Guides Michelin et du Routard

L’un est président depuis 14 ans et tient son club à bout de bras ; l’autre joue les dénicheurs de talent en Afrique depuis 12 ans.

Notre football s’enfonce dans la médiocrité mais il y a une chose qu’on ne nous enlèvera pas : on ne manque pas de personnages folkloriques. Roger Lambrecht, le président de Lokeren, en est un. Présent à la tête du club depuis 1995 (personne ne fait mieux en D1), Lambrecht s’est imposé. Dans tous les sens du terme, il crève l’écran. Par son patois incompréhensible, par un physique écrasant, par ses colères légendaires. Il est devenu incontournable. Tel un seigneur féodal, il règne sur cette petite bourgade coincée entre Gand et Anvers. De seigneur, il en a hérité du pouvoir mais il n’en a pas véritablement la noblesse.  » C’est un paysan. Sans y voir une notion péjorative. Il n’a pas les manières de la ville « , explique un proche du Sporting Lokeren.  » Il a un langage cru qui a parfois fait fuir certains joueurs. D’un autre côté, ce langage populaire plaît à la majorité d’entre eux. Il sait comment leur parler « , continue-t-il.

Derrière cette image, se cache pourtant incontestablement une réussite : Roger Lambrecht incarne à lui seul la survie du football des années 70. En Europe, plus personne ne travaille comme lui. Et pourtant, sa méthode fonctionne encore. A l’heure de la professionnalisation à outrance, Lambrecht a réussi à maintenir Lokeren, club sans finances, sans stars, sans public et presque sans histoire, dans l’élite de notre football.

 » Lokeren, c’est monsieur Lambrecht « , explique Willy Reynders, ancien entraîneur au Daknam, aujourd’hui scout et directeur sportif des jeunes après un détour par Genk.  » C’est un des derniers vrais présidents.  » Une façon bien élégante pour dire que le patron des Noir et Blanc (et affreux bas jaunes) dépareille dans le football actuel. Pourtant, il a réussi des beaux coups. Que ce soit, grâce à son directeur technique, Willy Verhoost, dans l’import-export des joueurs ou seul, par son pouvoir d’attraction de grands entraîneurs. Les trois derniers en date en sont de parfaits exemples. Quel club belge peut se permettre de convaincre Aleksander Jankovic ou Slavoljub Muslin ? Ou Georges Leekens qui avait effectué du très bon boulot à Gand ? Si Lambrecht, qui occupa également la présidence de la Ligue Pro, est un dinosaure, on ne peut lui enlever sa connaissance du milieu.

 » Il aime le football. Quand les Espoirs de Lokeren jouent, il est là pour les voir « , continue Reynders.  » Il a un talent de prédiction. Et il a du nez.  » A 78 ans, il se rend tous les jours à l’entraînement. Et quand il pleut, il regarde les séances de sa voiture.  » Outre ses affaires, il n’a qu’une passion : le football « , prétend Rudi Cossey, l’entraîneur de Mons qui passa dix années à Lokeren.

Lambrecht est exigeant et émotif mais pas dictatorial

Lokeren, avec 5.000 supporters de moyenne et ses 36.000 habitants, n’a aucun avenir à long terme. Lambrecht se bat donc contre l’inéluctable. Un peu comme Venise qui sait qu’elle finira engloutie. Pourtant, Lambrecht n’est pas un rêveur et il connaît mieux que quiconque la réalité de son jouet.  » Dans cette ville, à long terme, un club pro n’est pas viable « , a-t-il longtemps affirmé. Pendant des années, il s’est fait le porte-drapeau du projet d’un grand club en Pays de Waes. Un club capable d’attirer 12.000 personnes de moyenne et de porter son budget à 12 millions d’euros. Il a tenté de fusionner avec Alost, Beveren, Gand et le Germinal Beerschot. A chaque fois raté. Pourtant, en 2002, tout semblait réglé avec les Anversois du Kiel avant que Lambrecht ne recule devant les commissions à payer à gauche et à droite.

En attendant, Lambrecht continue à diriger avec poigne son club. Ou plutôt avec une main de fer dans un gant de velours.  » Il dirige tout. C’est lui le seul décideur de Lokeren « , explique Cossey.  » Il sait tout ce qui se passe au Daknam. Il parle au staff, aux joueurs, aux personnes qui s’occupent du matériel et à celles qui préparent les repas. Il est assez exigeant envers son personnel car il ne supporte pas l’immobilisme mais ce n’est pas un dictateur. Quand il a confiance en quelqu’un, il s’attache vite. Il va manger avec les entraîneurs qu’il apprécie. Quand les résultats ne suivent pas, il n’est pas du genre à limoger son entraîneur du jour au lendemain. Evidemment, si le rapport de confiance n’existe plus, il tranche. De plus, il agit un peu trop comme un vrai supporter. Il est émotionnel. Je me souviens notamment, d’un stage d’avant-saison à l’époque de Paul Put. Il a commencé à prendre la parole devant le groupe. Plus il parlait, plus il s’excitait en parlant des objectifs élevés et plus il disait des choses peu réalistes. Quand il annonce avant la rencontre contre Mouscron, il y a deux semaines, qu’il s’agit de la dernière chance de Jankovic et qu’il faut revenir à deux entraînements par jour, il parle trop vite. Et il se rend compte très vite que cela ne constitue pas une bonne solution.  »

Son impulsivité le pousse à prendre parfois de drôles de décisions. S’il faut mettre 1 million sur la table pour attirer l’Israélien Omer Golan, il n’hésite pas. Aujourd’hui, il voit que l’investissement ne fut pas rentable.  » Il a suffi d’un début de championnat moyen pour qu’il panique et qu’il sorte son chéquier (750.000 euros) pour Sanharib Malki « , explique un proche du club.  » Quand l’équipe ne tourne pas comme il veut, et qu’il a fait les investissements qu’il fallait, il a tendance à devenir nerveux « , avoue Reynders.

Cela n’en fait pas nécessairement un mécène. S’il colmate les dettes à la fin de chaque saison, sa politique de transferts lui permet de se rembourser à chaque gros départ. Comme celui de Maâzou, parti de Lokeren pour 4,8 millions d’euros. Lambrecht a le talent des affaires et l’assurance de ceux qui ont réussi leur carrière professionnelle en partant de zéro. Celui qui commença comme magasinier chez Michelin avant de lancer sa propre affaire de grossiste de pneus dans les années 60, vit ses affaires prospérer au point de voir, aujourd’hui, son entreprise Q-Team compter 87 points de vente en Belgique et un chiffre d’affaires oscillant entre 110 et 120 millions d’euros. Alors, lorsqu’en 1995, à quelques journées de la fin du championnat, alors que Lokeren naviguait en eaux troubles, on lui demanda de prendre la présidence, il n’hésita pas. A l’instar de neuf autres amis investisseurs, il mit sur la table 1 million d’euros et sauva le club de la faillite. Depuis, il éructe, réfléchit et sort une idée chaque année. La régionalisation du football belge, c’était lui. Les projets de fusion, toujours lui. Et la première transformation d’une équipe belge en World Company (avant Beveren !), encore lui. Le tout dans le but de pérenniser son club dont il compte bien offrir la présidence à son fils Dirk.

par stéphane vande velde

« A 78 ans, il assiste à tous les entraînements. Et quand il pleut, il regarde de sa voiture. « 

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