actuellement aux JO, aime aussi l’axe et ce rôle d’homme libre derrière l’attaquant de pointe. C’est à ce poste qu’il a notamment inscrit un triplé en finale du Championnat du Monde des -20 ans. A sa décharge, on notera que les Brésiliens à s’imposer en Premier League sont des denrées extrêmement rares – Ramires étant peut-être l’exception.

L’autre élément qui pourrait mettre des bâtons dans les roues du Diable Rouge est l’Espagnol, Mata, lui aussi retenu aux JO. Auteur d’une très bonne saison l’an dernier chez les Blues, le récent champion d’Europe aime aussi perforer par le centre. Si Hazard semble détenir actuellement la priorité au poste de dix, les suppléants sont légions car Marin peut lui aussi soutenir l’attaquant de pointe, tout comme le jeune (18 ans) et très talentueux Brésilien LucasPazon à qui Di Matteo devrait offrir ses premières minutes cette saison.

Hazard, Mata, Marin, Oscar, Piazon : voilà qui devrait éclaircir le jeu des Blues. Tous ces éléments sont vifs, techniques et peu imposants physiquement. Un contraste saisissant avec les robotiques Lampard, Essien, Mikel, Malouda des dernières années. Pour la collection 2012-2013, les Blues ont décidé de faire peau neuve et en finir avec le boring football. Place enfin au sexy Chelsea afin d’égayer un Stamford Bridge brumeux ces derniers temps ? Car si l’édition 2011-2012 s’est terminée en beauté avec deux trophées, une septième FA Cup, et surtout une première Ligue des Champions grâce à un vent il est vrai très favorable, les Blues ont salopé leur copie en championnat terminant sixièmes, le plus mauvais résultat du club depuis dix ans. Les fans espèrent encore la venue d’un grand nom en pointe ( Hulk a longtemps été dans les tuyaux) car difficile de miser sur la résurrection définitive de Torres et même si son EURO semble avoir reboosté sa confiance. Rares sont ceux aussi qui font de Lukaku le back-up idéal.

Lukaku sévèrement tacklé

La presse anglaise a eu tout le long de la tournée américaine la critique acerbe :  » Lukaku ferait même passer Torres pour quelqu’un d’habile dans les déviations « , entendu en tribune de presse.

Avant d’embarquer pour Miami, on tombe sur l’ex-défenseur des Blues des années 90, FrankSinclair, et sa combi spéciale Florida : t-shirt rose, tatous sur les bras, panama sur la tête, et la sacoche (Burberry) en bandoulière pour nous rappeler qu’il a bel et bien été footballeur. Aujourd’hui Sinclair travaille pour Chelsea TV et filme durant toute la tournée américaine une poignée de supporters des Blues. Il pose lui aussi un regard sévère sur l’ex-Anderlechtois :  » On a pu voir lors des derniers matches amicaux qu’il n’est pas encore prêt pour être titulaire. Il bénéficie pour l’instant du départ de Drogba, du repos de Torres et de l’absence d’autre vrai avant de pointe ( NDLR, Sturridge est lui aussi aux JO). Je pense qu’Abramovitch va encore acheter un attaquant de haut niveau et même s’il aime beaucoup Torres et que ne rien transférer enlèverait de la pression sur les épaules de l’Espagnol. J’espère pour son futur que Lukaku sera prêté car on ne progresse pas quand on évolue avec la réserve. Quand j’analyse son jeu, j’ai le sentiment qu’il a stagné. Je suis un peu déçu de son développement.  »

Son analyse concernant Hazard est bien différente.  » Je suis très confiant après ce que j’ai vu. Il me fait penser à Sergio Agüero. Il est très fort sur ses jambes et très rapide : il peut apporter de la vitesse à l’équipe, et c’est ce qui a manqué à Chelsea la saison passée… Les joueurs ont souvent besoin d’un temps d’adaptation quand ils débarquent dans un club comme le nôtre, mais je ne pense pas que ce sera le cas de Hazard.  »

40 millions d’euros est-ce trop d’argent pour un joueur venu de Lille comme l’affirme AlexFergusson ?  » Je ne pense pas. C’est le prix aujourd’hui pour attirer ce qui se fait de meilleur. Et Hazard en fait partie « , conclut Sinclair avant de se poser en seconde classe.

Notre international a la cote mais n’a pas encore un nom outre-Atlantique.  » C’est un peu une inconnue pour nous. La Ligue 1 est très peu médiatisée « , explique un journaliste de SportIllustrated. Même constat pour Thierry Henry croisé dans l’Urban Outfitters de la rue commerçante de Philly et pas le moins du monde ennuyé par la foule :  » Franchement, j’en ai entendu beaucoup de bien mais je ne suis pas à-même de juger son jeu. Aux Etats-Unis, on ne capte pas la Ligue 1. On verra ce soir (lisez mercredi dernier) « .

Eden lui connaît parfaitement ses glorieux aînés et a savouré l’instant.  » J’ai toujours admiré Beckham et Henry. Les voir jouer, c’est super « , dit-il après l’All-Star Game.  » Quand Henry évoluait à Arsenal, c’était mon idole. Pouvoir parler avec lui, échanger des impressions, c’est que du bonheur ( sic). Il m’a dit qu’il aimait New-York, que c’était la belle vie.  »

Seattle, NY, Philly, Miami, la pépite du football belge a traversé l’US Tour des Blues le sourire aux lèvres. De quoi lui donner des rêves américains en fin de carrière ?  » Pourquoi pas… Mais je n’en suis qu’au début, j’ai tout le temps pour y penser… « . Pas faux.

PAR THOMAS BRICMONT, AUX ETATS-UNIS – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » J’ai trouvé la préparation moins costaude qu’à Lille où l’on courait beaucoup plus. « 

(Hazard) » Hazard est très fort sur ses jambes et très rapide : il me fait penser à Sergio Agüero  » (Frank Sinclair)

 » Quand j’analyse son jeu, j’ai le sentiment que Lukaku a stagné. « 

Hazard, Mata, Marin, Oscar, Piazon : vers un sexy Chelsea.

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