Guerre des sexes

Rios mène la révolte contre les chouchoutes…

Lorsqu’elle créa la Women’s Tennis Association en 1973, Billie Jean King était intimement convaincue que l’heure du sport féminin en général et du tennis en particulier avait sonné. Elle en fut tellement persuadée qu’elle n’hésita pas, pour confondre les sceptiques, à se mesurer à un ancien champion de Wimbledon, Bobby Riggs, dans ce qui fut appelé alors « la guerre des sexes ».

Devenue un véritable porte-drapeau des valeurs féminines dans le sport de haut niveau, Billie Jean King ne fut pas encouragée que par des amateurs du tennis en jupes. Et bien sûr, elle gagna. Télévisée à la mode des plus grands shows américains, la rencontre eut un énorme retentissement: le sport féminin avait prouvé sa réelle valeur.

Mais la bataille pour le respect n’est pas encore complètement gagnée. Lors du récent Open d’Australie disputé à Melbourne, l’ancien numéro un mondial Marcelo Rios dénigra en bloc la compétition féminine.

« Le tennis féminin n’est qu’une blague », dit en substance le Chilien. « Les filles gagnent 6-0 6-1 jusqu’en quarts de finale. Vous n’aurez jamais une telle situation chez les hommes où tout le monde peut battre tout le monde ».

Le problème c’est que 28 ans après le grand show de Houston face à Riggs, Billie Jean King n’est plus capable de réussir une performance semblable contre Rios évidemment. Quant aux affirmations du Chilien, elle préfère ne pas s’étendre sur la question, les trouvant sans doute trop dénigrantes pour mériter une réponse.

Néanmoins, la question subsiste: Rios a-t-il tort? Poser la question c’est déjà un peu y répondre diront certains.

Le même argent pour moins de travail

L’Open australien qui, comme l’US Open de Flushing Meadows, alloue les mêmes sommes d’argent aux hommes qu’aux femmes l’a encore une fois cruellement démontré: le travail fourni n’est pas le même. Ou plutôt la quantité de travail presté est largement supérieure dans le tableau masculin.

Mais les joueuses sont conscientes du travail qu’elles abattent et, si l’on veut bien tenir compte des différences morphologiques, celles-ci sont peut-être tout aussi méritantes.

« Il ne peut pas tenir de tels propos puis s’en aller comme si de rien n’était », affirma une Hingis qui souffrit en finale contre Jennifer Capriati. Disputé en trois sets et par 46 degrés en plein soleil, le match dura plus de deux heures et fut un supplice pour l’ancienne numéro un mondiale.

Hingis: « Si Rios jouait contre moi peut-être changerait-il d’avis ».

La joueuse de Trubbach rappela l’expérience d’il y a quelques années lorsqu’au sortir d’une séance d’entraînement avec Venus Williams, le Russe Yevgueny Kafelnikov s’était dit impressionné par la force de frappe de l’Américaine.

Justement, l’aînée des Williams insista sur le travail des joueuses: « Nous sommes toutes extrêmement fières par rapport à notre métier. A chaque fois que nous montons sur un court, nous donnons le meilleur de nous-mêmes ».

Rescapée en quarts en raison de sa maigre 83e place mondiale, l’Italienne Adriana Serra Zanetti disait: « Le tennis féminin est tout sauf une blague. Il y a tellement de bons matchs de nos jours ».

Confrontée au sujet, Capriati s’en tint à un « no comment »: « De telles idioties ne méritent pas une réponse ».

Quant à Monica Seles, elle contre-attaqua Rios de manière plus subtile: « Ma demi-finale contre Hingis démontre que contrairement aux hommes, le tennis féminin n’est pas basé sur la seule puissance du service. Nous offrons de longs échanges aux spectateurs ».

Toutes ces prises de position ne calmèrent pas Rios qui s’en prit à l’égalité pratiquée en terme de prize-money, mais il enfonça encore davantage le clou en mettant directement en cause le manque de talent des femmes.

Le public préfère les femmes

« Une fille classée 40e mondiale ne battra jamais Hingis », insista-t-il. « Chez les hommes, c’est possible ».

L’élimination au premier tour du numéro un mondial Lleyton Hewitt (convalescent) des oeuvres de l’Espagnol Alberto Martin, 39e mondial, et celle du Brésilien Gustavo Kuerten, numéro deux à l’ATP, sorti par le Français Julien Boutter, 49e joueur mondial, pouvaient lui donner raison.

Mais depuis l’apparition en 1997 de Venus Williams, et l’année suivante de sa soeur Serena sur l’avant de la scène, le tennis féminin n’a jamais généré autant d’argent. En terme de popularité, les femmes récoltent beaucoup plus de succès que les hommes. Lors du dernier US Open, la finale féminine remportée par Venus au détriment de Serena fut retransmise en direct en prime-time sur les réseaux américains. Et si, à travers le monde, les taux d’audience télévisée sont sensiblement égaux en ce qui concerne le tennis féminin et son homologue masculin, aux Etats-Unis, la finale féminine à Flushing Meadows dépassa largement en terme de téléspectateurs la victoire de Hewitt face à Sampras.

Les fortes personnalités en présence sur le circuit féminin sont pour beaucoup dans ce succès. Chaque année, la WTA enregistre une forte augmentation en matière d’entrées aux tournois à travers le monde. Les gens se bousculent pour venir voir les soeurs Williams, Capriati, Davenport, Hingis, Clijsters, Henin sans oublier Kournikova, la joueuse de loin la mieux payée même si elle court toujours derrière sa première victoire. Car derrière ces filles au tempérament et aux styles différents se cache toujours une histoire. Rien à voir avec l’ennui généré par les froides personnalités (à quelques trop rares exceptions près) du circuit masculin.

Aujourd’hui, les gains des joueuses se chiffrent en millions de dollars. Rien avec voir avec les sommes perçues par Billie Jean King. Durant toute sa carrière ponctuée de 12 titres du Grand Chelem (dont six Wimbledon), l’Américaine amassa 1.966.487 dollars (elle récite le chiffre de mémoire). Elle fut aussi la première joueuse à dépasser les 100.000 dollars de gains, une somme que les joueuses actuelles peuvent gagner… en un seul tournoi.

S’il est vrai que les joueuses passent moins de temps sur les courts et que leurs salaires devraient être revus à la baisse et en aucun cas être égaux à ceux des hommes, il est vrai aussi que dénigrer leur talent et minimiser la somme d’efforts et de sacrifices qu’elles consentent pour figurer parmi l’élite constitue une vue par trop réductrice. Marcelo Rios ferait peut-être bien d’y songer.

Florient Etienne

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