« Guy Roux m’a fait réfléchir. Je reprendrais bien du service »

Explosif : le grand coach analyse le football belge et sa propre situation.

L’£il aussi pétillant que celui de Tchantchès, Robert Waseige (67 ans) arrive au San Daniele, un restaurant qu’il n’a pas choisi par hasard. C’est au c£ur de Liège, à deux pas de la Place Cathédrale où il aime flâner. Mais il y a plus, l’établissement est tenu avec soin par un ancien arrière central de l’élite : Moreno Giusto. C’est une affaire familiale qui tourne bien et l’ex-pilier défensif du FC Liégeois a gardé la ligne de ses 20 ans.  » Ici, on aura la chance de déguster des plats cuisinés comme autrefois « , affirme Waseige. Les étapes de la conversation sont dynamiques et vallonnées avec les soucis de l’équipe nationale, les allées et venues dans les clubs du top belge, la nécessité pour les Espoirs de bien préparer les Jeux Olympiques, le teambuilding, le box to box, le phénomène Guy Roux, François Sterchele, etc. C’était le moment de faire le tour de la question.

Johan Boskamp a déclaré qu’il mettait un terme à sa carrière d’entraîneur. A 58 ans, c’est jeune. Il est usé par le métier et veut profiter de la vie. Même s’il changera peut-être d’avis, n’est-ce pas inquiétant ? Georges Leekens, 58 ans aussi, est désormais le doyen de sa corporation en D1. Guy Roux a repris du service au Racing de Lens à 68 ans : qu’est-ce que cela vous inspire ?

Je suis évidemment surpris par la décision de Johan Boskamp. Je suppose que c’est le résultat d’une saturation passagère. Un peu de recul lui fera du bien. Mais s’il peut se permettre d’arrêter, je peux le comprendre. Ce métier est affolant. Il suffit d’observer Monsieur P au Standard. En fin de saison, son influx nerveux était solidement entamé. En Belgique, l’entraîneur doit être sur tous les ponts. Ici, il n’y a pas encore de manager à l’anglaise. La fonction de directeur technique se généralise et c’est déjà un progrès. En Premier League, le manager a des entraîneurs dans son staff mais c’est lui, et personne d’autre, qui choisit ses joueurs et coache sur le banc. C’est la voie à suivre depuis… 100 ans. Guy Roux a donné un énorme coup de pied dans la fourmilière. La société a changé : à 68 ans, je trouve que Guy Roux est resté dans le vent avec une approche moderne et efficace de son métier. Il n’y a pas d’âge pour gagner. Raymond Goethals avait déjà 71 ans quand il souleva la Coupe d’Europe des Clubs Champions avec Marseille. Je me souviens d’interviews de joueurs vantant son approche, sa vision du pressing, son enthousiasme, etc. L’expérience de Raymond-la-Science fut primordiale dans l’ascension marseillaise. Guy Thys n’était pas trop vieux pour les Diables Rouges. Je n’ai jamais entendu parler de limite d’âge en Belgique.

Guy Roux a un discours à géométrie variable…

Oui, le problème ne réside que là ( voir aussi la rubrique France, p. 65). Quand il présidait l’UNECATEF (Union Nationale des Entraîneurs et Cadres Techniques du Football Français), Guy Roux estimait qu’un entraîneur devait céder sa place à 65 ans. Et il a changé d’avis. Cet homme est une entreprise en France, fait de la pub, est un consultant très écouté et apprécié à la télévision. C’est une star. Il a du poids, il compte à tel point que les autorités politiques le soutiennent dans son combat actuel. Il prouve que les gens de notre âge peuvent apporter beaucoup à la société. C’est magnifique. A son âge, on relativise plus facilement. C’est important, équilibrant même, dans un monde vivant de performances. Ce n’est une garantie de succès mais c’est un plus.

Mais, à 68 ans, n’est-on pas un grand père pour les jeunes du vestiaire ?

Non, je répète un nom pour tout résumer : Goethals… La presse joue un grand rôle car elle peut passer d’un excès à l’autre : de la description du papa gâteau qui rassure tout le monde au vieux coach dépassé. Tout dépend du contexte et des résultats. Lens se félicitera peut-être demain d’avoir innové avec un coach au long cours. En Belgique, je songe aussi à Robert Goethals qui avait brillé à Beveren alors qu’il n’était plus de prime jeunesse.

Je me souviens des rires et moqueries des joueurs du Standard à propos de Michel Pavic…

Déplorable, bas, mesquin de se moquer de son âge car c’était un grand entraîneur. Je suppose qu’un joueur s’était épanché dans la presse.

Oui, c’était Nico Claesen qui fut transféré à Tottenham après des déclarations tapageuses. Mais il pensait dire vrai…

C’était probablement une contestation isolée et intéressée. Le feu sacré, on l’a ou on ne l’a pas. Giovanni Trapattoni l’a, Tomislav Ivic a travaillé longtemps aussi au top niveau. Même si ces deux personnages sont un peu soupe au lait, ils méritent le respect.

Pourriez-vous imiter Guy Roux ?

Moi, cela m’inspire et je ne refuserais pas un poste de manager à l’anglaise. Je reviens de la salle de fitness où je fais de l’exercice plusieurs fois par semaine : vélo, step. Cela va bien même si ce serait un peu juste pour le Tour de France. A la télé, j’ai vu que Guy Roux piquait un sprint. Non, ça je ne pourrais pas, même si je suis en bonne forme. Mais il y a tout le reste. Guy Roux prouve qu’il n’y a pas d’âge pour être bon dans le secteur qui vous convient. Il a lancé un débat sociétal qui dépasse largement le cadre du sport. A 60 ans, on était vieux avant mais plus du tout à l’époque actuelle. Guy Roux m’a fait réfléchir. Je reprendrais bien du service.

Box to box

Il y a deux mots qui apparaissent de plus en plus dans le vocabulaire du football : box to box et teambuilding. Cela veut dire quoi dans votre petit Robert personnel ?

C’est bien, on parle de plus en plus anglais et je ne vais pas m’en plaindre car j’adore, vous le savez, tout ce qui est british. Box to box, cela désigne les joueurs capables de partir de leur rectangle avant de porter le danger devant le gardien de but adverse. Ils doivent parcourir aussi vite ce trajet dans le sens inverse. Ce n’est pas nouveau et ce type de joueurs a toujours été très recherché. Je préférais quand même l’expression de Georges Leekens qui avait inventé le mot infiltreur qui n’existe pas dans le dictionnaire mais qui est pourtant très clair : venir de la deuxième ligne.

Comme Marc Wilmots le faisait…

Tout à fait. Marc Wilmots était un infiltreur ou un box to box. Il organisait le jeu, travaillait à la récupération du ballon et percutait aussi. On ne trouve pas de Wilmots sous le sabot d’un cheval. Karel Geraerts est un infiltreur : c’est pour cela que le Club Bruges l’a fait revenir. Anderlecht en aurait trouvé un en Allemagne, Jan Polak, l’international tchèque de Nuremberg : on verra. Au Standard, il y a Marouane Fellaini qui m’impressionne. Cette tour est présente devant son rectangle et celui de l’adversaire mais entre les deux, on le voit moins souvent. Il a du gabarit et un bel avenir devant lui mais un box to box doit se ménager aussi. S’il actionne cinq fois la manette des gaz par mi-temps, c’est déjà pas mal. On ne peut pas être à fond durant 90 minutes.

L’équipe nationale

Maouane Fellaini était un des fers de lance de l’équipe nationale Espoirs qui s’est distinguée lors de la phase finale de l’Euro aux Pays-Bas : avez-vous apprécié leurs performances ?

J’ai bien aimé et ils ont atteint un niveau collectif proche de celui d’une équipe de club. Tous nos Espoirs jouent désormais en D1, que ce soit en Belgique ou à l’étranger alors que ce n’était pas le cas il y a sept ou huit ans. C’est un acquis dû au fait que les clubs sont désormais contraints à aligner plus facilement quelques jeunes dans leur équipe Première. La situation financière délicate de pas mal de clubs joue en faveur des jeunes. J’aurais préféré que ce changement se soit produit dans la réflexion et pas sous la pression des bilans financiers. C’est ainsi, mais toujours est-il que nos Espoirs sont désormais des professionnels. En Hollande, ce virage a été négocié il y a belle lurette : là, à 20 ans, on sait où on va. Je me suis régalé et Jean-François de Sart a bien géré cet ensemble.

Et maintenant ? Priorité aux jeunes ? A Pékin ? A de Sart ? A René Vandereycken ? Aux derniers matches des Diables Rouges dans les qualifs de l’Euro 2008 ?

Il y a un directeur technique national. C’est à Michel Sablon qu’il faut poser la question mais il me fait parfois penser à un pensionné de l’armée. On ne doit pas laisser faire le temps et les événements. Si la fédération a les moyens ou la volonté de remercier René Vandereycken, elle doit engager Wilmots à sa place. Il connaît la pression du quotidien. C’est un leader. Jean-François de Sart a calmement grandi avec son groupe et sous la protection de Philippe Saint-Jean durant des années. Est-il capable de résister à un stress plus intense ? Mais, attention, je ne suis pas pour le limogeage de René Vandereycken. Les chances de qualification des Diables Rouges sont réduites. Il faut définir au plus vite une ligne de conduite sportive, aborder le débat tactique pour que tout le monde soit sur la même longueur d’onde, ce qui serait plus facile pour tous les joueurs.

Bien, mais priorité aux Jeux ou pas ?

Priorité aux Jeux mais…

Mais ?

Les A doivent être traités aussi avec le maximum de respect. Les Jeux Olympiques ont un impact mondial mais on doit enrayer à tout prix la chute des Diables Rouges au ranking FIFA. Il y a urgence. En quatre ans, j’ai vu défiler 150 joueurs en équipe nationale. Cela n’a servi à rien et si cela continue, on se retrouvera bientôt dans le dernier chapeau avec le Luxembourg. C’est dramatique et il faut inverser la courbe. On doit aligner la meilleure équipe A possible mais si un jeune peut être présent à un moment sur les deux tableaux, le premier choix doit revenir à Jean-François de Sart. Michel Sablon devra y veiller. Je n’aimerais pas que les jeunes se fassent sans cesse botter les fesses si les A piquent encore plus du nez.

Le teambuilding

Et si on reparlait anglais : c’est bien la mode du team building, n’est-ce pas ?

Mais ça me fait rire…. On n’a rien inventé et du teambuilding comme on dit maintenant, j’en faisais déjà à Winterslag. J’organisais de temps en temps des mises au vert à Spa où nous avions des activités qui soudaient le groupe. Le teambuilding s’appelait plus simplement l’esprit de groupe. Mon ami Georges Leekens a utilisé ce mot en anglais, y a consacré un livre avec l’aide d’un nègre, je suppose…

Non, c’était un travail… d’équipe !

Oui, bien sûr, et pourquoi ne l’aurait-il pas fait ? Depuis lors, on croit que c’est lui qui a inventé cela. Marrant mais l’esprit d’équipe est aussi vieux que le football. On cultivait cet art sans organiser une conférence de presse pour annoncer la nouvelle. Les Anderlechtois ont de gros moyens financiers. Ils peuvent faire du rafting, construire des radeaux, etc. C’est magnifique mais cela demande une organisation et des dépenses que tous les clubs ne peuvent hélas pas se permettre. De plus, cela dépend du climat qui règne dans un club. Quand une équipe est à la ramasse, certains dirigeants se demandent à quoi servent l’esprit de groupe, pardon le… teambuilding ou la sophrologie que j’avais lancée à Charleroi avec José Hubert. Ils ont tort. De plus, on peut faire du teambuilding sans trop délier les cordons de la bourse. J’ai emmené les Zèbres au théâtre, ils ont fait du karting, etc. A Liège, je me souviens, entre autres, de soirées où tout le monde était masqué. Quand les joueurs ont souffert ou pris du plaisir ensemble, ils se connaissent mieux, sont plus proches et collaborent plus facilement. Les tensions sont souvent dues au fait qu’on ne connaît pas l’autre.

Donc, Frankie Vercauteren a raison de miser sur le teambuilding ?

Of course, c’est évident. Il connaît mieux ses joueurs. C’est un facteur de progrès car un groupe soudé va plus loin.

par pierre bilic – photos : reporters / thys

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