HASI MINEUR

Le football est minimaliste, l’audace reste au vestiaire et les jeunes sont perdus dans un jeu qui ne ressemble pas à celui de Neerpede. Et si Besnik Hasi était en train de faire d’Anderlecht un club belge comme les autres ?

Il y a 639 jours, Besnik Hasi a quitté le training de l’assistant pour enfiler le costume de T1 le plus difficile à porter du pays. Dans le confort de la plupart des enceintes belges, le flacon du jeu importe peu, pourvu que l’ivresse de la victoire soit au rendez-vous. Mais dans les travées du stade Constant Vanden Stock, on ne se saoule qu’au champagne.

Le problème, c’est que le football à bulles de l’Albanais tarde à montrer le bout de son nez. Le bilan chiffré n’est pas dramatique, mais la maison mauve est plutôt un repaire d’amateurs d’art qu’un magasin de calculatrices. L’autre problème, c’est que l’amateur d’art est orgueilleux. Et qu’il a du mal à supporter que la Ghelamco Arena soit devenu the place to be footballistique du pays.

À Anderlecht, il règne un sentiment étrange. Celui d’un musée du beau football où le conservateur est un comptable.

JEU SANS IDÉES

 » Je ne dois pas montrer à mes joueurs comment dribbler un adversaire. Par contre, je peux essayer de les mettre dans des situations de un-contre-un.  » (Pep Guardiola)

Le règne mauve de Besnik Hasi a commencé par un titre, acquis dans la stupeur et la sueur. Son football fondateur était un 4-4-2 à l’entrejeu nettoyé par un Kouyaté boulimique et dessiné par un Tielemans géomètre. Praet, Bruno et Najar étaient chargés de créer des actions conclues par le sang-froid de Mitrovic. Un schéma loin d’être révolutionnaire, qui fonctionnait surtout parce qu’Anderlecht s’offrait de l’espace en étirant les lignes.

L’Albanais s’est aménagé une réputation en onze matches, avant de sauver les meubles bruxellois à plusieurs reprises grâce à des prestations abouties sur la scène européenne. Pas vraiment surprenant, quand on sait que le football d’Hasi s’écrit sans le ballon. Avec 42,5 % de possession de balle moyenne en treize sorties continentales, le Sporting d’Europe ne s’embarrasse pas de la sphère pour dévorer les espaces offerts par un adversaire devenu trop entreprenant. L’Anderlecht d’Hasi est une équipe de contre.

Le problème, c’est qu’Anderlecht reste Anderlecht. Impossible de jouer de la sorte en Belgique, face à des adversaires qui ne pensent souvent qu’à défendre leur rectangle à double tour face au Sporting. La situation devient paradoxale : on parle d’une équipe qui ne veut pas du ballon, mais qui se retrouve avec 57,5 % de possession de balle moyenne depuis le début de saison.

Avec la balle entre les pieds, les hommes d’Hasi ne jouent à rien. Les passes se donnent sans réelle intention, aucun schéma offensif ne semble répété. L’Albanais est de ceux qui remettent les décisions dans la zone de vérité entre les pieds de leurs individualités. Pour expliquer les difficultés des siens, il déclare encore récemment :  » Anderlecht a toujours eu des joueurs qui peuvent faire la différence sur une action individuelle, nous n’en avons pas pour le moment.  » Sauf que chez Hasi, le dribble est moins là pour profiter du décalage que pour le créer. Dribbler pour créer, plutôt que l’inverse.

Les victoires mauves s’acquièrent au talent plutôt qu’au travail. Les gammes sont inexistantes, et privent carrément l’équipe de repères de jeu tangibles.  » Ce qui me frappe, c’est la façon dont Gand peut se reposer sur ses automatismes, même en Ligue des Champions « , déclare un Praet admiratif.

Anderlecht en est incapable. Car la beauté du jeu du Sporting est indigne de celle de ses joueurs. Cet RSCA, c’est un groupe de cheerleaders qui fait la danse des canards.

ON ARRÊTE LE PROGRÈS

 » L’entraîneur n’est pas seulement quelqu’un qui met les joueurs sur le terrain. Il doit aussi enseigner au joueur, l’améliorer individuellement.  » (Alfredo Di Stefano)

Outre un titre acquis au terme d’une saison cauchemardesque, l’autre plume au chapeau de Besnik Hasi était la métamorphose de Dennis Praet, expatrié sur l’aile gauche pour grandir en musclant son jeu. Mais près de deux ans plus tard, le bilan de la progression des jeunes mauves tire franchement la gueule. Dans un club comme Anderlecht, qui a fait l’audacieux pari de se tourner vers un centre de formation très performant, l’homme au sommet de la pyramide sportive doit être un formateur. Hasi façonne-t-il vraiment le football de ses adolescents ?

Les exemples de Chancel Mbemba et d’Aleksandar Mitrovic permettront évidemment de répondre par l’affirmative, plus-value financière à l’appui. Mais le Serbe n’a-t-il pas surtout rapporté de l’argent grâce à des buts qu’il marquait déjà avant d’arriver au Sporting ? Mbemba est-il vraiment devenu plus fort au fil des matches, ou seulement plus expérimenté ? Le grand mérite d’Hasi est de mettre les jeunes sur le terrain, et de les y laisser en pleine tempête. Mais avec ce noyau, la plus grande part de son travail devrait se trouver à Neerpede, pas au Parc Astrid.

On pourrait parler de l’incapacité chronique d’Andy Najar à prendre une décision réfléchie dans les trente derniers mètres, de la quête toujours inachevée de l’endroit idéal où installer Youri Tielemans pour lui permettre de donner la pleine mesure de son talent ou du décalage entre les promesses affichées par Andy Kawaya et son temps de jeu famélique. Mais l’exemple le plus criant d’une progression individuelle défaillante est celui de Frank Acheampong.

Le Ghanéen présente des qualités physiques hors du commun. Ses sprints irrésistibles et son abnégation auraient déjà dû lui permettre de franchir plusieurs paliers, malgré une qualité de pied trop faible pour évoluer trop près du but. Des clubs étrangers se sont déjà intéressés à son profil, pourtant encore brouillon. Mais à Anderlecht, celui qui devrait devenir un latéral offensif voit son évolution embrumée entre des montées au jeu pour profiter de sa vitesse et des titularisations par défaut derrière à gauche, à l’instinct et sans réel travail préparatoire. Comme beaucoup d’autres à Saint-Guidon, Acheampong n’est pas encore le footballeur qu’il pourrait être. Et ça devient inquiétant.

COMPRENDRE LES VICTOIRES

 » J’ai vu plusieurs fois le match et ce qui m’inquiète le plus, c’est que je ne sais pas pourquoi nous l’avons perdu.  » (Vicente Del Bosque après Suisse-Espagne 2010)

Besnik Hasi ne coache pas assis. Pendant nonante minutes, l’Albanais est intenable. Il fait les cent pas, houspille ses hommes, les siffle, et les replace avec des gestes pleins d’emphase qui pourraient faire atterrir un avion sur la pelouse s’il portait une chasuble  » Brussels Airport « . Mais à l’image de ces gestes qu’on a parfois du mal à comprendre, ses ajustements en cours de match ressemblent à un plan griffonné au brouillon.

Exemple le plus frais, le match à Sclessin a offert un scénario pour le moins surprenant. Dominé dans l’entrejeu, Yannick Ferrera profitait de la pause pour ajuster son schéma tactique en fonction des problèmes que lui posait le triangle médian d’Hasi. Et pendant ce temps, dans le vestiaire d’en face, Hasi… retirait du terrain l’indispensable Dendoncker, déséquilibrant la rencontre à son désavantage.

À Genk, il a fallu attendre le dernier quart d’heure pour voir Sylla sortir du banc et prendre la place d’un Okaka qui disputait plus de duels avec Johan Verbist qu’avec Sébastien Dewaest. Le coaching d’Hasi laisse souvent dubitatif. Sauf en Coupe d’Europe, sa bulle d’air, où il fonctionne désormais selon un schéma récurrent mais rémunérateur : la montée au jeu d’un joueur explosif (Acheampong ou Ezekiel) dans la dernière demi-heure, pour profiter des espaces offerts par un adversaire qui pousse de plus en plus.

C’est surtout quand il est mené qu’Hasi réagit souvent à l’excès. Combien de fois a-t-on déjà assisté à ce fameux passage à trois derrière, dans un système qui sent l’improvisation et le  » hourra football « , comme quand un coach de provinciales fait monter un attaquant de plus et crie  » homme contre homme derrière  » à ses défenseurs pour tenter le tout pour le tout ?

Trop de choses sur le terrain semblent laissées entre les mains du hasard. Une stratégie qui n’est pas viable à long terme. Car si la victoire à Monaco était capitale, elle était surtout inexplicable. Un succès irrationnel qui fait sourire la trésorerie et le prestige national, mais qui n’arrache même pas un rictus au fameux football maison. À Anderlecht, on peut parfois ne pas comprendre pourquoi on a perdu, mais il faut toujours savoir pourquoi on a gagné.

C’EST QUOI LE PROJET ?

 » Les projets, par définition, concernent l’avenir, et peuvent seulement aboutir à une certaine continuité dans les résultats après un certain temps.  » (Carlo Ancelotti)

Gagner des matches pour gagner du temps. Parce qu’on ne construit pas une équipe en quelques semaines, il faut gagner des matches pour s’offrir des mois, afin d’avoir le luxe d’installer ses idées footballistiques. En bientôt deux ans, Besnik Hasi a su faire évoluer son football européen pour le rendre plus réaliste, plus cynique, et même plus solide défensivement. Par contre, son projet offensif semble toujours estampillé d’un énorme point d’interrogation.

On a toujours cru comprendre que l’Albanais préférait un système à deux attaquants : il avait confié à Cyriac qu’il voulait construire  » son  » premier Anderlecht autour du duo formé par l’Ivoirien et Mitrovic, avant de changer son fusil d’épaule… pour finalement y revenir avec l’arrivée d’Imoh Ezekiel, qu’il avait ardemment souhaitée. Résultat : Okaka s’est installé seul en pointe dans un 4-2-3-1 où l’ancienne flèche rouche est souvent exilée sur un flanc. Sans rendement, évidemment.

Surtout, pourquoi faire venir Ezekiel quand la majorité des matches du Sporting impliquent un football dominant, qui ne convient pas au Nigérian ? Le projet est brouillon, imprécis. À sa décharge, Hasi est souvent desservi par une direction sportive qui pense autant à faire des coups médiatiques qu’à attirer de véritables renforts à des postes problématiques. Une fois passé l’emballement médiatique, il reste un Defour dont la position naturelle est la même que celle de Tielemans, et un Ezekiel recruté pour évoluer dans un 4-4-2 qui n’existe pas.

Malgré tout, Hasi a eu les cartes en mains pour mettre en place son système fétiche. Le problème, c’est qu’il fallait trouver un équilibre tout en laissant Praet, Tielemans et Defour en vitrine. Ajoutez-y un Dendoncker indispensable à l’alchimie de l’ensemble et la volonté de jouer à deux devant, et vous obtenez un entrejeu en losange. L’idée était séduisante. Sa réalisation, catastrophique. Hasi n’a jamais maîtrisé la géométrie du losange, et est revenu à la simplicité d’un 4-2-3-1 accroché au rendement des individus. Le projet de jeu, lui, reste au frigo. Et il commence à prendre froid.

QUESTION DE STYLE

 » Je me suis demandé ce que signifiait le club : quelle était sa particularité ? Quel était son public ? L’équipe devait être fidèle à cette façon de vivre.  » (Radomir Antic)

Suffit-il d’avoir porté du mauve sur le dos pour avoir du football champagne dans les veines ? Besnik Hasi répond non. Le coach du Sporting connaît la maison, ses principes et son public exigeant, mais reste un milieu défensif qui brillait plus dans sa moitié de terrain que dans celle de l’adversaire.

Besnik n’a pas le style maison. Son football n’est pas dominant, et le public s’en désespère.  » À Anderlecht, les supporters aiment se rappeler le Sporting d’il y a trente ans « , soupire Herman Van Holsbeeck. L’audace anderlechtoise irait-elle seulement de pair avec le volume du portefeuille ?

Chez les jeunes, pourtant, le chromosome mauve est omniprésent. Les classes d’âge bruxelloises prennent la balle face au Barça, combinent comme des Espagnols et jouent avec l’assurance des Hollandais. Rensenbrink et Lozano ont fait des enfants, et ils habitent à Neerpede. Le problème, c’est que Besnik Hasi ne conduit pas encore le football de Neerpede jusqu’au Parc Astrid.  » Chez les pros, j’ai dû freiner un peu mon jeu « , admettait Youri Tielemans en début de saison. Comme si le football enseigné était trop ambitieux pour être en phase avec le monde professionnel.

Aujourd’hui, ce sont les Tielemans, Kawaya et Lukebakio qui se partagent l’héritage du style mauve. Les muscles d’Okaka, la rage de Defour ou les sprints d’Ezekiel n’ont pas grand-chose d’anderlechtois. Pas plus que le football d’Hasi. En prônant un jeu fait de contres individualisés et d’organisation défensive robuste, l’Albanais s’est éloigné des valeurs identitaires du club. De sa philosophie. Au point de devenir incapable de dominer une rencontre en proposant un football d’idées dès que l’adversaire a les qualités suffisantes pour fermer la porte de son rectangle à double tour.

Si on prélevait l’ADN du Sporting de Besnik Hasi, pas sûr qu’on puisse affirmer avec certitude qu’il a de la famille du côté de l’avenue Theo Verbeeck. Heureusement, pour les reconnaître, il reste les maillots mauves.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

En prônant un jeu fait de contres individualisés et d’organisation défensive robuste, Hasi s’est éloigné des valeurs identitaires du club.

Les gammes sont inexistantes, et privent carrément l’équipe de repères de jeu tangibles.

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