Golfe à fric

Le 10 juillet, le Lion de Rekem s’envole pour Riyad. Ceux qui l’ont précédé nous détaillent ce que sera sa vie à Al Hilal.

De Johan Boskamp à Sef Vergoossen en passant par Dimitri Davidovic et Aad de Mos, tous nous font part de ce qu’ils ont connu au niveau sportif et extra-sportif au Moyen-Orient.

 » L’Arabie saoudite ? Jamais de la vie !  » (Boskamp)

Johan Boskamp :  » L’Arabie saoudite ? Je n’accepterais jamais d’y aller ! Dubaï, le Koweït, Oman, Bahreïn, ça oui. Mais pas l’Arabie saoudite. J’entends dire que 80.000 spectateurs viennent y voir les matches mais j’ai du mal à le croire. Les Saoudiens ne sont tout simplement pas libres. J’ignore quel type de pays c’est mais je ne le sens pas. J’y ai été une fois, pendant trois jours, et j’étais content de repartir… Impossible à raconter, il faut y avoir été pour comprendre l’atmosphère qui y règne. A un moment donné, j’ai dû traverser la Mecque en bus. Eh bien, j’ai dû descendre du bus car seuls les musulmans peuvent pénétrer dans cette ville. J’ai crié : Et puis quoi encore, continue, mais rien n’y fit. Je suis finalement sorti du bus, fait un détour et repris le bus à l’autre bout de la ville.

Ils ont construit un pont reliant l’Arabie saoudite au Bahreïn. Le week-end, il y a des embouteillages monstres : plein de Saoudiens qui se vont se saouler dans le petit Etat du Golfe pour ensuite revenir mener leur vie rangée la semaine. « 

Dimitri Davidovic fut 3 fois champion d’Arabie saoudite avec Al-Ittihad, un club de Djedda et non de Riyad. Il avait raconté en 2007 à Sport/Foot Magazine :  » Al Hilal Royal Club de Riyad est protégé par je ne sais combien de princes. On le constate très vite. Le football ? Dans les Emirats (Dubaï, Abu Dhabi), tout est organisé dans les moindres détails, comme au Qatar. Le championnat y est organisé par l’Etat et tu reçois ton salaire en début de mois. Travailler à Dubaï est une bonne chose, à condition de gagner des matches car le nombre d’entraîneurs par saison peut aller jusqu’à 3 ou 4. En Arabie saoudite, la vie est très différente. Les Saoudiens sont très arrogants. Ma femme ne venait que très rarement me rendre visite, j’habitais dans un compound avec d’autres étrangers, mais j’ai été assez rapidement accepté par la bourgeoisie de Djedda. Le contraste avec Dubaï était grand : là-bas on vit dans une ville avec un club de golf magnifique, des clubs privés où l’on peut rencontrer les autres étrangers, un beach club, des plages magnifiques. Mais comme on ne reçoit jamais l’opportunité de découvrir les autochtones, cela reste très superficiel. Il y a moyen de gagner beaucoup d’argent en tant qu’étranger mais pas d’occuper une position en vue. Une fois que ton visa est échu et que le travail est fini, il faut quitter le pays. Les donations sont également un problème dans le foot saoudien. Le président te fait plein de promesses mais est dépendant des donations princières. Si tu gagnes, l’argent rentre comme prévu. Si tu perds, les caisses se vident. Il y a des clubs dans lesquels les joueurs ne sont pas payés pendant 5 à 6 mois. Le Golfe, un paradis où l’on gagne facilement de l’argent ? Oui, à condition que les résultats sportifs suivent. Sinon, on fait vite l’aller-retour.  »

Aad de Mos y était aussi, avec Jan van Winckel, à présent assistant au Club Bruges. Dans une période délicate, lorsque Al Qaida visait les Américains. Eux aussi habitaient dans un compound, un domaine isolé et sécurisé au milieu de villas.

De Mos à Voetbal International :  » Un des attentats toucha un compound à 3 km de notre maison. Je roulais vers chez moi lorsque quelqu’un du club m’appela. Je fis encore une blague sur la chanson à la radio mais j’entendis que ce n’était pas le moment de rire. Je suis allé donner entraînement ce jour-là mais c’est un chauffeur du prince qui est venu me chercher. Nous avons traversé Riyad, en voiture blindée. Après l’entraînement je suis resté à l’hôtel et le lendemain je partais. A l’aéroport c’était le chaos, tout le monde voulait quitter le territoire.  »

Sef Vergoossen a travaillé à Al Jazira, aux Emirats Arabes Unis. Il avait déclaré dans le Volkskrant de juillet 2005 et dans Sport/Foot Magazine le même mois :  » Dans la pensée structurelle, les Emirats sont un pas plus loin que le Qatar ou l’Arabie. J’ai entendu dire qu’ils avaient à un moment donné arrêté le championnat sans raison. Finalement, il est apparu que l’équipe qui devait terminer championne avait trop de blessés et qu’elle risquait dès lors de perdre des points.  »

 » Même les responsables terrain roupillaient dans les buissons  » (Aad de Mos)

Dimitri Davidovic expliquait déjà en 1993 à notre magazine qu’il fallait recadrer l’évolution du foot dans le Golfe dans le temps.  » En à peine 20 ans, ils sont passés pour ainsi dire du Moyen-Age à l’époque technologique. Certains joueurs habitaient encore sous tente il y a dix ans et devaient marcher 10 kilomètres pour aller chercher de l’eau. Aujourd’hui, ils reçoivent des villas, des grandes jeeps et des téléphones portables.  »

Mais les joueurs locaux ont aussi tendance à prendre la discipline à la légère. Davidovic :  » Pour mon premier entraînement dans un stade couvert, seuls neuf des trente joueurs attendus se présentèrent à l’heure. Lorsque je fis une remarque à ce propos, on me dit que les autres allaient arriver au compte-gouttes. Finalement j’ai donné mon speech tactique à neuf joueurs, car je renvoyais chacun des retardataires immédiatement à la maison. Finalement, après une heure il y avait plus de monde qui écoutait à la porte qu’à l’intérieur. « 

Aad de Mos avait raconté à Johan (juin 2003) :  » Je m’étais préparé au pire, mais j’ai sursauté lorsque je suis rentré dans la cantine et que j’ai vu la bande que c’était. Pas de discipline, chacun faisait ce qu’il voulait. Même les responsables du terrain roupillaient dans les buissons. Et les joueurs, l’un arrivait cinq minutes en retard, l’autre dix. L’un avait été coincé dans les bouchons, l’autre voulait encore un massage avant de venir. Je me rongeais les nerfs.  »

Johan Boskamp en a connu des belles également :  » Nous étions venus en stage en Belgique et ils voulaient que les responsables du matériel dorment à même le sol. Pas question, je n’acceptais pas cela. Ils reçurent aussi une chambre, mais n’osèrent pas l’accepter de peur des représailles. Ils ne diront jamais non plus qu’il fait 50 degrés, car les gens ne peuvent officiellement pas travailler quand il fait 50 degrés ou plus. Ils disent toujours qu’il fait 49 degrés… Les travailleurs étrangers qui fournissent la main-d’£uvre aux Etats du Golfe Persique doivent dormir à neuf dans une petite pièce et sont exploités. Dites quelque chose de travers et on vous met dans l’avion. J’y suis resté 15 ou 16 mois, c’est long ! Car deux défaites d’affilée et c’est le limogeage. Regardez Georges Leekens. Il a perdu trois fois et c’était fini. Ils te donnent de l’argent en espérant devenir champions mais cela n’est pas automatique.  »

De Mos au Standaard en 2003 :  » Je suis le 65e entraîneur d’Al Hilal en 15 ans. On ne peut pas perdre, c’est une insulte là-bas. Si un prince remercie son entraîneur et que son équipe gagne la semaine suivante, d’autres princes suivront son exemple. Ils copient tout du prince qui a connu le succès en dernier.  »

 » Quand le muezzin chante, tout le monde se taille « 

Quel est le niveau des joueurs ? De Mos :  » Ils jouent techniquement très bien au football, un peu à la brésilienne, mais j’ai été étonné de leur manque de condition physique. Ils doivent prier cinq fois par jour, peu importe où l’on se trouve à ce moment-là, à la mi-temps d’un match ou à l’aéroport. « 

Sef Vergoossen :  » J’ai demandé si je devais tenir compte des heures de prière dans la mise sur pied de mes schémas d’entraînement. Non, m’a-t-on assuré, c’est toi qui décides. Ce ne fut vraiment pas le cas : en une fois tout le monde est parti et tu te retrouves tout seul avec ton schéma.  »

Boskamp :  » Lorsque le muezzin se met à chanter, tout le monde quitte le terrain d’entraînement pour prier. Après deux ou trois jours, nous avons résolu la chose en prévoyant les sessions entre les heures de prière. Pendant le ramadan, nous ne nous entraînions qu’à 22 h 30 parce qu’ils venaient à peine de pouvoir manger. Il faut être souple dans ces choses-là si l’on accepte le challenge.  »

De Mos :  » S’entraîner par exemple à six heures du matin ou tard le soir pour éviter la chaleur. Il y a beaucoup de talent, parce que je voyais les mêmes scènes de rue à Riyad qu’à Sao Paulo : des jeunes enfants qui jouent dans des rues étroites et cabossées. Mais tactiquement les Saoudiens ont du retard à rattraper et il leur manque la mentalité des Brésiliens qui sont des gagneurs et qui veulent toujours être champions. Les Saoudiens pêchent par facilité et n’ont pas l’habitude de travailler dur, ce qu’ils laissent volontiers aux travailleurs étrangers. Ils connaissent trop la prospérité et cela se voit dans leur football. Dans la vie courante, il y a une hiérarchie très forte, basée sur la croyance et la dictature. Cette hiérarchie se prolonge dans le sport. Les joueurs plus anciens donnent le ton, définissent même la composition d’équipe et la tactique. On choisit sur base des noms et non pas de l’équilibre de l’équipe. « 

Boskamp :  » Le plus gros point faible du foot au Moyen-Orient, ce sont les gardiens. Personne ne veut occuper ce poste. Les gars veulent s’amuser, essayer les gestes techniques les plus fous. Beaucoup d’individualités mais peu de combinaisons. Je comprends, il y fait si chaud… Ils détestent d’ailleurs courir.  »

Vergoossen :  » En Europe, on a l’habitude d’aller promener après le petit-déjeuner. Dans le monde arabe, s’il y a une chose à ne pas faire, c’est la promenade. Ils détestent le soleil. Après quelques mois, un joueur était venu me trouver pour me demander prudemment : -C oach, lorsqu’il pleuvait aux Pays-Bas est-ce que vous alliez aussi promener ? Non ? Alors pourquoi devrions-nous le faire en plein soleil ? Après nous sommes allés au centre commercial, ce qu’ils trouvent fantastique. A part quelques exceptions il n’y a pas de footballeurs professionnels en Arabie saoudite. Ils vivent mentalement au niveau de notre D3. Leur première question consiste à demander si tu as un job pour eux. De préférence un boulot avec une connexion au cheikh, à la police ou à l’armée. Celui qui a un tel job et est bien payé par le club et reçoit des primes qui peuvent aller jusqu’à 10 à 12.000 euros par mois. C’est beaucoup d’argent, surtout lorsque l’on sait que la vie là-bas coûte moitié moins qu’en Europe.  »

Boskamp :  » Je recevais environ 50.000 euros par mois à Dubaï ; même un peu plus. La seule chose que je devais payer, c’était le téléphone et l’essence. Je m’étais initialement plaint pour cette dernière dépense, mais je ne savais pas que le pétrole y était si bon marché. Lorsqu’il était temps de vous payer, ils arrivaient avec une mallette pleine d’argent. Et c’est là que réside l’essence de toute l’histoire. Quoi qu’ils en disent, tous les entraîneurs et les joueurs ne vont là-bas que pour une seule raison : cette mallette.  »

par peter t’kint

Je recevais environ 50.000 euros par mois à Dubaï ; même un peu plus.

(Boskamp)

J’ai été le 65e entraîneur d’Al Hilal en 15 ans.

(Aad de Mos)

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