Happy Felli

Ce samedi, un Belge est au mythique rendez-vous annuel à Wembley.

C up Final : autour de Goodison Park, temple d’Everton, les gens n’ont plus que ces mots à la bouche. On fait la file pour des tickets et la boutique du club s’est subitement remplie de nouveaux articles d’un jour en vue du glamourous clash with Chelsea, comme ils l’annoncent ici. Everton joue ce samedi la finale de la Cup à Wembley. Les Blues l’ont remportée en 1995 : le dernier trophée en date dans l’histoire du club. Un Belge va donc participer à l’un des spectacles les plus prestigieux du monde du foot : Marouane Fellaini.

Rendez-vous sur les docks, l’un des endroits huppés de Liverpool, à seulement quelques kilomètres mais à des années lumière du triste quartier où sont installés Goodison Park et Anfield, où on compte par centaines les maisons qui n’attendent plus que l’arrivée des démolisseurs. Fellaini fait le point sur sa saison complètement folle.

La finale de la Cup, c’est LE gros match de l’année pour Everton et pour toi ?

Marouane Fellaini : Tu sais, ici, tu joues un gros match presque chaque week-end. Rien qu’en Cup, nous avons eu plein d’émotions fortes, de gros adversaires, de belles victoires. Nous avons éliminé Liverpool, Aston Villa, Middlesbrough et Manchester United pour arriver en finale. Pas mal, quand même ! Il n’y a plus qu’à terminer le travail contre Chelsea.

Chelsea, c’est jouable ?

Evidemment. Tout le monde les donne favoris mais personne ne nous donnait non plus la moindre chance en demi-finale contre Manchester United. Ici, tout le monde est chaud. Les supporters attendent un trophée depuis 14 ans et ça leur semble très long, presque invivable. La victoire de 1995, ils en parlent encore régulièrement.

Vous auriez préféré que Chelsea aille en finale de la Ligue des Champions ?

Sûrement. Ils auraient dû jouer la Ligue des Champions le mercredi et la Cup le samedi : difficile. Mais l’arbitre du match retour contre Barcelone avait décidé que Chelsea ne pouvait pas aller en finale. Je le connais bien, ce Norvégien : il m’a annulé un but contre l’Espagne avec les Diables et contre Liverpool avec le Standard.

La demi-finale contre Manchester s’est déjà jouée à Wembley : comment as-tu vécu ta première fois dans ce stade ?

C’était extraordinaire. La première fois de ma vie que je jouais devant 90.000 personnes. Nos supporters ont été fantastiques : ils ont colonisé le stade, ils en ont complètement pris le contrôle, l’ambiance venait d’Everton et pas de Manchester.

Vous avez joué contre une équipe B de Manchester : il manquait Edwin van der Sar, Cristiano Ronaldo, Wayne Rooney, Ryan Giggs, Michael Carrick…

OK mais ça reste Man. Utd, hein ! Regarde le beau monde qu’il y avait encore dans leur équipe ce jour-là. Je dois donner des noms ? On y va : Rio Ferdinand, Nemanja Vidic, Carlos Tevez, Paul Scholes et Dimitar Berbatov sont entrés en cours de match.

D’accord mais on a déjà un Utd plus glamour !

C’est vrai mais on s’en fout que van der Sar et Ronaldo soient là ou pas : on est en finale…

Comment avez-vous réagi en découvrant leur composition ?

Nous nous sommes dit que nous avions un beau coup à jouer. Mais eux aussi : ils n’ont pas balancé leur demi-finale. Il ne faut pas non plus diminuer nos mérites.

 » Quand les Belges me traitent de flop, je m’en fous « 

Quand as-tu eu l’impression de justifier enfin les 20 millions dépensés par Everton pour ton transfert ?

Pas directement, c’est sûr. Mais j’avais des circonstances atténuantes : je suis arrivé dans une équipe qui avait raté son début de championnat, il y a eu l’élimination en Coupe d’Europe par le Standard. C’est tout un club qui n’avait pas le moral. Dès que je rentrais en Belgique, je lisais dans les journaux que j’étais le plus grand flop de l’histoire d’Everton. Cela me dérangeait vraiment et je n’avais pas l’impression que les Anglais étaient aussi sévères quand ils parlaient de moi. C’est comme si on s’amusait à déformer les articles, à mal les traduire pour pouvoir dire que j’étais mauvais. Bon… Finalement, je m’en fous !

En arrivant, tu as quand même senti qu’il y avait beaucoup de sceptiques à Everton ?

Ce n’était pas facile pour moi, je ne le cache pas. Mais le coach a tout compris : en me faisant jouer directement, il a montré qu’il croyait énormément en moi. Je suis arrivé un jeudi et je jouais déjà le samedi.

Quel est ton match référence cette saison ?

C’est difficile d’en sortir un seul du lot. Je dirais le nul contre Manchester United, quelques semaines après mon arrivée. Nous sommes menés 0-1 et j’égalise après une heure.

David Moyes, ton coach, dit qu’il veut construire le nouvel Everton autour de toi. Un de tes coéquipiers, Leon Osman, affirme que c’est impossible de bien jouer contre toi.

Oui, ça fait plaisir mais ça ne me monte pas à la tête.

Tu es le meilleur buteur d’Everton : pas mal pour un gars qu’on avait transféré pour jouer comme médian défensif.

J’ai été plus souvent médian offensif que défensif. Cela explique mes statistiques.

 » La Fédération anglaise a reconnu que je ne méritais que 60 % de mes cartes jaunes « 

Le point négatif de ta première année ici, c’est le nombre très élevé de cartes jaunes que tu as prises ?

Ben j’apprends… En arrivant, je pensais qu’on laissait énormément jouer dans ce championnat. J’ai compris entre-temps que ce n’était pas vrai. Ici, chaque fois que tu annules une contre-attaque de l’équipe adverse, tu peux être sûr qu’on te donne une jaune. Que tu sois attaquant, médian ou défenseur. En clair, peu importe l’endroit où tu commets la faute. Maintenant, je le sais et je fais attention. Depuis quelques semaines, j’ai pris beaucoup moins de cartons. Enfin, je sais… on ne parle que de cela en Belgique. Ouvre un journal le lundi et tu liras un truc du style : -Fellaini a joué 90 minutes et n’a pas pris de carte jaune. Comme si c’était un petit miracle ! On estime que j’en ai vraiment trop pris ? Désolé, je découvre un autre monde et j’essayerai de faire mieux la saison prochaine. J’en suis à une petite quinzaine, je ne m’y attendais pas mais c’est fait, on ne retournera plus en arrière.

En Belgique, tu accusais les arbitres de t’avoir fait une réputation et de te punir à la moindre faute. Ici, tu as directement pris des cartes alors qu’on ne te connaissait pas : ton argument ne tient plus la route…

Les arbitres belges et anglais se sont sans doute passé le mot… (Il rigole). Non, si j’analyse mes stats belges avec un peu de recul, je me dis que les arbitres n’étaient pas si sévères avec moi. Lors de mes deux saisons au Standard, j’ai pris une dizaine de cartes par championnat alors que je jouais comme pur médian défensif. J’en ai plus ici alors que j’évolue plus haut sur le terrain. Je dois encore progresser pour être plus propre dans mon jeu, m’inspirer de joueurs qui sont extrêmement efficaces tout en étant très clean : Xabi Alonso, Michael Essien, Paul Scholes,…

Moyes a dit que tu avais eu besoin d’un soutien psychologique parce que tu supportais mal toutes tes cartes jaunes.

Nous avons eu une longue discussion quand je suis arrivé à dix cartes, un total synonyme de suspension systématique. Cela m’a justement fait rater deux matches contre Liverpool : dur à vivre, évidemment. Moyes et moi avons demandé un entretien à des membres de la commission de discipline de la Fédération. Je leur ai demandé pourquoi j’étais autant visé. Ils ont visionné les images et m’ont répondu que quatre des dix cartes n’étaient pas justifiées. Ils savent de quoi ils parlent : ce sont d’anciens arbitres de la Premier League. Ils m’ont proposé de faire passer mon message et mon incompréhension aux arbitres actuels.

Tu ne crois pas que le coach t’a fait avancer dans le jeu justement pour que tu prennes moins de cartes ?

C’est possible.

Un journal a écrit que ta coiffure t’amenait des problèmes : tu frappes le regard des arbitres et ils ont donc plus facilement tendance à voir tes fautes, puis à te donner des cartons…

On me l’a dit. C’est vrai qu’avec ma carcasse et ma tignasse, je suis plus impressionnant qu’un petit blond aux cheveux courts.

Un autre journal a répliqué en écrivant que cette explication ne tenait pas la route, vu que tu avais pris une carte rouge contre le Brésil aux Jeux Olympiques alors que tu avais là-bas une tête rasée comme une balle de tennis…

J’avais déjà des cheveux assez longs aux Jeux : c’est la preuve que les journaux peuvent parfois écrire n’importe quoi.

 » Bad boy, moi ? Et Vidic ? Et Ferdinand ? Ils sont encore moins poètes que moi « 

Le Sun te classe en tête des bad boys du foot anglais.

Ah bon ? Je ne savais pas. Je suis vraiment un bad boy, alors ? Je n’ai pas été exclu une seule fois cette saison. Et au Standard, ce n’était pas habituel non plus. Si moi, je suis un sale joueur… Je peux te citer des types du championnat d’Angleterre qui sont beaucoup moins poètes que moi : à Manchester United, la charnière centrale Vidic-Ferdinand, ce n’est pas ce qu’on fait de plus propre. Je jouais dans une position fort avancée en demi-finale de la Cup et j’ai bien eu l’occasion de m’en rendre compte. Ils n’ont pas arrêté de me donner des coups. Vidic n’a peur de rien : si ça ne tourne pas comme il le veut, il est capable de t’arracher la cheville. Mais bon, au bout du compte, on peut considérer que Vidic et Ferdinand forment sans doute la meilleure paire arrière centrale du monde.

La presse anglaise t’a collé une réputation de distributeur de coups de coude.

Ici, si tu ne te protèges pas, c’est toi qui prends les coups de coude. J’ai déjà eu un peu de tout : un nez tout bleu, l’arcade ouverte, un £il au beurre noir.

Everton a réagi officiellement quand on t’a collé cette étiquette, non ?

Tout à fait. C’est la BBC qui a affirmé cela. Juste avant la demi-finale contre Man. Utd. Comme par hasard… Il fallait sans doute influencer l’arbitre. Mon coach et mon club sont intervenus pour qu’on remette les choses en place.

Philippe Albert commentait ce match et a dit que pour ton coup de coude à Rio Ferdinand, ce n’était pas la jaune que tu méritais, mais la rouge.

Sur la tête de ma mère, il a simplement eu ma main dans le visage. Jamais mon coude. Mais il en a rajouté. Une comédie ridicule. Tu penses bien que si je lui mets un vrai coup de coude, il est mort, le gars. Quand il était à terre, je lui ai dit ma façon de penser : -Arrête tes conneries, à 30 ans, on ne joue plus à des trucs pareils.

L’objectif d’Everton est d’entrer le plus vite possible dans le Top 4 : ce n’est pas encore pour cette saison !

Si l’équipe n’avait pas complètement loupé son début de championnat, elle y serait.

Un club comme Everton peut vraiment rivaliser avec Manchester United, Arsenal, Liverpool et Chelsea ?

Difficile… Tout le monde dit que ce sont les quatre grands clubs anglais mais ce sont carrément quatre des plus grandes équipes du monde. J’espère qu’on pourra les bousculer un jour mais les moyens financiers ne seront jamais comparables. Quand on voit que Manchester United est encore prêt à débourser plus de 20 millions d’euros pour arracher l’Equatorien Antonio Valencia à Wigan, on a tout compris. A Everton, Fellaini vaut 20 millions et c’est un record. A Manchester, c’est le prix minimum pour presque tous les joueurs. Mais cela ne nous a pas empêchés d’être souvent bons contre les équipes du Top 4 : nous avons fait des nuls contre Chelsea, Liverpool, Arsenal et Manchester. Et nous avons battu Liverpool. Donc, le potentiel est là dans notre noyau.

 » Que les Belges viennent au stade au lieu de démolir les Diables « 

Tu ne vas pas au Japon avec les Diables…

Impossible puisque je joue la finale de la Cup.

Et ça t’arrange bien de rater ce voyage-là ?

Non, j’aurais voulu y aller.

Sérieusement…

(Il éclate de rire). A cette période de l’année, je n’ai plus qu’une envie : me reposer. La saison a été longue. Ici, ça n’arrête jamais et il arrive un moment où on est vraiment content de pouvoir déconnecter.

La Coupe du Monde 2010, c’est râpé…

C’est d’autant plus râlant que nous avions bien commencé avant les deux crashes contre la Bosnie. Nous allons continuer avec un autre coach mais il faut aussi rester honnête : qu’on arrête de tout mettre sur le dos de René Vandereycken. Ce n’est pas sa faute si les joueurs n’ont pas eu de c… contre la Bosnie. Les Bosniaques sont venus jouer chez nous en voulant montrer qu’ils seraient les patrons de la pelouse. Sur le terrain et sur leur banc, il n’y avait que des gars qui avaient décidé de faire la guerre. Et leurs supporters ont fait la même chose. Je ne comprends toujours pas comment on a pu en accepter autant à Genk. Qu’on leur offre un seul bloc du stade et puis basta. Et il faut aussi que les Belges arrêtent de nous critiquer : s’ils étaient venus plus nombreux ce soir-là, ça se serait peut-être mieux passé pour nous.

Tu te situes où dans le conflit des générations chez les Diables ?

Je n’ai que 20 ans, donc je suis forcément plus du côté des jeunes. Mais quelles gamineries ! Ces affaires de sacs Vuitton, c’est quoi pour un truc ? Qu’est-ce que ça vient faire dans le foot ? Et si ça ne plaît pas à un ancien qu’un jeune ait un sac de marque, qu’il lui dise dans le vestiaire au lieu de passer par les journaux. C’est impossible de parler entre hommes chez les Diables ?

par pierre danvoye – photos: reporters

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