Hazard doit bosser!

L’entraîneur de Lille évoque les ambitions de son équipe et analyse l’évolution d’Eden Hazard.

Demain, La Gantoise accueille le LOSC d’Eden Hazard. L’entraîneur Rudi Garcia, qui a succédé à Claude Puel en 2008, a confirmé le club nordiste parmi les valeurs sûres de la Ligue 1. Commençons par la fin de saison dernière : à la 90e minute du dernier match de championnat, le LOSC était virtuellement en Ligue des Champions, avant d’encaisser dans les arrêts de jeu le but qui vous reléguait en Europa League. Avez-vous ressenti, chez vos joueurs, le même sentiment de désappointement qui anime aujourd’hui les joueurs d’Anderlecht ?

Rudi Garcia : Il y a deux manières de voir les choses. D’un côté, si l’on prend uniquement en considération la dernière journée de championnat, il est exact qu’on a loupé la Ligue des Champions à deux minutes près. D’un autre côté, il faut se souvenir qu’à cinq journées de la fin, on était sixième. On héritait donc, simplement, d’une… médaille en chocolat. On n’était même pas européen. Au départ de la saison, l’objectif du club était de l’être. On a donc rempli cet objectif. Mais, effectivement, on peut nourrir des regrets. Au retour de Lorient, où l’on a laissé échapper une place en C1, on a organisé une réception avec les joueurs, la direction et le personnel administratif, pour se dire au revoir. On n’a pas passé beaucoup de temps ensemble : le lendemain, chacun est parti en vacances de son côté. Je pense que les joueurs ont vite évacué leur frustration.

Pas d’amertume lorsque vous voyez Auxerre affronter le Milan AC, le Real Madrid et l’Ajax Amsterdam ?

Je suis content pour Auxerre. Mais je sais aussi que les compétitions européennes, et davantage encore la Ligue des Champions que l’Europa League, exigent une grosse dépense d’énergie. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles l’AJA est actuellement à la traîne en championnat.

Quelle importance accordez-vous à l’Europa League ?

Beaucoup d’importance : on essaiera d’aller le plus loin possible. On ne dépense pas autant d’énergie pendant 38 journées de championnat, dans le but de se qualifier pour l’Europa League, pour ensuite galvauder cette compétition. On s’est qualifié pour les poules, au détriment des Roumains du SC Vaslui, c’est un premier objectif réalisé. Maintenant, on va essayer de s’extraire des poules, en sachant qu’on n’a pas pris le meilleur départ possible puisqu’on a été battu à domicile par le Sporting de Lisbonne… qui est peut-être, c’est une circonstance atténuante, le favori de la poule.

Beaucoup de clubs français tiennent un discours indiquant que la priorité reste le championnat. On a l’impression que les compétitions européennes sont accessoires…

Pour Lille aussi, la priorité reste le championnat. Tout simplement, parce que si l’on veut regoûter aux compétitions européennes la saison prochaine, il faut se classer en ordre utile. Mais on essaiera tout de même de profiter de l’expérience acquise la saison dernière pour atteindre une fois encore, si possible, les huitièmes de finale voire mieux.

 » Lille champion, est-ce bien réaliste ? « 

Il y a un an, vous aviez affronté Genk au tour préliminaire et vous l’aviez éliminé sans trop de difficultés. Cette fois, vous allez affronter La Gantoise. A quel genre de match vous attendez-vous ?

A un match disputé, relativement physique, car La Gantoise possède des qualités. Sur son terrain, elle est capable de nous poser des problèmes. Mais on devra se montrer ambitieux malgré tout, car après notre échec initial, on n’a plus trop le droit à l’erreur. Ce sera aussi le même objectif lorsqu’on affrontera le Levski Sofia : si l’on veut s’extraire des poules, on doit laisser deux équipes derrière nous.

Avez-vous déjà visionné La Gantoise ?

Personnellement, non. Mon adjoint, oui. Ses rapports me seront précieux.

Etes-vous satisfait du début de championnat du LOSC ?

Oui, il est plutôt satisfaisant : on possède le double de points que l’an passé à la même époque. On est toujours invaincu, même si sur les sept matches disputés, cinq se sont soldés sur un partage.

A quoi répondrait une bonne saison ?

Une place dans les cinq premiers, c’est-à-dire qualificative pour l’Europe, ferait mon bonheur. Si l’on pouvait, en plus, aller loin dans une des deux coupes nationales (Coupe de France et Coupe de la Ligue) ou en Europa League, ce serait un bonus.

Le PFPO (Professional Football Players Observatory), en se basant sur des recherches académiques et en collectionnant les statistiques, a déterminé les probables champions dans les cinq principaux championnats européens : Barcelone, Manchester United, le Bayern Munich, l’Inter Milan et… le LOSC !

Ah bon ? C’est un grand honneur. Mais je me demande si c’est très réaliste. Si cet organisme a lancé de telles prédictions, il nous prête des ambitions que nous n’avons pas. Il y a, en France, d’autres équipes qui ont dépensé beaucoup d’argent pour pouvoir coiffer les lauriers en fin de saison. Terminer dans le Top 5 pour la troisième saison d’affilée, ce serait déjà très bien.

Mais les grosses cylindrées françaises ont un peu loupé leur départ…

Leur départ, vous l’avez bien dit. On n’en est qu’au tout début. Sur la durée, le classement reprendra une forme plus traditionnelle, j’en suis persuadé.

Qui voyez-vous comme favori ?

Marseille, Lyon et Bordeaux.

Le Paris Saint-Germain ?

Peut-être, pourquoi pas ?

Et le LOSC cinquième, derrière ces quatre puissances ?

Cinquième ou mieux. La saison dernière, on était 4e et je n’ai pas envie de régresser. Mais, si vous me donnez un papier où il est écrit  » 70 points et 72 buts inscrits « , je signe tout de suite. Car malgré la déception d’avoir loupé la Ligue des Champions, la saison dernière fut exceptionnelle : on a terminé avec la meilleure attaque du championnat, avec un total de buts qui constitue un record dans l’histoire du LOSC. Huit fois sur dix, le total de points qu’on a atteint est suffisant pour atteindre la Ligue des Champions. Pas de chance pour nous : en 2009-2010, ce n’était pas suffisant.

 » Le problème actuel, c’est la finition « 

Vous aviez traversé une période euphorique : huit victoires d’affilée, en inscrivant quasiment trois ou quatre buts à chaque match. Aviez-vous, à ce moment-là, évolué en surrégime ?

Euphorique, c’est le terme exact : tout nous souriait, on était en pleine confiance et chaque touche de balle se transformait en but. Mais cette période euphorique a aussi engendré une conséquence perverse : aujourd’hui, lorsqu’on n’inscrit que deux buts, les gens font la fine bouche. L’attente est désormais très grande. Aucune équipe au monde n’est capable d’inscrire trois ou quatre buts à chaque match. Lille en est capable épisodiquement, sur un match ou deux, mais si je pouvais gagner à chaque fois 1-0, je serais déjà satisfait.

Comme contre Auxerre, il y a dix jours ?

J’admets que ce n’était pas le match le plus spectaculaire qui soit, mais c’est quasiment impossible lorsqu’on affronte l’AJA. Ce n’est pas un grief : je respecte beaucoup Auxerre et son entraîneur Jean Fernandez. C’est une équipe intelligente, qui joue avec ses moyens. Elle possède un passeur phénoménal en la personne de Benoît Pedretti et un finisseur exceptionnel en la personne d’Ireneusz Jelen. Elle table sur la contre-attaque. Et cela paie, puisqu’Auxerre est en Ligue des Champions.

Quelle est votre philosophie de jeu ?

J’attends de mon équipe qu’elle ait la possession du ballon, qu’elle développe un jeu en mouvement à base de touches de balle relativement simplifiées. Un jeu qui doit nous permettre de nous approcher le plus souvent possible du but adverse, d’avoir des positions de tir, des coups francs bien placés, des corners. Je pense qu’on y parvient. Pour le moment, le problème, c’est la finition. On se crée beaucoup d’occasions mais on ne les concrétise pas. Soit on ne cadre pas, soit on se heurte à un gardien en état de grâce, soit on manque de réussite. Si l’on pouvait avoir la même efficacité en match qu’à l’entraînement, ce serait parfait.

La pelouse du stade de Villeneuve d’Ascq est l’une des meilleures de France et favorise le jeu construit que vous souhaitez développer…

La pelouse est, effectivement, superbe.

Le stade, en revanche…

Vous avez tout résumé. On attend avec impatience la construction du futur Grand Stade, dont l’inauguration est prévue pour 2012. Ce Grand Stade devrait permettre un développement économique plus important. On pourra alors rehausser nos ambitions et viser, pourquoi pas, le titre de champion de France.

Cela sous-entend : attirer d’autres joueurs. Car, pour l’instant, les transferts se font plutôt de Lille vers Lyon que dans l’autre sens…

Le LOSC enregistre, en effet, un déficit structurel chaque année, qui l’oblige à vendre des joueurs. Le président pourrait vous en parler mieux que moi. Cette saison, je constate malgré tout que contrairement à la rumeur qui avait circulé, on a pu garder nos joueurs-clefs malgré la non-qualification pour la C1.

 » Eden doit encore développer une culture du travail « 

Dont Eden Hazard, qui était aussi convoité par Lyon…

Eden est convoité par de nombreux clubs, même si à ma connaissance, aucune proposition réellement concrète n’est jamais arrivée sur la table. Le joueur est assez intelligent pour comprendre qu’au stade actuel de son développement, il est préférable pour lui de rester à Lille, de jouer un rôle important dans une équipe qui occupe le haut du tableau, qui dispute une compétition européenne, plutôt que partir trop tôt dans un club prestigieux mais où il risquerait de se retrouver sur le banc, à admirer les prestations des grosses vedettes.

Manchester United se serait renseigné pour Eden…

En ce qui me concerne, je peux vous affirmer qu’il n’y a eu aucune proposition officielle. Peut-être le président en sait-il plus. Mais je sais, aussi, qu’Eden est très bien entouré. Ses parents sont des gens très raisonnables, qui ont les pieds sur terre. Ses agents, que je connais, gèrent également très bien sa carrière. Ils songent à l’intérêt d’Eden avant de songer à faire du fric sur son dos.

Comment jugez-vous l’évolution d’Eden ?

Plutôt bonne. Il a progressé. Depuis que je suis arrivé, il est entré dans le groupe, il est passé d’un statut de réserviste entrant au jeu en cours de match à un statut de titulaire, il est devenu le meilleur passeur du club la saison dernière. Je pense, néanmoins, qu’il pourrait marquer plus de buts et devenir encore plus décisif. Il faut, aussi, qu’il développe une culture du travail à l’entraînement : il adore la compétition, mais il faut parfois encore le pousser au niveau des entraînements.

C’est aussi, apparemment, le reproche qu’on lui a formulé en équipe nationale…

Ah bon ? C’est un défaut qu’il possède actuellement. Eden est encore jeune. Mais, comme il est intelligent, je suis convaincu qu’il comprendra que son talent, seul, ne suffira pas à l’amener vers les plus hauts sommets.

Mais il est doué ?

Très doué. C’est rare de trouver des joueurs aussi doués que lui. Il est capable de faire la différence en un-contre-un. C’est un dribbleur, une denrée de plus en plus rare dans le football moderne. Pour déstabiliser une défense adverse, c’est important d’avoir des joueurs pareils, qui éliminent un adversaire dans les 30 derniers mètres, d’un coup de génie improvisé.

Fait unique : Eden a été élu, deux années de suite, Espoir de l’Année en Ligue 1…

C’est bien, j’étais très heureux qu’il ait eu ce prix-là. Il figurait aussi, cette année, parmi les nominés pour le titre de meilleur Joueur de Ligue 1, et j’ai eu très peur qu’il ne décroche la récompense suprême. Elle ne lui aurait pas rendu service. Je ne sais pas s’il aurait plané, mais il aurait déjà été considéré comme le meilleur et aurait peut-être pu penser qu’il ne faut pas fournir beaucoup d’efforts pour triompher.  » Espoir « , cela signifie qu’il doit encore travailler.

Défensivement, notamment ?

Oui, même s’il a déjà progressé dans ce domaine. Lorsque je suis arrivé, j’avais déclaré que pour lui, le football commençait quand il avait le ballon. Même pas quand son équipe avait le ballon. Aujourd’hui, Eden a compris que lorsque son équipe avait le ballon, il devait se démarquer. C’est déjà un premier pas. Il a aussi beaucoup progressé dans son investissement défensif. Dans certains matches, il avait tellement envie de gagner qu’il faisait tout – attaquer et défendre – et perdait sa fraîcheur. A force de lui expliquer les théories du placement défensif, il commence progressivement à mieux gérer ses efforts.

 » Le championnat de Belgique est une belle rampe de lancement « 

Lille recèle deux autres joueurs bien connus en Belgique : Gervinho et, depuis cet été, David Rozehnal…

J’avais vu Gervinho, jadis, à Beveren. Je m’étais, en réalité, déplacé pour voir un latéral gauche, Armand Mahan, mais c’est surtout Gervinho qui m’avait séduit. Lorsque j’ai entraîné Le Mans, je l’ai attiré. Tout comme Romaric, un autre joueur formé à l’Académie de Jean-Marc Guillou qui est passé par Beveren. Gervinho a explosé au Mans. Je n’ai pas pu l’emmener directement avec moi à Lille, j’ai dû patienter un an, mais tout vient à point à qui sait attendre. C’est un joueur très important dans notre animation offensive. Un joueur qui, à l’instar d’Eden, est capable d’être décisif. Un peu moins milieu offensif et plus attaquant qu’Eden, mais avec la même capacité de perforer les défenses adverses. Rozehnal, ex-joueur de Bruges, revient en France après un passage par le PSG puis Hambourg. Il nous apporte son expérience, son sens du placement. Il est arrivé très affûté, même s’il n’a pas participé aux trois ou quatre premiers matches de Bundesliga. Cela confirme que le championnat de Belgique peut constituer une rampe de lancement en devenir. Il recèle de très bons joueurs et on garde un £il dessus.

Gianni Bruno (surnommé la nouvelle perle belge de Lille) fait-il toujours partie de votre effectif ?

Tout à fait. Il a participé au stage de préparation et joue actuellement avec l’équipe de CFA. C’est un joueur de qualité, qui a le sens du but.

Le centre de formation du LOSC est-il toujours aussi performant ?

Oui, mais plus on rehausse les ambitions, plus la tâche devient compliquée. Eden est hors normes : un talent comme lui, on en produit un tous les 25 ans. On mène actuellement une vraie réflexion sur la formation, pour voir comment on doit la faire évoluer. Car, avec un LOSC européen, la barre est désormais placée très haut.

Par Daniel Devos

Aujourd’hui, lorsqu’on n’inscrit que deux buts, les gens font la fine bouche.

Un joueur comme Eden Hazard, on en produit un tous les 25 ans.

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