HAINE CORSE

On a suivi les débuts français de Guillaume Gillet et Michy Batshuayi à Furiani.

Un fou, une légende bleue, un Mauve, un Rouche. Quatre débutants en Ligue 1. Le fou, ElLoco, c’est Marcelo Bielsa, nouvel entraîneur de Marseille. La légende, Claude Makelele qui vit son premier match comme T1. Le Mauve, Guillaume Gillet qui découvre la ville corse où on crie  » Forza Bastia « . Et le Rouche, Michy Batshuayi, élu meilleur transfert entrant de l’été dans le championnat français.

Furiani, un stade historique. 18 morts et 2.400 blessés lors de l’effondrement d’une tribune montée à la hâte pour un match de Coupe de France en 92. C’était déjà un Bastia – OM. Deux clubs que tout oppose. Un budget de 120 millions pour l’OM, seulement 22 pour le Sporting de Bastia, la plus petite enveloppe de Ligue 1. Un vélodrome de 67.000 places pour les Phocéens, seulement 16.500 sièges à Furiani. Et rien à voir au niveau du palmarès.

Marseille a tout gagné, les Corses n’ont accroché qu’une Coupe de France, même s’ils ont été finalistes aussi de la Coupe de l’UEFA en… 1977-78. Il y a d’ailleurs dix ans que Bastia n’a plus battu l’OM à domicile. La veille du match, le défenseur bastiais JulianPalmieri plante le décor :  » Comme tout le monde, on a entendu que Marseille était révolutionné par la méthode Bielsa. On a hâte de se frotter à ça.  »

Il ajoute que le groupe n’est pas rongé par la crainte :  » La seule chose qu’on a évoquée dans le vestiaire, c’est qu’il y avait deux heures de queue pour s’acheter une place.  » Il ajoute encore :  » Même si Furiani n’était pas plein pour le dernier match de préparation, contre la Genoa, le coach a pu voir où il mettait les pieds. Deux ou trois échauffourées, le stade qui s’est enflammé, il a vite compris comment ça marchait.  » On va en avoir la confirmation !

Un match à hauts risques

Le match est classé  » à très hauts risques  » alors que seulement quelques dizaines de supporters marseillais se sont déplacés. Corse-Matin annonce un  » état de siège « . Ces risques sont représentés par l’allergie à l’OM. Dans un bar foot du centre-ville, Dumé, serveur et fou du Sporting de Bastia, nous explique.

 » On a quelques très gros matches chaque saison. Paris parce que c’est devenu l’ogre. Marseille et Nice parce que ce sont des derbies. Et Ajaccio, là c’est encore autre chose. On joue le statut de numéro 1 corse. Ces trois dernières années, ça ne s’est pas trop bien passé entre les supporters. La Fédération a même délocalisé un derby sur le continent. Et puis, il y a eu cette histoire du cercueil…  » Il rigole un bon coup.

En avril dernier, Bastia a battu le rival local à Furiani. Cette défaite d’Ajaccio le condamnait à la Ligue 2. En fin de match, des supporters bastiais ont fait entrer un cercueil dans le stade et sont allés le déposer devant la tribune des fans d’Ajaccio. Ils y avaient noté deux dates : celle de l’accession d’Ajaccio en Ligue 1 et celle de son retour en Ligue 2.

 » D’accord, ce n’était sans doute pas l’idée la plus géniale de l’histoire du public de Bastia « , dit Dumé… La presse française avait alors rappelé que ce n’était effectivement pas très malin de faire de telles provocations dans un stade où on avait connu un drame historique.

Quand le car marseillais arrive au stade, on comprend. Des ultras bastiais balancent des pétards qui ressemblent plus à des petites bombes, ça fait un boucan infernal. On voit une maman obligée de rassurer son fils, il doit avoir six ou sept ans. Il ne veut plus aller au match, il refuse d’avancer encore vers le stade, il panique. La mère lui dit :  » Ne t’inquiète pas, on ne sera pas dans la même tribune que les barbares.  »

Focu à a ceppa

Le tout dans une bruyante ambiance de chants corses traditionnels. I Muvrini en guest star. Une fois parqué devant l’entrée des vestiaires, le bus de l’OM est surveillé par quelques Robocop. Pendant l’échauffement, le speaker est aussi bouillant :  » A Bastia, on respecte tout le monde mais on ne craint personne.  » Il demande quand même de ne pas faire de débordements  » parce qu’il faut que le Sporting joue tous ses matches dans son stade « .

Corse-Matin a titré en Une : Focu à a ceppa ! Traduction : En avant ! Le quotidien évoque aussi une Chasse à l’OM. Et Le match dans le match, Guillaume Gillet vs Michy Batshuayi, la bataille des Belges.

Comment s’adaptent-ils ? Comment sont-ils perçus ? Que peuvent-ils attendre de leur aventure française ? Récit d’un week-end en Haute-Corse.

Quand Bastia a manifesté son intérêt pour Guillaume Gillet, il est venu y passer un jour et une nuit avec son agent, Guy Bonny. En montant dans l’avion du retour, il avait déjà presque pris sa décision. Il était directement tombé sous le charme.  » Le courant est aussi passé avec le président, un gars très simple qui se promène en jeans et chemise « , dit Guy Bonny.  » Il vit à une centaine de kilomètres de Bastia, dans les montagnes. Il a fait comprendre à Guillaume que son transfert était une priorité du recrutement.  » Claude Makelele lui a expliqué la même chose.

Très vite, Guillaume Gillet s’est lié d’amitié avec un journaliste local, Julien Argenti. Ils ont une connaissance commune, ça a facilité les choses. La connaissance en question est le patron du Pantalone, un restaurant bruxellois fort fréquenté par les footballeurs.  » Plusieurs clubs français s’intéressaient à lui « , explique Argenti.  » Il y avait Lens, Metz, Evian, Bastia. Dès le départ, je pense qu’il avait un faible pour ce club. Et quand il a visité les installations avec sa femme, elle était aussi emballée que lui.

La petite Gillet sera corse

Il m’a dit qu’il avait fait le tour de la question en Belgique, qu’il avait besoin d’un nouveau défi, que ça le branchait à fond de se frotter au PSG, à Monaco, à Marseille. Il avait gardé une certaine amertume de contacts qui n’avaient pas abouti avec Galatasaray, il y a deux ou trois ans. A ce moment-là déjà, il aurait aimé changer d’air. Après une semaine chez nous, il m’a dit que si Bastia lui demandait de prolonger, il le ferait directement.  »

L’ex-Mauve confirme son bonheur après le match contre Marseille :  » Oui, je voulais autre chose, la routine s’installait à Anderlecht, j’avais besoin d’un nouveau coup de boost. Après un nouveau titre, c’était le bon moment pour tourner la page. Quand je vois comment je me suis amusé ce soir, je n’ai évidemment pas de regrets.  »

En fin de soirée, il est attendu sur le parking du stade par son père, son frère, sa femme Marie, son fils Roméo et aussi l’épouse de David Steegen. Les deux couples sont très proches. Madame Gillet accouchera en octobre.  » Ma petite fille sera corse, c’est une belle aventure, non ? « , rigole le joueur.

Après quelques jours à l’hôtel, ils se sont installés dans la maison occupée la saison dernière par Gianni Bruno.  » Le propriétaire est un fou du Sporting de Bastia.  » Une maison au calme, dans les collines, avec piscine, à une vingtaine de minutes du centre d’entraînement et du stade. Guillaume Gillet a amené sa Porsche de Belgique.

 » Les voitures du club… sont à l’image du club « , signale Guy Bonny.  » Ce n’est pas bling bling, ce sont des Ford assez basiques. Le président pourrait s’offrir un modèle de luxe, mais lui aussi reste simple, il a une voiture tout à fait banale.  »

Et l’agent voit un Guillaume Gillet qui revit.  » Il a pris deux gros coups sur la tête en peu de temps. Il a perdu sa place à Anderlecht avec l’arrivée de BesnikHasi, ça a déjà été difficile à gérer. Mais le plus compliqué, ça a été sa non-sélection pour la Coupe du Monde. Depuis des mois, il se voyait au Brésil. Aujourd’hui, il a éliminé ces souvenirs. Avec Bastia, il voit qu’il a quelque chose de chouette devant lui et il accepte plus facilement ce qu’il a vécu.  »

Batshuayi voulait payer la location du stade-vélodrome

Michy Batshuayi n’a toujours pas été présenté officiellement à Marseille. Pas plus que les autres transferts de l’été ou le nouveau coach. Depuis l’arrivée de Marcelo Bielsa, tout est cadenassé et ça énerve méchamment la presse phocéenne.  » En six semaines, on n’a pu entrer que deux fois au centre d’entraînement « , dit Jean-Claude Leblois, de La Provence.

 » On a connu la période Didier Deschamps où on pouvait y aller trois fois par semaine, ça nous change. Bielsa s’est exprimé pour la toute première fois deux jours avant le match à Bastia mais ce n’était même pas une présentation. C’était simplement la conférence de presse imposée à l’avant-veille d’une rencontre par la Ligue Professionnelle.  »

L’homme est donc fier de son coup : quelques jours après l’arrivée de Batshuayi, il a pu décrocher son interview.  » Je ne savais pas trop à quoi m’attendre « , avoue-t-il.  » On avait quand même l’image d’un bad boy, c’est ce qu’on avait cru comprendre en lisant la presse belge. Mais j’ai été surpris. J’ai trouvé un gars souriant, spontané, frais, bien dans ses baskets.

On a commencé à parler du stade vélodrome, j’ai vu des étincelles dans ses yeux, il m’a dit qu’il avait vu plein de vidéos de matches à domicile de l’OM. Je l’ai testé, un peu provoqué… C’était au moment où le club menaçait de ne pas jouer cette saison au vélodrome parce que la mairie de Marseille demandait un loyer de 380.000 euros par match. Je lui ai dit : -Tu sais que vous allez probablement être délocalisés ? Tu arrives au plus mauvais moment. Je lui ai expliqué le problème.

Et là, il m’a sorti : -Il y a peut-être moyen que les joueurs se cotisent tous les quinze jours pour payer la location ? Moi, j’ai trop envie de jouer là. Des joueurs qui connaissent l’OM n’auraient jamais parlé comme ça, ils auraient eu un discours beaucoup plus formaté.  » Dans cette interview, Batshuayi a aussi avoué que le fait d’avoir visité les installations avec le président l’avait impressionné. Le boss avait pris tout le temps pour s’occuper de lui et le séduire.

Un Gillet taille patron

Dans un premier temps, il s’est installé à l’Intercontinental, un hôtel de grand luxe à Marseille, où Bielsa a aussi logé. On a raconté que dans un restaurant de cet hôtel, il avait demandé sa petite amie en mariage.  » C’est tout à fait vrai « , confirme le journaliste de LaProvence.  » Le personnel de salle était là, ils ont tout vu, tout entendu. Ils ont été bluffés par sa spontanéité.  »

 » On a eu une belle histoire belge la saison dernière « , lance le serveur du bar foot.  » Gianni Bruno a été le meilleur buteur de l’équipe, tous les supporters auraient voulu qu’il reste. Quand Bastia a annoncé l’arrivée de Guillaume Gillet, il y a eu des doutes. On a vu qu’il venait d’un club comme Anderlecht et qu’il avait même été capitaine là-bas, c’était positif. Mais on avait aussi vu les matches contre le PSG et son équipe ne nous avait pas du tout impressionnés.  »

Mais les petits doutes ont vite été balayés. Guillaume Gillet a été le meilleur Bastiais de la campagne de préparation, avec le capitaine Yannick Cahuzac. Le même supporter est allé sur des blogs et a discuté avec des Anderlechtois. Ils l’ont assuré qu’il ne fallait  » pas s’en faire pour son engagement. Le soir du match contre la Genoa, j’ai parlé avec un touriste belge qui était ici, avec un maillot d’Anderlecht. Il m’a confirmé tout ça.  » Dans ce match, le dernier de la préparation, Bastia a obtenu sa première victoire, avec le seul but de la rencontre inscrit par Gillet. Le lendemain, la presse corse évoquait Un Gillet intenable et Un Gillet taille patron.

Un ultra ne dit pas autre chose :  » Il met le pied sur le ballon, on aime. Bastia a un milieu de terrain très agressif, il convient bien. Et Claude Makelele a directement dit qu’il le voyait comme une pièce maîtresse de l’équipe.  » Julien Argenti, de Corse-Matin :  » Ses coéquipiers le décrivent comme un gars hyper combatif. Dès son premier match, il a montré ce qu’il avait dans le ventre : sur le tout premier ballon, il a mis un beau tacle. Il marquait déjà son territoire. Ça a plu aux supporters, son baptême était réussi.

Plein de duels

Ici, on ne veut pas des gars qui jouent pour la galerie, qui font un petit pont pour rien. On veut des mecs qui mettent le pied, c’est dans la tradition du Sporting de Bastia. Ceux qui avaient des doutes sur lui parce qu’à trente ans, il n’avait jamais joué ailleurs qu’en Belgique, ils sont entre-temps tombés sous le charme. Je sais aussi que même Makelele avait eu des petites réticences au départ. Ce qui le dérangeait, c’était que Gillet était plutôt catalogué comme back droit en Belgique, alors que Bastia voulait un renfort dans l’axe de l’entrejeu.  »

Dans le match contre l’OM, on est rassuré sur tout cela. L’efficacité, l’engagement, les qualités de leader qui n’hésite déjà pas à crier, à replacer, à motiver. Guillaume Gillet joue un match plein et avec ce 3-3 spectaculaire, c’est Marseille qui fait la gueule.  » Ça va à du 2.000 à l’heure « , nous dit-il après la rencontre.  » Ce n’est pas comparable à un match normal du championnat de Belgique, on est plus proche du niveau de la Ligue des Champions. Et point de vue physique, c’est costaud. C’est un jeu de duels, c’est bien pour moi.  »

C’est clair, il a kiffé son premier rendez-vous en Ligue 1. Et il confirme qu’il se verrait bien ici pour plus longtemps que son prêt d’une saison.  » Il y a une option d’achat avec un contrat de deux ans. Si elle n’est pas levée, je retournerai à Anderlecht en fin de championnat. Mais je n’y pense pas. Et je n’ai pas peur non plus. Il me reste un an de contrat là-bas, c’est mon parachute…  »

Batshuayi après Bastia :  » No comment  »

Michy fait la tête. Il s’est vite engouffré dans le car après le match, déballe machinalement quelques tartines et pianote sur son smartphone. Il refuse de descendre pour s’exprimer sur sa première soirée de Ligue 1. Jan Van Winckel, le préparateur physique belge de l’OM, essaie de le faire changer d’avis. Impossible.  » Il dit que s’il parle ce soir, il va être trop négatif « , nous dit l’ex-physicalcoach de Bruges.  » Il s’attendait à commencer le match, c’est clair. Là, il est trop déçu, il y a trop d’émotions.  »

Au lieu d’être titulaire, il n’a disputé qu’un petit quart d’heure et n’a rien pu montrer de valable. Un premier couac pour lui après une campagne de préparation parfaite. Quand Marseille a déboursé 7 millions pour l’acheter au Standard, il y a eu des doutes en France. Le Figaro écrivait par exemple :

Une recrue, des questions.

Une énigme pour la plupart des amateurs de foot en France.

A-t-il le niveau pour s’imposer à l’OM ?

Un mois plus tard, le ton avait complètement changé. Il récoltait 26 % des voix lors d’un sondage organisé par L’Equipe (180.000 votants) et visant à désigner le meilleur transfert vers la Ligue 1. Mieux que David Luiz qui a coûté sept fois plus au PSG. Dans les matches de préparation, il a fait la différence, il a marqué notamment contre Benfica et Bari. Quatre buts au total et il a aussi provoqué un own-goal. En n’étant pourtant que le treizième joueur le plus utilisé. Il a marqué toutes les 55 minutes et il est déjà devenu la nouvelle coqueluche de Marseille.

Une concurrence énorme

 » Après ce qu’il a montré dans les matches amicaux, Bielsa ne pourra pas le maintenir longtemps sur le banc. Mais pour le moment, il a un problème : le coach ne veut pas jouer avec deux attaquants de pointe, et c’est difficile de ne pas titulariser André-Pierre Gignac.  » Un Gignac qui a fini deuxième meilleur buteur de Ligue 1 la saison passée. Et qui vient encore de scorer deux fois à Bastia, ce qui ne fait pas les affaires de Batshuayi et explique probablement sa mauvaise humeur samedi soir. Guillaume Gillet résume :  » Il doit comprendre qu’il n’a pas signé dans une équipe de milieu de tableau. A Marseille, la concurrence est énorme.  »

PAR PIERRE DANVOYE À BASTIA – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » Pour Batshuayi, on avait quand même l’image d’un bad boy.  » Jean-Claude Leblois, journaliste à La Provence

 » Si Batshuayi parle, il va être trop négatif.  » Jan Van Winckel, préparateur physique belge de l’OM

 » J’ai un parachute à Anderlecht mais j’espère rester plus d’une saison à Bastia.  » Guillaume Gillet

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire