Hazard, le seul artiste du foot français ?

Il est 22 h 30, le chrono du Stade de France indique qu’on joue la 89e. On se dirige vers un 0-0, comme le score qui avait sanctionné la rencontre de championnat avec le PSG au Stadium Nord, en tout début de saison. Lille hérite d’un coup franc le long de la ligne de touche, presque au point de corner. LudovicObraniak, ce Français qui joue pour l’équipe nationale polonaise et venait de remplacer le meilleur buteur de L1 MoussaSow dix minutes auparavant, frappe du gauche.

Aucun défenseur parisien ni attaquant lillois ne parvient à toucher le ballon qui surprend le gardien GrégoryCoupet. Après 56 ans d’attente, la Coupe de France est enfin lilloise. Peu mérité vu la domination et les occasions de buts du PSG. Mais MickaelLandreau veillait au grain le jour de son 32e anniversaire. Et les Dogues ont su attendre leur tour pour mordre. La fête pouvait commencer. Le capitaine RioMavuba a pris le micro sur la pelouse pour demander :  » Supporters lillois, êtes-vous là ?  » Ils furent près de 30.000 à répondre, alors que le virage nord qui hébergeait les fans parisiens était déjà vide. Les Ch’tis s’étaient déplacés soit par les 50 autocars qui avaient quitté Villeneuve d’Ascq sur le coup de 11 h du matin, soit par le TGV spécial qui avait quitté la gare de Lille-Flandres à 16 h 30. D’autres avaient rallié Paris par leurs propres moyens. 30.000, c’est le double de l’assistance moyenne au Stadium Nord. Lille s’est-il trouvé au Stade de France un public ?

Alors que les joueurs enfilaient un t-shirt rouge frappé du n°6, symbolisant la 6e Coupe de France conquise, on s’est souvenu que les cinq précédentes avaient toutes été remportées entre 1946 et 1955, dans le vieux Stade de Colombes. Une éternité. A l’époque, les figures emblématiques étaient MarceauSomerlinck, décédé en 2005 et l’un des trois joueurs de l’histoire de la Coupe de France à compter cinq succès à son palmarès, et RogerVandooren, l’un des trois joueurs à avoir inscrit quatre buts en finale. Deux noms qui rappellent que Lille est situé en Flandres françaises. On a l’impression qu’avec ce trophée le LOSC est pleinement entré dans l’ère moderne dont le symbole sera le Grand Stade de 50.000 places, dont on commence à voir la carcasse se dessiner le long du périphérique, et qui sera inauguré en juillet 2012. Ce n’est plus un club qui vit avec son passé, mais qui regarde vers l’avenir.

 » Tout le monde est ébloui par cette grande dame « 

RudiGarcia pousse la porte donnant accès à la salle de conférence de presse, et puis s’arrête.  » On dirait un décor de théâtre « , s’étonne-t-il. Il retourne sur ses pas, referme la porte et frappe trois coups puis entre à nouveau :  » Voilà, on peut commencer « .

 » Déjà, se retrouver en finale, c’était historique. La gagner, c’est exceptionnel. Ma première pensée va à mon père. J’aurais aimé qu’il voie ça. Si je suis capable d’effectuer tout ce travail au quotidien, c’est grâce à la force qu’il a su me donner. J’avais disputé la Coupe de France avec des équipes amateurs : Corbeil-Essonnes et Dijon, avec qui j’avais atteint les demi-finales. Vivre une finale et la gagner avec un groupe pro, c’est exactement pareil. Ils étaient tous éblouis et enthousiastes face à cette grande Dame. Personnellement, j’avais surtout envie de la gagner avec ce groupe-là. Le match, qui était cadenassé en première période, a ensuite changé de physionomie avec le coaching d’ AntoineKombouaré et le mien. Le PSG a souvent joué long, pour essayer de trouver GuillaumeHoarau. Il fallait pouvoir répondre à ce jeu athlétique. A l’heure de jeu, on a commencé à souffrir. MickaëlLandreau nous a sorti un ou deux arrêts importants. Après, on était mieux dans le match, grâce à un système différent, avec l’introduction d’un point d’appui qu’a été TulioDeMelo. On se doutait que cela se jouerait sur un détail. Ludo nous a sorti sa patte gauche au bon moment. C’est chouette pour lui, qui n’a pas toujours eu un gros temps de jeu cette saison, mais aussi pour tout le groupe. Je pense que cette victoire peut nous booster dans la perspective de la lutte pour le titre. A nous de conclure. On a eu la bonne idée de ne pas aller aux prolongations, mais il va falloir gérer la fatigue. La perspective de réaliser un doublé suscite-t-elle stress et appréhension ? Pas chez moi, en tout cas.  »

Pourquoi les Français adorent Hazard

Il est minuit et demi lorsqu’ EdenHazard quitte le vestiaire. Fatigué mais heureux.  » Cela fait plaisir de voir tous ces supporters ivres de bonheur. Ils attendaient cela depuis si longtemps. Ce fut un match compliqué, très fermé, avec du déchet technique des deux côtés et qui s’est joué sur un coup de dés. Obraniak l’a-t-il fait exprès ? Peu importe…  »

Lorsqu’on lui fait remarquer que lui-même a aussi vécu un match compliqué, il pousse un soupir qui en dit long. Son impact a été moindre qu’en d’autres circonstances. Certes, c’est sur lui qu’on a commis la première faute, après 50 secondes à peine. Certes, il a botté la plupart des coups francs et des corners. Certes, en servant de relais pour les une-deux, il a dispensé trois talonnades. Comme d’habitude, en fait. Mais il a rarement pu se défaire de l’étau dans lequel les Parisiens l’avaient enserré. Il n’a pourtant pas été pris en marquage individuel, plutôt par le défenseur qui se trouvait dans sa zone, mais il a eu affaire à forte opposition.

La veille, lorsqu’on lui avait demandé s’il avait prévu un dispositif anti-Hazard, Kombouaré avait répondu :  » Un dispositif anti-Hazard ? Que faites-vous, alors de Sow et de Gervinho ? Sow a inscrit 21 buts, Gervinho 14, Hazard seulement 7. Je ne sais pas si c’est spécifiquement Eden qu’il faut surveiller. « 

Et de fait, Hazard n’a inscrit que sept buts en Ligue 1. On s’imagine parfois qu’il en a beaucoup plus. Sans doute parce que la plupart sont spectaculaires. Comme ce tir lointain, du gauche, qu’il a envoyé dans la lucarne au stade Vélodrome de Marseille. Ou ce coup franc, tout récemment, qui a rapporté trois points très précieux au stade Marcel Picot de Nancy. Sur le plan des statistiques, Hazard est en légers progrès par rapport à la saison dernière, mais le problème d’efficacité qu’il connaît chez les Diables Rouges – où il n’a toujours pas trouvé le chemin des filets – est récurrent en Ligue 1. Pas en Coupe, une épreuve dans laquelle il a marqué trois fois cette saison : en 32e chez les Amateurs de Forbach (1-3), en 8e contre Nantes (1-1) et en demi à Nice (0-2). Sans oublier le tir au but décisif en quart contre Lorient.

Malgré des statistiques moyennes, les Français l’adorent tant à cause de ses gestes techniques, de son impact offensif, de ses dribbles déroutants. Même les supporters adverses l’apprécient : il y a une semaine, il était sorti sous les acclamations du public de Geoffroy-Guichard, après la victoire 1-2 à Saint-Etienne. Son nom est sur toutes les lèvres. Au lendemain de la victoire en Coupe, c’est lui qu’on invite sur le plateau de Téléfoot. Il figure dans le quatuor de nominés pour le trophée de meilleur joueur de Ligue 1 décerné dimanche prochain, avec son coéquipier Sow, le Parisien Nenê et le buteur lorientais KevinGameiro. Selon la plupart des observateurs, il a de bonnes chances de l’emporter, après deux titres consécutifs de meilleur Espoir.

Son coach, lui, est nominé pour le trophée d’entraîneur de l’année avec DidierDeschamps (Marseille), FrancisGillot (Sochaux) et ChristianGourcuff (Lorient).

Landreau, comme un clin d’£il de l’histoire

Landreau, lui, est nominé pour le trophée de meilleur gardien avec SteveMandanda (Marseille), HugoLloris (Lyon) et StéphaneRuffier (Monaco). Sa contribution, dans la conquête de la Coupe de France, fut énorme. En finale, mais aussi lors des tours précédents puisqu’il a qualifié à deux reprises le LOSC aux tirs au but, contre Nantes et Lorient.

Sur un plan personnel, il a fêté son troisième succès en Coupe :  » Je savoure toujours autant une victoire en Coupe de France, mais rien ne remplacera les sensations éprouvées lorsque j’ai remporté l’épreuve avec mon club formateur de Nantes, en 1999. Cette fois, je suis content de pouvoir partager ça avec les gens du Nord. A Lille, je prends beaucoup de plaisir. Le parcours que l’on a effectué s’assimile à un clin d’£il de l’histoire, puisque j’ai affronté mes deux anciens clubs : Nantes en 8e et le PSG en finale. Marquer à une minute de la fin, c’était le scenario idéal. J’ai pensé que le ballon sortait, puis j’ai vu que les filets tremblaient. J’ai entendu une explosion de joie derrière moi. J’ai regardé le chrono et compris que cela sentait bon. Une finale n’est belle que lorsqu’on la gagne. Au départ de la saison, l’objectif était simplement d’exister, de faire mieux que la saison dernière. Mission accomplie. La force de notre groupe, c’est un mélange intéressant d’expérience, de jeunesse, d’insouciance et de découverte pour certains. Je trouve l’enchaînement des matches positif : cela nous a permis de ne pas prendre en priorité un seul objectif, mais de donner le meilleur de nous-mêmes à chaque occasion. Quand on s’est rendu à Saint-Etienne, on a préparé le match de Geoffroy-Guichard sans penser au Stade de France. Et quand on a préparé la finale, on l’a fait sans penser aux trois matches de championnat qui restaient. « 

Le PSG se présentait pourtant comme un adversaire redoutable : en 30 ans, les Parisiens ont disputé 12 finales et en ont gagné huit.  » Pourquoi le PSG est-il si bon en Coupe de France ? « , s’interroge Landreau.  » Les Parisiens subissent une telle pression qu’ils ne peuvent se permettre de snober aucun match, pas même contre un club de division inférieure. Ils ont encore moins le droit que les autres de passer à la trappe. On a parfois l’impression qu’ils ont de la réussite au niveau du tirage. Nous, cette saison, on a pratiquement eu le même tirage que le PSG ( NDLR : avec Forbach, Wasquehal, Nantes et Lorient, tous à domicile, puis Nice en demi, le tirage a été plutôt favorable aux Lillois) et on s’en est sorti. Quand on regarde, on voit que Marseille ne s’est pas fait sortir par une Ligue 1 mais par l’Evian-Thonon-Gaillard de BertrandLaquait.  »

Un tir de poule qui offre la C1

Si Obraniak fut décisif en finale, Mavuba l’avait été à Saint-Etienne en championnat, quatre jours plus tôt. Lui qui ne marque quasiment jamais, avait offert la victoire à son équipe dans le chaudron des Verts, au point de se faire chambrer par ses partenaires.  » J’avais déclaré à l’un de vos confrères qu’avant la fin de l’année, je marquerais un but qui serait décisif « , se souvient-il.  » J’ai tenu parole. « 

Garcia intervient :  » Décisif ? C’est le moins que l’on puisse dire : c’est un but qui nous offre la Ligue des Champions, ce n’est pas anodin. « 

 » Il paraît que j’ai un tir de poule « , poursuit Mavuba. C’est AdilRami qui prétend cela. Que puis-je lui répondre ? Qu’il essaie déjà d’en mettre un, cette saison ! Ces plaisanteries qu’on se lance témoignent du bon état d’esprit dans le groupe. J’espère qu’on le gardera jusqu’à la fin. Je savoure d’autant plus cette réussite que j’avais galéré à Villarreal. Lorsque j’ai signé à Lille, certains s’étaient demandé ce que je venais faire là. Voilà la réponse.  »

Samedi, Lille retrouvera le PSG, au Parc des Princes cette fois. Avec, peut-être, le titre de champion de France au bout du compte.

 » En ce qui nous concerne, il sera impératif de nous ressaisir afin d’assurer à notre tour une place en Ligue des Champions « , enchaîne Kombouaré.  » Dans un match comme une finale de Coupe, il faut être capable de concrétiser, on ne l’a pas fait. Bravo à Lille, c’est un beau vainqueur et sans doute le futur champion de France. « 

PAR DANIEL DEVOS AU STADE DE FRANCE – PHOTOS: REPORTERS

Le LOSC ne vit plus avec son passé, mais regarde vers l’avenir

 » On a égalisé par rapport à Marseille : à eux la Coupe de la Ligue, à nous la Coupe de France.  » (Rudi Garcia)

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