Bruno Govers

Le Finlandais, fan d’Anthony Hopkins, a toujours soif d’aventures.

Le RSCA sans Hannu Tihinen, il faudra s’y faire. C’est qu’en l’espace de quatre saisons au Sporting, ses absences n’ont guère été légion. Comme samedi passé quand, pour abus de cartes jaunes, il a dû céder sa place, contraint et forcé, face au Lierse. C’était sa toute première suspension de la saison. Et la quatrième seulement depuis ses débuts au Parc Astrid en 2002. Hormis l’un ou l’autre empêchement, pour cause de bobos, le défenseur finlandais a toujours été fidèle au poste. A partir de la campagne prochaine, il faudra composer définitivement sans lui : en dépit d’une nouvelle offre, sa décision est ferme et irrévocable. Son aventure anderlechtoise sera bel et bien terminée au mois de juin prochain.

Hannu Tihinen : J’avais mis la direction au parfum en cours d’exercice passé déjà. Elle savait donc, dès ce moment, à quoi s’en tenir exactement avec moi. Au lieu de monnayer mon ultime année de contrat, elle a préféré que j’aille au bout de mon engagement. C’est son bon droit, évidemment. Mais c’est le mien aussi d’aller voir ailleurs. On ne peut pas me reprocher de ne pas avoir joué le jeu correctement, en tout cas.

Qu’est-ce qui pousse un joueur tenu en très haute estime, comme vous, à aller voir ailleurs ? L’argent ?

Non. Ce sujet n’a, au demeurant, jamais été abordé entre nous. Chaque fois qu’ Herman Van Holsbeeck est venu aux nouvelles, il s’est toujours heurté à un refus chez moi. – Mais tu ne sais même pas ce que je vais te proposer, m’a-t-il chaque fois rétorqué. Mais moi, je n’en fais pas une question d’argent. Ou pas seulement, du moins. Je pense que tous les Nordiques sont des explorateurs dans l’âme. Comme Roald Amundsen ou encore Thor Heyerdahl (il rit). J’ai la même soif d’aventures qu’eux. Je suis curieux de nature. J’ai sans cesse besoin de découvrir et d’apprendre. La Belgique aura été, pour moi, un réel paradis. En l’espace de toutes ces années, j’ai eu l’opportunité de potasser le français et le néerlandais. Sans oublier des rudiments du coréen avec Ki-Hyeon Seol ou d’albanais avec Besnik Hasi. Je ne pense pas que dans un autre entourage, j’aurais pu m’enrichir autant sur le plan humain. A présent, j’ai fait le tour du propriétaire. Cette saison, j’ai eu la chance de jouer dans deux stades où je n’avais encore jamais mis les pieds : Zulte Waregem et, surtout Roulers. Yves Vanderhaeghe, Roularien bon teint comme chacun le sait, m’avait toujours dit que je devais absolument voir sa ville natale avant de quitter la Belgique. Comme c’est fait, je peux m’en aller en paix (il rit).

Hannibal a franchi jadis les Pyrénées et les Alpes. Ce défi tenterait-il également… l’Hannubal qui sommeille en vous ?

Elle est bonne. D’autant plus que j’aime le personnage d’Hannibal Lecter et que je suis un fan d’Anthony Hopkins. Mon esprit de conquête m’a déjà mené tour à tour à Viking Stavanger en Norvège – j’insiste particulièrement sur le mot Viking -, West Ham en Angleterre et en Belgique à présent. Il ne serait pas anormal que je poursuive ma route vers le sud dans ces conditions. Mais rien n’est encore fixé. Pour l’instant, je ne sais pas de quoi mon avenir sera fait. A moins que vous ayez une idée ?

Olympiacos

Un vent favorable nous a appris récemment que l’Olympiacos d’Athènes ne serait pas insensible à vos services ?

Vous ne confondez pas avec Michal Zewlakow ? Honnêtement, vous me l’apprenez. Mais ce n’est pas la première fois qu’un journaliste en sait davantage qu’un footballeur. Chaque fois que je lis le journal ou un magazine, je me fais la réflexion que je suis toujours le dernier informé (il rit). Mais je ne suis pas étonné que Trond Sollied cherche à faire ses emplettes en Belgique. Marco Né puis Mika : l’ancien entraîneur du Club Bruges a de la suite dans les idées. Contrairement aux plumitifs, il sait que les footballeurs sont bons ici (il s’esclaffe). Surtout les défenseurs. A sa place, vous ne feriez pas le forcing pour moi ?

Tout à fait.

Pourquoi ?

Pour votre côté atypique.

Que voulez-vous dire ?

Parce que les arrières, comme vous, qui inscrivent davantage de buts qu’ils ne récoltent de cartons ne courent pas les rues.

Bien vu. Et je dirais même plus : les défenseurs qui reçoivent davantage de coups qu’ils n’en donnent, peuvent se compter sur les doigts d’une seule main aussi. Et j’en fais bel et bien partie. La preuve : je n’ai jamais envoyé le moindre adversaire à l’hôpital. En revanche, j’ai fait le tour des cliniques grâce à certains énergumènes : arcade sourcilière défoncée, fracture orbitale et même temporale : j’ai souffert au contact de quelques clients (il rit). Mais c’est normal : mes coéquipiers me disent toujours que je mets la tête là où ils ne mettraient pas leurs pieds.

Vous-même, comment vous définiriez-vous comme défenseur ?

Sûrement pas méchant mais irritant.

A quel point de vue ?

L’adversaire n’en a jamais fini avec moi. Même quand il a pris le meilleur, il doit toujours s’attendre à un soubresaut de ma part. Je suis ainsi fait que je ne m’avoue jamais vaincu. Jamais.

Les Mpenza

Durant ces quatre saisons en Belgique, quel a été votre adversaire le plus coriace ?

Sans conteste Mbo Mpenza. Il possède toute la panoplie de l’attaquant moderne : rapidité, lecture du jeu, finition. J’ai poussé un ouf de soulagement le jour où j’ai appris qu’on serait partenaires en lieu et place d’adversaires (il rit). Dommage que je n’aie pas pu influer la direction sur d’autres bons coups. Son frère, Emile, par exemple. J’aurais aimé qu’il fasse partie de la famille anderlechtoise aussi (il rit).

Vous-même, vous avez le sentiment d’en faire partie ?

Oui, je ressens une affinité comme nulle autre avec ce club. Peut-être est-ce dû au fait que jamais encore, auparavant, je n’avais passé autant de temps au sein d’une seule et même entité. Une chose est absolument sûre : quoi que l’avenir me réservera sur le plan footballistique, c’est avec plaisir que je reviendrai au stade Constant Vanden Stock sitôt ma carrière terminée. A cet égard, le Sporting a eu un plus grand impact sur moi que tous les autres clubs par lesquels j’ai transité.

Pourquoi ?

Je ne sais pas. Peut-être est-ce dû à l’âge. J’avais 25 ans au moment où j’ai débarqué ici. Tout bien considéré, j’étais encore un gamin. Marié, certes, mais pas encore père de famille. Je suis devenu adulte entre-temps et j’ai le sentiment de m’être pleinement épanoui au contact d’un autre football et d’une société ô combien différente. Sur les plans humain et sportif, ces quatre années en Belgique m’auront marqué.

Humainement, qu’en avez-vous retiré ?

J’avais déjà connu une dualité en Finlande où, en dehors du finnois, pour des raisons à la fois pratiques et historiques, tout le monde apprend le suédois. Dans mon pays, cette réalité ne pose pas de problème. Ici, c’est différent. Au départ, j’avais la très nette impression d’un clivage entre les communautés linguistiques. Mais il n’existe, somme toute, qu’en cas de problèmes. Dès que le climat est au beau fixe, les Belges sont aussi soudés que les doigts de la main.

Technique

Footballistiquement ?

Je me suis enhardi. J’étais fruste à mes débuts. Je me contentais du strict minimum. Ici, j’ai appris à m’impliquer davantage et à mettre plus souvent le nez à la fenêtre. La preuve par le nombre de buts que j’ai réalisés. Je suis d’avis aussi d’avoir étoffé mon bagage. En Finlande d’abord, puis en Norvège et en Angleterre, j’ai le plus souvent eu affaire à des opposants grands et forts. Ici, j’ai dû composer avec d’autres types. Des gars petits et mobiles, comme Wesley Sonck, par exemple. Dans ces conditions, il a bien fallu que je travaille d’autres aspects de mon jeu. J’ai gagné en technique, même si les journalistes ne le voient pas ou ne s’en rendent pas compte. Soit. Ces quatre ans passés ici doivent me permettre de tirer mon épingle du jeu ailleurs. Reste à savoir où.

Que vous inspire l’Anderlecht actuel par rapport à celui de 2002 ?

L’effectif actuel est, de loin, le meilleur que j’aie connu durant ces quatre années. Dans ces conditions, il serait logique d’être sacré champion en fin de saison. Personnellement, j’y crois. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je veux me concentrer sur ma tâche, ici, avant de songer à l’avenir. Je n’ai qu’un seul désir : partir par la grande porte en fin de saison. Le titre constituerait une révérence idéale. C’est pour ainsi dire une obsession pour moi.

Vous le sentez ?

Nettement mieux qu’à la fin du premier tour, en tout cas. A ce moment-là, on était toujours engagés dans une course-poursuite alors qu’à présent, nous avons les cartes en mains. Sans faux-pas, un 28e écusson national ne pourra plus nous échapper. Il faut donc veiller à rester sur le droit chemin. Depuis quelques semaines, nous sommes dans le bon. A nous de ne pas faire fausse route au cours du dernier tiers de la compétition. Je pense que nous avons tous les atouts pour y parvenir. A cet effet, la trêve a été salutaire pour nous.

Frutos

Que voulez-vous dire ?

Chacun a pu faire son introspection et le club la part des choses. Dès le stage hivernal, j’ai eu la très nette sensation d’un changement, en tout cas. Pour la première fois depuis longtemps, tout le monde était sur la même longueur d’onde. Je suis d’avis que notre bonne préparation, en Espagne, aurait déjà eu des répercussions dès l’entame du second tour si les conditions atmosphériques ne nous avaient pas joué un tour pendable. Aussi bien contre le Cercle Bruges qu’au Germinal Beerschot, nous avons hélas perdu 5 points précieux. Le match suivant, contre le Racing Genk, a pris du même coup une dimension insoupçonnée. A partir du moment où il a été mené à bonne fin, je me doutais fort bien que l’équipe était repartie du bon pied. Les événements m’ont donné raison.

Quel a été l’apport de Nicolas Frutos ?

Nico est très important. Il a comblé un vide dans le noyau, c’est certain. Qu’on le veuille ou non, un bélier de sa trempe faisait défaut chez nous. Surtout dans le cadre des matches en déplacement. Là-bas, tout se résume le plus souvent à une lutte pour chaque centimètre carré du terrain. A ce petit jeu, il faut bien l’avouer, nous étions démunis. Le ballon nous revenait toujours comme un boomerang, faut de pouvoir le conserver à bon escient aux avant-postes. Nenad Jestrovic était peut-être un buteur sans pareil et, de loin, le joueur au sens du goal le plus aiguisé chez nous. Mais dès l’instant où il convenait de temporiser aux avant-postes, dans l’attente de renforts depuis la deuxième ligne, il n’avait plus la même utilité. L’Argentin, en revanche, a cette capacité de pouvoir faire un bon usage du cuir en toutes circonstances. Qui plus est, il ne rechigne pas à mouiller son maillot en se repliant par moments profondément dans son camp. Sans compter qu’il n’hésite jamais, non plus, à soulager la défense sur les balles aériennes. A mes yeux, c’est un transfert en or. Avec son concours dès le début de la saison, je reste persuadé qu’il n’y aurait pas eu photo pour le titre.

Quel sera l’avenir d’Anderlecht sans vous ?

Anderlecht restera toujours Anderlecht. A savoir une équipe de pointe en Belgique dont le propos, au cours des années à venir, sera d’amenuiser l’écart avec le sub-top européen. J’ai le net sentiment que le Sporting en est tout à fait capable. Mon meilleur souvenir personnel, durant ces quatre ans, c’est le but que j’ai inscrit contre l’Olympique Lyon en Ligue des Champions, au Parc Astrid. Un goal qui nous avait valu de battre les Champions de France, dirigés par Paul Le Guen. Je ne sais pas si aujourd’hui, dans les mêmes conditions, le RSCA serait capable de reproduire le même exploit, entendu que les Rhodaniens n’offrent plus le même visage qu’à cette époque. Mais une chose me paraît évidente : si des clubs comme l’OL ou le PSV Eindhoven ont su s’étoffer, malgré des budgets nullement comparables à ceux des grosses cylindrées européennes, je ne vois pas pourquoi Anderlecht ne pourrait pas s’inspirer de leur exemple.

Baby-sitter

Indépendamment de cette parenthèse olympienne, la Ligue des Champions n’aura-t-elle pas été votre pire souvenir aussi durant votre séjour au Parc Astrid ?

Il y a eu des temps forts et des temps faibles. Ces deux dernières années, on n’a pas été gâtés par le tirage au sort de surcroît. Au complet, avec Nicolas Frutos, je me demande quand même ce que l’équipe aurait réalisé cette saison. A mon avis, nous aurions quand même glané plus de trois points. Pour en avoir parlé avec lui, je sais que mon compatriote Sami Hyppiä avait apprécié la réplique d’Anderlecht lors des deux joutes contre Liverpool cette saison.

S’il a abouti chez les Reds après avoir fourbi ses armes aux Pays-Bas, ne vous dites-vous pas qu’un club du top pourrait vous faire confiance aussi ?

Anderlecht est de ce niveau. Liverpool, c’est une autre dimension. N’oublions quand même pas qu’il s’agit du Champion d’Europe en titre. C’est normal que Sam évolue là. Je le considère comme un joueur nettement meilleur que moi.

Au fil des ans, plusieurs jeunes se sont épanouis à vos côtés, comme Vincent Kompany et Anthony Vanden Borre. Quels conseils aimeriez-vous leur donner ?

Je souhaite à Vince de garder les pieds sur terre et la tête bien accrochée sur les épaules. Aussi de rester toujours réceptif à l’avis des autres même si son jugement est différent. A Phénomène, je conseille de faire davantage de stretching (il rit). Ou du yoga, comme moi.

Une dernière question : comment vous imaginez-vous dans une dizaine d’années ?

Je me vois fort bien me partager entre Helsinki et Bruxelles où j’aimerais conserver un pied à terre. Pour le reste, un rôle de papa poule me plairait. Mes gosses ont 2 et 1 an. J’ai dû sacrifier beaucoup pour eux. Un jour, je veux me rattraper : pendant que mon épouse ira travailler, je m’occuperai d’eux à la maison…

BRUNO GOVERS

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