Guardiola, dissection de l’éloge

Bernard Jeunejean

Je me rappelle peu Pep Guardiola joueur des nineties : images floues d’un milieu axial plus régulateur que défensif, passeur sans déchet, chef de bande, relais vocal du coach. Mais, dans ma mémoire, les surdoués sous Johan Cruijff avaient noms Ronald Koeman, Hristo Stoichkov et surtout Michael Laudrup lors de la C1 remportée en 1992, puis Romario lors de celle perdue en 1994. Quant à la victoire de 1997 en C2 sous Bobby Robson, Pep restait dans l’ombre (c’était son rôle) d’un trio d’attaque exceptionnel : Ronaldo, qui n’était pas encore le gros, entouré par LuisFigo… et par LuisEnrique, tiens, tiens ! Fortiche, l’actuel coach blaugrana, plus net que Pep dans mes souvenirs : battant mais beau à voir, complet, et 62 fois international !

Cette remarque parce qu’aujourd’hui plane une exagération a posteriori des qualités (réelles, pas surnaturelles) du Guardiola hier actif : comme si ranger le joueur parmi nos superstars historiques éclairait le succès du coach contemporain. Oui, c’est un entraîneur du top, méticuleux, obsédé, passionné, pédagogue, soucieux de progression : mais il n’est pas le seul ! C’est pourquoi me gratouillent ceux qui l’érigent en mythe et j’en ai déniché l’archétype, il s’appelle Thibaud Leplat et vient d’écrire « Guardiola, éloge du style » (Editions Hugo Sport) : selon sa footosophie, Pep est l’unique génie du coaching d’aujourd’hui, seul Dieu face aux démons, paré de toutes les qualités, vierge de toute lacune, créateur de beauté, moraliste du jeu (offensif) face aux vilains pragmatiques (défensifs) de l’enjeu, poète et philosophe, homme de culture dans notre microcosme d’inculture : tu refermes le bouquin contraint d’admettre qu’à part Louis van Gaal et Marcelo Bielsa qui furent des guides, les coachs actuels sont nuls, et d’abord José Mourinho, antithèse satanique de Pep-le-pur.

Supportarisme insupportable d’un inconditionnel. Candeur à hurler, de rire ou de douleur, lisez Leplat : un entraîneur peut éradiquer le hasard ; le résultat est toujours la conséquence du jeu ; un collectif bien dirigé peut mettre autant de buts qu’il veut ; le foot obéit à des règles que Guardiola est seul à voir avec autant de clarté ; les énigmes que posent un match ne se résolvent que par l’intelligence et la stratégie ; Manuel Neuer a contracté sous Guardiola le goût du risque comme caractéristique essentielle ; plus j’ai le ballon et moins je prends de coups ; Guardiola, c’est la victoire de l’intelligence sur la force ; il a trouvé le moyen de récupérer le ballon sans en venir au duel physique, qu’il savait perdu d’avance ; Guardiola est plus important que ses joueurs. J’AI HURLÉ, JE PENSE TOUT L’INVERSE ! Leplat veut croire que le foot est tordu comme les échecs, et veut que Pep soit Garry Kasparov ! Et il met la pression sur tout qui serait en désaccord, en le méprisant pour cause de non-amour envers le vrai beau foot selon son évangile : basta, je préfère être un mécréant !

Un coach vainqueur est un grand coach s’il est vainqueur inattendu, ce que Pep n’a jamais été : contrairement à Mourinho, qui a bien davantage relevé des défis, sans les gagner tous… En 2006 sous Frank Rijkaard, sans Lionel Messi encore en gestation et seulement doublure de Ludovic Giuly, le Barça est champion d’Europe. C’est dire que quand Pep s’amène en 2008, l’effectif n’est pas de branques avec les Xavi, Carles Puyol et autres Andres Iniesta : bien plus que le style/Pep, c’est l’arrivée à maturité de Lio l’extraterrestre qui permet deux nouveaux titres européens ! Puis, arrivé au Bayern dans la foulée du triplé de Jupp Heynckes, Pep a d’abord perdu l’Europe, puis n’a conservé cette année que le titre national : tandis que le Barça, sans lui mais toujours avec Super-Lio, vient de renouer avec l’Europe…

Guardiola a déclaré qu’il aurait remporté le Mondial avec le Brésil, et accepterait une offre d’entraîner la Seleçao… pour un triomphe qui, une fois de plus, n’aurait rien d’inattendu ! Il manque d’ambition. La vraie, ce serait d’entraîner Eibar ou Levante en gardant l’effectif, de ne plus être ce gros gâté parfois paumé quand il était mené, et de progresser de dix places au classement de la Liga 2016 : là, je relirais Leplat en me disant que je n’avais rien pigé…

BERNARD JEUNEJEAN

Un coach vainqueur est un grand coach s’il est vainqueur inattendu. Ce que Pep n’a jamais été.

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