Grand Loup

Comment, à 22 ans, l’impressionnant attaquant belge de Malines (1,93m et 91kg) est devenu le joueur le plus efficace du championnat.

R ossini, de son prénom Gioacchino, était un compositeur italien né à Pesaro (1792-1868) à qui l’on doit, notamment, le célébrissime opéra Le BarbierdeSéville (d’après une comédie de Beaumarchais). Son homonyme Giuseppe, surnommé Pino, est un footballeur né à Bari mais désormais Belge à 100 %, à qui Malines doit sept buts dans le championnat de Belgique. Sept jolis buts, peut-être pas de quoi en faire les sept merveilles du monde, mais tout de même : celui inscrit contre Anderlecht d’une frappe du droit (alors qu’il est gaucher) après un contrôle de la poitrine, valait le détour. Il n’en était alors qu’à sept titularisations, et n’avait joué que 750 minutes, ce qui – au rapport temps de jeu/buts inscrits – en faisait le footballeur le plus efficace de la D1. Son autobiographie, après un prélude dans les Pouilles, pourrait s’écrire en trois actes…

Prélude : les Pouilles

Giuseppe Rossini :  » Je suis né à Bari, mais je n’y suis resté que durant ma plus tendre enfance. Je n’ai gardé qu’un souvenir très vague de cette période. En revanche, je suis souvent retourné dans les Pouilles pour les vacances, afin de rendre visite à ma famille qui y réside toujours : cousins, cousines, grands-parents, etc. Je n’ai jamais eu l’occasion d’assister à un match de football sur place, mais je suis les prestations du club à distance. Bari réussit une très belle saison en Serie B et j’ai le sentiment que cette équipe a de bonnes chances de rejoindre la Serie A, grâce surtout à un excellent entraîneur, AntonioConte (un ancien joueur de la Juventus). Je ne connais pas personnellement JeanFrançoisGillet, mais je constate qu’il a souvent de très bonnes cotes dans la presse italienne. Je sais qu’il était considéré jadis comme l’un des grands gardiens d’avenir du football belge. Comme on dit loin des yeux, loin du c£ur…  »

Acte I : le Hainaut

Rossini :  » Mes parents ont émigré en Belgique lorsque j’avais deux ans et demi. Mon père cherchait du boulot dans le bâtiment, et dans les Pouilles, le travail manquait. Il en a trouvé dans la région du Centre. Footballistiquement, c’est à Houdeng que tout a commencé pour moi. Je n’étais heureux que lorsque j’avais un ballon dans les pieds, et j’ai donc été affilié à six ans au club le plus proche du domicile familial. Mon frère Nicolas, âgé de 19 ans, n’a en revanche jamais été intéressé mais il a toujours suivi mes prestations. Gamin, j’étais déjà un attaquant assez costaud. Ma technique n’était pas mauvaise, mais elle s’est beaucoup améliorée. Houdeng représente beaucoup pour moi, j’y ai gardé beaucoup d’amis. Le club évolue en P1, mais semble avoir galvaudé ses chances d’accéder à la Promotion.

Après, j’ai fréquenté d’autres clubs hennuyers, dont Charleroi (quatre ans) et Mons (un an). A Charleroi, LaurentCiman faisait partie de ma génération, c’est le seul avec moi qui ait atteint la D1. De Mons, je garde le souvenir des entraînements dispensés par MarcGrosjean, puis SergioBrio, lorsqu’ils m’ont permis de m’entraîner avec le noyau A. Aujourd’hui, je suis retourné vivre dans le Hainaut, à La Louvière. En fonction du trafic, je peux mettre entre 45 minutes ou 1 h 30 pour rejoindre Malines, mais je m’y sens chez moi. C’est la ville où j’ai grandi. Elle n’est ni plus belle, ni plus moche que d’autres, mais j’y retrouve mes amis, j’y côtoie beaucoup de gens d’origine italienne. La descente aux enfers des Loups m’attriste au plus haut point. Les voilà en D3, peut-être bientôt en Promotion, et sans le sou. Lorsque j’étais gamin, j’allais voir les matches au Tivoli avec mon père. On frôlait les 10.000 personnes lorsque Charleroi était en visite. Le football hennuyer ne se porte pas bien, c’est clair. Je ne sais pas ce qui se passe avec les Zèbres cette saison. Visiblement, ils ne parviennent pas à se libérer complètement. Mons possède une excellente équipe sur papier, mais il lui manque un vrai capitaine, que tout le monde écoute. On s’y rendra le mois prochain avec Malines. C’est un match que j’attends avec impatience, davantage que celui de Charleroi car plus personne ne me connaît au Mambourg : je n’y ai fréquenté que les équipes d’âge. Mon passage à Mons, bien que plus bref, est en revanche plus récent et j’y compte encore quelques amis, dont AlessandroCordaro.

Le stade Charles Tondreau me réussit bien. C’est là que j’ai joué mon premier match avec l’équipe nationale Espoirs, contre la Slovaquie, et également mon dernier match, contre Chypre. On avait gagné 3-2, j’avais inscrit deux buts et adressé la passe décisive sur le troisième. Aujourd’hui, j’ai dépassé l’âge d’être appelé en -21 ans. La prochaine étape, ce seront les Diables Rouges. Mais cela, c’est une autre histoire. « 

Acte II : les Pays-Bas

Rossini :  » J’ai été visionné lors d’un match de Réserve au Freethiel entre Beveren et Mons. Il y avait des émissaires du FC Utrecht dans la tribune. J’avais 17 ans et je n’avais encore jamais reçu ma chance en équipe Première. Vous me rétorquerez que j’avais le temps, mais j’avais le sentiment que je progresserais davantage aux Pays-Bas. Je ne me suis pas trompé. Sans cette expérience outre-Moerdijk, je ne jouerais pas en D1 belge aujourd’hui. C’est pourquoi je suis sceptique face aux propositions de MichelPlatini. Interdire les transferts internationaux avant 18 ans, c’est une idée louable, mais qui priverait les footballeurs d’une meilleure éducation. C’est comme si l’on refusait aux enfants de poursuivre leurs études dans une école américaine où l’enseignement serait supérieur à ce qu’il est dans leur pays. Platini est français et tous les pays n’ont pas des centres de formation aussi perfectionnés que ceux de l’Hexagone. A Utrecht, j’ai mûri tactiquement, techniquement et peut-être même humainement. Cela n’a pas toujours été facile. Lors de ma première saison, que j’ai disputée avec les Juniors et la Réserve, je pouvais compter sur le soutien de mes parents car je n’avais pas encore de permis. Mais, une fois passé 18 ans, je suis resté seul aux Pays-Bas. Sans beaucoup d’amis. J’avais beau avoir des cours de néerlandais trois fois par semaine, la langue constituait un obstacle. C’est avec les joueurs français que j’avais le plus de contacts. Dont feu DavidDiTommaso. J’allais souvent manger chez lui, et je suivais également les cours de néerlandais en sa compagnie et celle de sa femme. Un matin, l’un des autres joueurs français m’a téléphoné pour me dire que David avait succombé à une crise cardiaque durant la nuit. J’étais incrédule, je me suis dit que je n’étais pas encore bien réveillé et que c’était un cauchemar. Malheureusement, en arrivant au stade, j’ai compris en voyant la tête des autres joueurs que c’était la réalité. J’en ai été très affecté, et aujourd’hui encore, je pense souvent à lui.

J’ai aussi joué avec KevinVandenbergh, mais j’avais peu de contacts avec lui en dehors du terrain. Il vivait avec sa copine et n’avait besoin de personne. Et comme il jouait très peu, il n’était pas toujours de bonne humeur. Comme entraîneurs, j’ai connu FoekeBooy et Wim v anHaneghem. Deux approches très différentes. Booy était fanatique, il ne lâchait rien. Ses entraînements étaient plus physiques, très axés sur les duels. Van Haneghem était plus attiré par la technique, avec beaucoup de balbezit (possession du ballon) comme les Hollandais l’affectionnent, moins de un-contre-un ou deux-contre-deux. Booy a joué à Bruges et il en a sans doute gardé une certaine influence. Van Haneghem était un monument comme joueur à Feyenoord et était respecté par tout le monde. En tout cas, c’étaient deux très bons entraîneurs. Les joueurs de ma taille, mesurant plus de 1,90m, sont rarement de grands techniciens, mais grâce aux entraînements qui m’ont été dispensés aux Pays-Bas, je me débrouille désormais très bien. Au bout du compte, mes statistiques indiquent 46 buts matches et trois buts en Eredivisie sous le maillot d’Utrecht. Mais, sur ces 46 matches, beaucoup n’ont duré qu’une dizaine de minutes. C’est l’une des raisons de mon départ. Car, quand on ne joue pas, c’est d’autant plus dur lorsqu’on est seul à l’étranger. Je me souviens surtout de mes deux premiers buts : ils ont été décisifs. A chaque fois, c’était pour une victoire 3-2 en toute fin de match à Heerenveen et contre NEC Nimègue. C’est ce qui m’a permis de me faire connaître.  »

Acte III : Malines

Rossini :  » Je suis venu à Malines pour jouer, mais à cause de quelques petites blessures, d’une opération à la main et d’un peu de malchance, mon planning n’a pas été totalement respecté. J’avais joué les deux premiers matches de la saison, mais on a fait 0 sur 6 et PeterMaes a changé son équipe. J’en ai fait les frais. Il m’a aussi fallu le temps de m’intégrer et de m’adapter au championnat de Belgique. Aujourd’hui, je commence à trouver mes marques. Ce n’est pas mal pour un joueur qui joue peu. Mon but contre Anderlecht était beau. Le plus beau ? Disons… l’un des sept plus beaux ! ( Ilrit). En tout cas, depuis le 7-1 encaissé au stade Constant Van den Stock, que les suiveurs d’Anderlecht avaient imputé à la faiblesse de l’adversaire, on s’est bien rattrapé : on a éliminé le Sporting en Coupe et on l’a battu en championnat.

Savez-vous que j’ai été contacté par Anderlecht ? C’était la saison dernière, mais les conditions financières que l’on me proposait ne me convenaient pas. Elles étaient inférieures à ce que je gagnais à Utrecht… et également inférieures à celles d’aujourd’hui à Malines. D’une certaine manière, cela signifiait que le Sporting ne croyait pas réellement en mes capacités. On m’y considérait comme un joueur du noyau B qui allait effectuer ses premiers pas dans le noyau A et qui avait tout à prouver. Ce n’était pas faux, mais visiblement, Malines croyait davantage en moi puisque le club a fourni un effort pour m’attirer. De mon côté, je ne regrette pas mon choix. La mentalité qui règne à Malines me convient bien. Le fait de côtoyer plusieurs francophones dans le groupe est agréable, mais les deux communautés se mélangent harmonieusement. Je m’entends très bien avec KoenPersoons, par exemple. La solidarité n’est pas un vain mot. Les supporters sont très enthousiastes également, à domicile comme en déplacement. Ils nous aident à nous surpasser. On peut quasiment dire que nous sommes sauvés même si je ne veux pas vendre la peau de l’ours… A un moment, on était considéré comme des candidats à la descente, mais ce départ laborieux s’explique en partie par les malheurs que l’on a connus. A commencer par la grave blessure de KevinGeudens dès la deuxième journée ; une double fracture tibia-péroné survenue à Mouscron. Un événement dramatique dont on a mis du temps à se remettre. Tous les joueurs ont pris un coup sur la tête.

Le ballon ne roulait pas pour nous à ce moment-là : on a raté un penalty à Mouscron, puis un autre contre Zulte Waregem, à des moments-clefs. Progressivement, après quelques ratés au démarrage, le moteur s’est mis en route. Aujourd’hui, non seulement on a redressé la tête au niveau des résultats, mais on produit aussi du beau football. La finale de la Coupe nous paraît accessible après le 2-1 concédé au Cercle Bruges. Une finale Malines-Genk, ou même Malines-Lierse, remplirait à coup sûr le Heysel. Le mérite de Peter Maes ? Oui, mais aussi de tout le groupe, dont tous les éléments tirent dans le même sens. Lorsqu’on gagne, on fait la fête dans le vestiaire, puis on se concentre directement sur le match suivant. Maes nous tient de près, il ne lâche jamais rien. Il peut se montrer très dur, mais sait aussi nous récompenser. Par exemple, après la victoire contre Anderlecht, il nous a accordé quatre jours de congé ! J’en ai profité pour passer un week-end à Eurodisney avec ma copine. Sous certains aspects, Maes se rapproche beaucoup de Booy ; sous d’autres aussi de Van Haneghem car on fait également beaucoup de balbezit. Je ne suis donc pas du tout dépaysé, au contraire.  »

par daniel devos – photos: reporters/ guerdin

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