Grazie, Paolo

A l’heure de la retraite sportive, le colosse italien de Milan revient sur sa carrière extraordinaire.

On pourrait s’attendre à ce que Paolo Maldini soit quelque peu mélancolique à l’aube de mettre le générique de fin sur une carrière qui l’a vu défendre les couleurs rouge et noire du même club milanais pendant 25 ans. Pourtant, les regrets ne font pas partie du vocabulaire de l’élégant défenseur qui a rejoint l’AC Milan à l’âge de neuf ans, en 1978. Maldini occupe aujourd’hui une position rare auprès du grand public italien, où il fait davantage figure d’icône nationale que de joueur professionnel.

Le jour où il a accepté de nous donner cette interview au camp d’entraînement de Milanello, l’endroit était assailli par des fans rossoneri venus en bus pour visiter les installations de leur club favori. En attendant notre homme, l’attaché de presse Beppe Pazienza reçut sur son portable un appel de Maldini qui, toujours courtois, s’excusait parce qu’il avait quelques minutes de retard et qu’il arrivait. Le porte-parole conseilla à Maldini de prendre une porte dérobée et de nous rencontrer sur la pelouse arrière de Milanello. Il y avait trop de supporters dans les parages et tant Pazienza que Maldini savaient que si la légende de San Siro s’aventurait parmi eux, il en aurait pour au moins une demi-heure à signer des autographes et à poser pour des photos furtivement prises sur un gsm.

A quel point est-ce difficile de remiser les crampons ?

Paolo Maldini : J’ai été très chanceux. J’ai joué toute ma vie à Milan, pour une très bonne équipe et j’ai toujours été entouré de ma famille. Tout a été parfait : tout ce que j’ai toujours voulu atteindre dans ma carrière, je l’ai vécu.

Votre corps vous disait-il que le temps était venu et que vous l’aviez suffisamment mis à l’épreuve ?

Ironiquement, je me sens beaucoup mieux physiquement cette saison que durant les trois précédentes. Après mes deux opérations au genou, je me suis senti de mieux en mieux et je m’entraîne régulièrement. Je pourrais continuer mais je ne le veux pas. Cette année, je ne pensais disputer que quelques rencontres et voilà que j’ai presque joué tout le temps !

Vous dites ne pas avoir de regrets. Même pas cette finale de Ligue des Champions perdue contre Liverpool, à Istanbul ?

Pourquoi serait-ce un mauvais souvenir ? C’était l’une des meilleures finales que j’aie disputées. Nous avons vraiment bien joué, mieux que notre adversaire, et nous méritions de gagner. Mais c’est le football, c’est la vie. Cette défaite a cependant attisé notre volonté de revanche quand deux ans plus tard nous avons été amenés à affronter une nouvelle fois les Reds en finale de la C1. Cette seconde finale n’était peut-être pas la plus agréable à regarder, mais elle fut une belle preuve de notre détermination qui s’est également traduite par notre victoire en Coupe du Monde des Clubs contre Boca Juniors. Nous voulions montrer à la face du monde que nous étions une bonne équipe. J’ai gagné énormément de trophées dans ma carrière et donc j’accepte la défaite.

Y a-t-il un match que vous souhaiteriez ne jamais avoir disputé ?

Une rencontre que j’aimerais effacer de ma mémoire, c’est notre quart de finale retour en C1 à Marseille, en 1991. Cette partie ne s’est certainement pas terminée comme je le souhaitais ( NDLR : ce soir-là le score était de 1-0 pour Marseille, qui menait 2-1 au total des deux manches. Milan se dirigeait tout droit vers l’élimination lorsque les lumières du stade s’éteignirent juste avant les arrêts de jeu. Le directeur général Adriano Galliani crut saisir sa chance en obligeant son équipe à quitter le terrain et en refusant de disputer les trois minutes de temps additionnel. Dans l’espoir de rejouer le match… ) C’est une chose de donner le meilleur de toi-même et d’être battu, pas de chance. Mais quitter comme cela le terrain, non, ça je ne l’ai jamais accepté.

Le grand absent de 2006

Avec 126 sélections, vous êtes l’Italien plus capé de tous les temps. ça vous a fait mal de voir la Squadra décrocher le titre mondial en 2006, sans vous qui avez disputé tous les championnats d’Europe et toutes les coupes du monde entre 1988 et 2002 ?

J’étais en vacances aux Etats-Unis lors de la Coupe du Monde en 2006, très loin de tout cela et donc jusqu’à la demi-finale je n’ai quasi rien suivi. J’ai bien sûr regardé la finale. J’étais très heureux pour eux mais déçu pour moi-même car nous avions souvent été si proches du but lorsque j’évoluais avec la Squadra. Vous savez, j’ai eu une carrière tellement remplie que je ne peux pas me plaindre.

L’élimination lors d’Italia 90, cela a fait mal, non ? L’Italie aurait-elle dû gagner ce tournoi ?

Disputer la Coupe du Monde chez nous fut une expérience fabuleuse, même si elle a fini en déception. Peut-être n’étions-nous simplement pas destinés à la victoire, mais nous aurions tout de même dû aller jusqu’en finale. Souvenez-vous : nous n’avions pas encaissé le moindre but jusqu’en demi-finale.

D’autres souvenirs de Coupes du Monde ?

L’édition de 1994 aux Etats-Unis fut réellement étrange. Je nous vois encore éprouver toutes les peines du monde face à l’Irlande lors de notre premier match au Giants Stadium de New York. Nous étions supposés remporter cette rencontre mais la défaite nous faisait démarrer sur une fausse note. Puis, lors du 2e match contre la Norvège, notre gardien est exclu. Que ce début de tournoi fut laborieux ! Puis nous avons été jusqu’en finale, avec ce maudit penalty manqué de Roberto Baggio. C’est le football.

Y a-t-il une rencontre en particulier dont vous vous souvenez davantage que toutes les autres ?

Oui, mon premier match officiel en Serie A. C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience que je pouvais devenir un pro au plus haut niveau. Notre entraîneur de l’époque, Niels Liedholm, était probablement le coach parfait pour un jeune. Il était très calme et m’encourageait sans cesse. Il ne me rajoutait pas de stress, ce qui était bien car j’étais pour ma part déjà assez nerveux.

Votre fils de 12 ans, Christian, semble marcher sur vos traces. L’encouragez-vous ou bien vous lui conseillez autre chose ?

Le football m’a tellement donné ; pourquoi ne lui laisserai-je pas sa chance ? Mon père, ancien capitaine de l’AC Milan et ancien entraîneur de l’Italie, m’a lui aussi laissé l’opportunité de saisir ma chance.

En parlant de votre père, était-ce difficile de jouer sous ses ordres ?

Non, ce n’était pas difficile du tout. En fait, c’était plutôt très spécial. Mais je ne parlais pas davantage à mon père après les matches qu’un autre capitaine ne l’aurait fait.

Futur incertain

Avez-vous des projets spécifiques pour le futur ? Dans le passé vous avez déclaré que le job d’entraîneur ne vous intéresse absolument pas. Est-ce toujours le cas ?

Définitivement. Je ne coacherai pas. C’est un très beau métier, mais très stressant et cela implique certaines choses que j’aime le moins dans le football. A la fin d’un match, je vois Carlo Ancelotti donner sept interviews différentes, obligé de répondre sept fois la même chose aux mêmes questions qui reviennent. De plus, je ne serais pas heureux d’aller à Coverciano (le siège de la fédération italienne de football) pour suivre des cours sur le football, juste pour décrocher mon diplôme d’entraîneur. Dans les affaires, j’ai deux centres d’intérêt que j’entends suivre de plus près : je dispose d’une ligne de vêtements avec des amis et nous avons également une société qui réalise des rénovations de maisons. A part cela, je n’ai pas vraiment de plans définitifs et je ne peux pas vous dire ce que je ferai dans un an.

Et une carrière dans le journalisme, ou acteur de cinéma ?

Il n’en est pas question.

Silvio Berlusconi, votre boss à Milan, ne vous a-t-il jamais demandé de le rejoindre en politique ?

Jamais. Je pense qu’il est content avec ce que j’ai apporté au club. Je n’aimerais pas rejoindre la politique, cela me paraît être une activité où l’on essaie de faire des choses en ayant sans cesse les mains liées dans le dos. C’est très difficile de mettre vos propres idées en action. Quant à Berlusconi, si vous voulez le voir, si vous avez besoin de lui il est facile à trouver, il est toujours disponible.

Qu’est-ce qui vous manquera le plus ?

Mes meilleurs moments ont probablement été ceux que j’ai passés ici à Milanello, sur les terrains d’entraînement. C’est ce qui me manquera le plus : être sur le terrain ou dans le vestiaire avec des gars provenant de tellement d’endroits différents. Cette ambiance me manquera, c’est sûr.

Vous quittez la compétition à un moment délicat pour le foot italien, que l’on dit en déclin, en tout cas si l’on en juge les deux dernières saisons en Ligue des Champions. Les clubs de la Péninsule sont-ils en crise ?

Non, mais le déficit d’investissement par rapport à la Premier League n’a fait que se creuser et est devenu énorme. Ensuite, il faut pouvoir avouer que le football anglais s’est développé de manière considérable, en tirant profit à merveille des entraîneurs et des joueurs étrangers venus étoffer le championnat aux Iles.

En tant que défenseur, cela vous embête que l’on donne au foot italien le label  » défensif  » ?

Lorsque je vois évoluer Liverpool ou Manchester United hors de leurs bases, ce sont les équipes les plus défensives que je connaisse. Ils jouent le match entier sur leur portion de terrain. Mais depuis qu’ils ont appris à jouer de manière plus défensive, ils décrochent des résultats au niveau européen. Les gens ont tendance à dénigrer les équipes qui abattent un gros boulot défensif, pourtant c’est souvent ce qui manque à de très bonnes équipes aujourd’hui. Travailler sa défense n’est ni facile ni une mauvaise chose. Bien entendu, les supporters voudront toujours vous voir évoluer de façon offensive, en jouant l’attaque de manière spectaculaire. Mais avoir quatre gars qui évoluent à l’unisson en défense, ce n’est pas une mince affaire non plus. Cette étiquette de foot défensif collée aux équipes italiennes date des années 1960. Nous avons eu des équipes qui jouaient bien en défense mais qui attaquaient aussi davantage que leurs adversaires. Quand je repense aux formations milanaises au sein desquelles j’ai évolué – et je ne parle pas ici que des équipes de l’ère Arrigo Sacchi avec Ruud Gullit, Frank Rijkaard et Marco van Basten – mais aussi de celles jusqu’à maintenant, nous avons toujours eu de bons joueurs, souvent des petits formats créatifs avec des vrais backs offensifs et une volonté d’aller de l’avant… parfois de manière inconsidérée à mon goût.

De tous vos adversaires, quel était selon vous le meilleur ? Et de tous vos coéquipiers ?

Diego Maradona était le meilleur. Il était tellement talentueux et un si chouette gars. Parmi mes équipiers, le plus doué techniquement fut van Basten mais celui qui m’a appris le plus c’est Franco Baresi.

par paddy agnew, world soccer- photos: reporters

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