HAINE WALLONNE, STOP

Voici pourquoi les deux clubs sont désormais parties liées.

La rivalité entre Charleroi et le Standard ne cesse d’alimenter les chroniques sportives et les conversations de comptoir en Wallonie. Si les supporters n’en finissent pas de faire marcher leur imagination pour chambrer l’autre camp, les dirigeants se sont quelque peu éloignés du schéma traditionnel. Depuis deux ans, les deux camps persistent à se rapprocher, à tirer sur la même corde et à défendre les mêmes intérêts. Quand un des deux clubs est dans la tourmente, il est directement défendu par l’autre. On n’entendra jamais Pierre François critiquer les débordements de Mogi Bayat, ni le neveu du président de Charleroi tenter de contrarier le puissant voisin liégeois.

Les amabilités et les courbettes se succèdent comme ce geste de Mogi Bayat envers les supporters liégeois. La saison dernière, avant la venue d’Anderlecht au stade du Pays de Charleroi, il n’avait pas hésité à proposer une tribune aux supporters… liégeois désirant pousser les Zèbres dans le dos afin de terrasser le rival anderlechtois ! Cette proposition audacieuse n’avait pas connu de suite, interdite par les autorités. De plus, elle avait heurté la sensibilité des troupes carolos, pas encore prêtes pour faire cause commune avec leurs homologues du Standard.

Autre signe tangible de cette amitié : la Ligue Pro et le comité exécutif. Ainsi, quand un des deux clubs brigue un mandat, l’autre ne présente aucun candidat. Mogi Bayat s’est retiré de la course au comité exécutif pour soutenir la candidature de Luciano D’Onofrio. Renvoi d’ascenseur lors de la mise en place du pool de formation, groupe important de travail de la Ligue qui devra appliquer les nouvelles règles en matière de formation. Le Standard ne présenta aucun candidat et privilégia le choix de Pierre-Yves Hendrickx, le secrétaire général des Zèbres.

Enfin, il y a le marché des transferts. Les bonnes relations entre les deux clubs aboutissent ainsi à certains échanges. En juillet, Charleroi avait avancé le nom de Bertrand Laquait pour succéder à Vedran Runje dans les buts du Standard. Des négociations ont eu lieu entre les deux parties ; le gardien français s’est même déplacé sur les bords de la Meuse mais a jugé la proposition trop faible et a préféré opter pour le Recreativo Huelva sur la base d’un prêt. En août, rebelote. Cette fois-ci, ce sont les Brésiliens Dante et Orlando qui sont proposés à Sclessin. Ces rumeurs font gronder les supporters carolos qui viennent de voir filer Laquait et Cyril Théréau. Bayat décide de remettre le projet à plus tard pour ne pas susciter une révolution au Pays Noir. Quatre mois plus tard, c’est donc tout naturellement que le Standard, en mal d’arrières gauches après les approximations de Rogerio Matias et Miguel Areias Lopes se tourne vers son partenaire privilégié qui donne, cette fois-ci, son feu vert au départ de Dante.

 » Grâce à ce bon climat, lorsqu’un joueur envisage de quitter Charleroi, le dirigeant carolo ne doit pas dire – Partout sauf au Standard « , affirme Pierre François. A prix égal, le Standard est donc prioritaire :  » Pourquoi ne pas faire passer le Standard en premier lieu à partir du moment où le joueur s’y retrouve ? », continue-t-il.

Au niveau de la politique des jeunes aussi, les deux clubs se consultent. Plus question de rééditer l’affaire Régis Genaux (voir cadre). Ainsi, récemment, au mois d’octobre, un jeune talent carolo, Vito Villano, est entré en conflit avec la direction carolo. Il s’est proposé au Standard, fortement intéressé par cet international -19 ans. Ne connaissant pas le fin fond de l’affaire, les Liégeois ont affilié Villano mais dès qu’ils se sont aperçus qu’ils pouvaient fâcher la direction carolo, ils l’ont désaffilié attendant sagement que Villano et son entourage trouvent une solution avec son ancien employeur. Celle-ci une fois agréée, le jeune élément a pu rallier Sclessin.

Solidarité wallonne

Comment en est-on arrivé là alors que rien ne prédisposait les deux entités à s’unir ? Tout a commencé par l’intermédiaire de Mogi Bayat et de Pierre François.  » Cela a débuté entre Mogi et moi de la manière qu’avec Sport Foot Magazine : par une dispute « , lâche Pierre François.  » Début 2003-2004, lors d’un Standard-Charleroi, remporté par les Zèbres, les allées et venues incessantes de Mogi Bayat que je ne connaissais pas m’avaient amené à réagir et à hausser le ton. Dans la zone des vestiaires, je l’avais sorti manu militari en lui faisant comprendre qu’il n’était pas chez lui. Puis, nous nous étions revus lors de la soirée de lancement de Be Tv et avec le concours de sa compagne Nathalie et de ma femme, nous nous étions charriés et de là est née une relation amicale. Par la suite, j’ai appris à connaître son oncle et même son père. Je peux dire que nos relations sortent du cadre professionnel mais cela ne gêne en rien la bonne marche de nos activités. J’apprécie chez lui son intelligence, son franc-parler et le sens de la parole donnée « , dit-il, oubliant au passage tous les débordements liés au caractère impulsif du manager général de Charleroi.

Pourquoi donc rechercher et cultiver ces relations amicales ?  » Indépendamment de cela, j’ai toujours été d’avis que les clubs wallons n’avaient aucun intérêt à se combattre avec une ardeur maladive « , continue François,  » Je ne comprends toujours pas, par exemple, l’acharnement des supporters du FC Liège à espérer de semaine en semaine les défaites du Standard. Il y a peu de rencontres que j’espère gagner autant que le derby wallon mais le reste du temps, on peut ne pas aboyer, ni considérer que ce qui est positif pour l’autre club est d’office négatif pour le nôtre. Moi, je souhaite à Charleroi qu’il réussisse un bon championnat… du moment qu’il ne termine pas avant le Standard « .

Néanmoins, si le Standard privilégie l’entente cordiale entre Wallons, on ne peut pas dire qu’il traite tous les cercles du sud du pays sur un pied d’égalité.  » Il y a quatre clubs wallons. Les relations sont différentes avec Mouscron puisque, là, on ne sait pas avec qui dialoguer. Mons vient de remonter. Quant à Charleroi, qu’on le veuille ou non, on doit bien admettre qu’il s’agit du deuxième grand club wallon. Dernièrement, lors du choix des représentants de la Ligue belge de foot rémunéré, Charleroi n’avait pas présenté de candidat face à celui du Standard. Mons avait avancé la candidature d’ Alain Lommers. Même histoire au comité exécutif : Mogi Bayat s’était retiré pour soutenir Luciano D’Onofrio. Par contre, Lommers et Roland Louf avaient avancé leur candidature et les votes de Mons se sont reportés sur Louf au deuxième tour du scrutin. Voilà la raison pour laquelle le Standard n’a pas de représentant au comité exécutif ! « .

Pas trop de réticences

Alors que l’on croyait que cette politique serait désavouée par les supporters, elle est plutôt bien perçue.  » C’est une façon de s’unir face aux autres clubs comme Anderlecht, Bruges et Genk « , affirme Adelin Fraiture, président du club des supporters du Standard, Les Gais Lurons Amaytois,  » La rivalité provient de la guerre des bassins sidérurgiques. J’ai travaillé pendant des années à Cockerill et cela se ressent encore parmi les supporters. Il y a toujours des relents et il faudra des décennies pour que cela disparaisse. Néanmoins, les rivalités changent. On se focalise davantage sur Genk depuis que les Limbourgeois ont transféré nos jeunes et que nous avons acquis Steven Defour « .

Même son de cloche chez Denis Lecocq, carolo qui soutient le Standard :  » Ce n’est pas plus mal que les directions se rapprochent. Ils ont d’abord pensé aux supporters puisque leur première collaboration s’est opérée autour du dossier du prix des places en déplacement. Comme fan carolo des Rouches, je ne comprends pas pourquoi les Carolos nous en veulent autant. Ce sont pourtant deux régions qui se ressemblent ! « .

Du côté carolo, les rancunes sont plus tenaces.  » Tant qu’ils font du bon travail, on ne peut rien reprocher à la direction « , dit Eric Herbignat, président des Gueules Noires,  » mais la rivalité empire. Mon groupe a très mal vécu le départ de Dante. Il était notre parrain. Il a reçu des cadeaux et on les a retrouvés dans son véhicule du club ! On s’en doutait qu’il partirait mais on ne lui pardonne pas la façon utilisée. Vendredi, sifflé, il le sera ! Ses oreilles vont en entendre. Pour moi, partir au Standard, cela ne se fait pas. Cela ne passera jamais. On ne couple pas un Zèbre avec un Rouche. La rivalité évolue mais ne baisse pas. Maintenant, il y a internet et la surenchère se fait via les forums « .

Le président de l’Amicale des supporters, Marc Monetti est plus mesuré :  » Je pense malgré tout que le comportement des deux directions tend à apaiser le climat qui entoure le derby. L’approche est bonne. Cela ne sert à rien de garder de vieilles ranc£urs. On peut très bien collaborer au niveau des transferts car on sait que de mauvais rapports entre deux entités peuvent bloquer des arrivées ou départs. Certes, il y a toujours une frange qui refuse d’entendre parler de synergie. Un départ au Standard n’a pas la même saveur que si le même joueur était parti à Anderlecht. Cela blesse et heurte mais si on prend l’exemple du transfert de Dante, on doit d’abord voir le côté financier « .

Et Voo ?

Le volet financier est également au centre du débat. Depuis le début de la saison, les deux maillots sont floqués du même sponsor, Voo. Pourtant, pas de volonté derrière cette opération. Voo est né de la fusion entre Ale Teledis et Brutélé. Or, l’un était le sponsor du Standard, l’autre de Charleroi. Tout logiquement, la nouvelle entité a décidé de rester fidèle à ses engagements. Est-ce que cela rapporte ou au contraire brouille l’image de la société ?

 » La présence sur les deux maillots est évidemment bénéfique pour nous « , explique Pol Heyse, responsable de la stratégie du groupe,  » Notre marque est vue lors de deux rencontres, par deux publics différents, sur deux régions. Cela multiplie la visibilité « .

Pour Voo, plus les clubs avancent dans la même direction, plus le sponsor s’y retrouve. Une guerre ouverte entre les deux formations placerait le sponsor au centre du champ de bataille.  » Cependant, il ne faut pas croire que dans ce dossier-là, nous faisons cause commune « , rassure Pierre François.  » Le maillot Voo a été négocié séparément. L’entreprise paie une somme à Charleroi, une autre au Standard « .

Cette politique annonce d’autres possibilités de synergie. Notamment au niveau des droits télévisés. Quatre clubs dont Charleroi et le Standard ne se sont pas encore prononcés pour un pot commun.  » Je ne sais pas ce que représenterait pour une chaîne l’opportunité de retransmettre les matches de Charleroi et du Standard. Cela mérite qu’on y réfléchisse « , annonce François.

STÉPHANE VANDE VELDE

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