Golden 60

L’ancien gardien légendaire des Diables Rouges est sexagénaire aujourd’hui. C’est le moment de rappeler son enfance dans une roulotte, son labeur, sa carrière et son éternel désir d’attention.

Avant tout, une mise au point : il ne s’agit pas du nième article à sensation sur Jean-Marie Pfaff. Nous n’évoquons donc pas la série De Pfaffs, même si plus d’un million de personnes se sont régalées dudit feuilleton pendant onze ans. Nous dribblons également ses mandats de dirigeant. Directeur général du FC Turnhout (D2), il a proclamé qu’il allait faire du club campinois le  » Bayern de Belgique « . Turnhout n’a pas obtenu sa licence et Jean-Marie est parti après avoir signé un contrat de sponsoring avec le RWDM de son ami brasseur TheoMaes.

Il estimait un cumul possible,  » les politiciens et les hommes d’affaires le font bien  » mais Turnhout n’était pas de cet avis. Il est devenu directeur commercial du stade Edmond Machtens.  » Il arrivait à sept heures du matin et travaillait toujours à dix heures du soir « , nous dit-on. Mais le club n’a pas obtenu sa licence non plus. Nous passons également ses pas difficiles dans le monde des affaires.

Idem pour sa carrière d’entraîneur : il a brièvement entraîné Zottegem (P1) en 1993. Puis aucun club jusqu’au 28 octobre 1998. Ostende vient de renvoyer Dennis van Wijk et l’après-midi, Jean-Marie Pffaf débarque. Le scepticisme domine mais Pfaff, revêtu d’une chemise bordée de publicité, rayonne de fierté : il reçoit enfin une vraie chance.

Il déborde de motivation mais son éternel besoin de reconnaissance lui joue des tours, de même qu’un bagage tactique limité, des préparations de match étranges et des entraînements dénués de bases scientifiques… Johnny Nierinck confie à nos colonnes, en février 1999 :  » Chaque joueur a dû cocher oui ou non à la question de savoir s’il voulait continuer à travailler avec Pfaff.  » Le résultat était calamiteux : 18-0 !

Eddy Vergeylen, l’ancien président ostendais, a récemment avoué pourquoi il l’avait recruté comme entraîneur : le club voulait plus de publicité.  » Qu’avions-nous à perdre ? Il gagnait 1.000 euros par mois plus les frais et les primes. Jean-Marie ne cessait de surgir de son dug-out mais c’était surtout parce que Marc Coucke lui versait une prime chaque fois qu’on voyait le logo de Bodysol. Parfois, il le montrait 50 fois par match.  » Jean-Marie, victime de sa naïveté, a écorné à tout jamais son image.

Prêt à tout pour réussir

Moi, Jean-Marie Pfaff. Au terme de sa carrière de joueur, on ne l’a plus pris au sérieux. Urbain Braems intervient :  » Heureusement, j’ai connu l’homme et le gardien.  » C’est d’eux que nous voulons parler. D’un gamin qui, quatre jours après son douzième anniversaire, a promis à son père mourant  » de faire de son mieux pour devenir un bon gardien.  »

Les Pfaff, dans les années 60, c’est une tribu de six garçons et d’autant de filles. Un enfant naît partout où s’arrête la caravane : à Haasdonk, à Beveren… ou, le 4 décembre 1953, à Lebbeke, où le père, Honoré Pfaff, part à la recherche d’une sage-femme, pour la naissance de Jean-Marie.

La famille vit dans un convoi de quatre roulottes et vit de la vente en porte-à-porte de tapis. Elle ne connaît pas le luxe, sans être pauvre.  » Le bonheur est ce qu’on en fait et nous étions heureux avec ce que nous avions « , déclare Pfaff dans son autobiographie.

La famille s’installe à Beveren, toujours en caravane, non loin du terrain où Pfaff passe son temps libre. Deux sacs font office de poteaux et Jean-Marie est déjà gardien.  » C’était ma place. Les autres préféraient marquer.  » Les six Pfaff jouent. Jean-Marie a déjà le sens du commerce : il intercepte un penalty en échange d’une glace, il cueille des fraises, va chanter  » Douce nuit, sainte nuit  » de porte en porte, avant la Noël. L’argent récolté lui permet d’acheter ses premiers gants et ses premières chaussures de football.

Mai 1965. Wilfried Van Moer, qui joue souvent avec les Pfaff, quitte Beveren pour l’Antwerp. La direction convoite Jean-Baptiste Pfaff, qui joue avec son frère Louis en équipe première d’Alost. Le père demande 500 euros pour signer. Beveren accepte, à condition qu’Antoon et Jean-Marie, âgé de onze ans et refusé par Alost, soient également affiliés.

Un an plus tard, le destin frappe. Le père est atteint du cancer et perd la bataille. Jean-Marie, petit et rondouillard, est surnommé fatty à l’école. Les moqueries le blessent mais le stimulent aussi. Il s’entraîne comme un forcené puis, à treize ans, il s’adresse à Guy Thys, l’entraîneur qui a mené Beveren en D1 en 1967.  » Monsieur, pourriez-vous m’entraîner quelques minutes ?  » Des années plus tard, Thys s’en souvient :  » Il prenait bien le ballon mais ce qui m’a frappé, c’est qu’il était prêt à tous les sacrifices pour réussir.  »

Un gardien en or

Il est déjà un phénomène. Il s’éclipse à dix minutes du terme de chaque match au Freethiel pour rejoindre les supporters. Antoon tire, Jean-Marie plonge d’un poteau à l’autre.  » Parfois, ils étaient des centaines à m’applaudir. J’adorais voir tous les regards tournés vers moi.  »

A 14 ans, JMP quitte l’école et s’engage comme technicien de surface dans une usine. Il est sélectionné en UEFA nationaux. Raymond Goethals l’observe de la touche, dubitatif :  » Il ne sait pas cueillir le ballon ni dégager, il n’a aucune carrure.  » Jean-Marie comprend qu’il doit travailler sa prise de balle, sa relance et son gabarit.

9 avril 1972. La vie sourit au gardien de 19 ans, qui a fait la connaissance de Carmen. Le matin, il passe un examen à la Régie des Postes et l’après-midi, il effectue ses grands débuts en équipe première, à Schaerbeek. Beveren ne peut éviter la relégation. L’entraîneur suivant, Rik Matthys, préfère Pfaff à Luka Poklepovic. En juin 1973, Beveren retrouve l’élite.

Jean-Marie part en voyage de noces avec Carmen en Autriche, accompagné du médian Johan Coninx et de son épouse. Celui-ci confie :  » Après un jour, il en avait marre. Il voulait rentrer et s’entraîner.  »

Pfaff travaille alors à Anvers X tandis que Carmen monnaie son nom dans son magasin de sport à Beveren. L’arrivée d’Urbain Braems propulse Pfaff à un niveau plus élevé.  » Monsieur Braems a dit qu’il comptait sur moi et que, si je lui obéissais, je deviendrais le successeur de Christian Piot en équipe nationale.  »

Braems l’emmène dans les dunes de Knokke et au hall sportif de Zottegem. Il le fait suer. Jean-Marie effectue ses débuts en équipe nationale en mai 1976. La Belgique s’incline 1-2 face aux Pays-Bas mais le ballon du match et le maillot de Johan Cruyff adoucissent la peine de Pfaff.  » Il suivait un rituel « , explique Braems.  » Il prenait un bout de papier de son portefeuille et se détournait pour le contempler. On m’a dit que c’était la photo mortuaire de son père.  »

Beveren mûrit aussi. Il enlève la Coupe de Belgique 1978 et signe une mémorable campagne européenne qui le mène en demi-finales, face à Barcelone. Beveren est aussi en route vers son premier titre et Pfaff reçoit le Soulier d’Or.

Une popularité qui agace

Pfaff bat le fer tant qu’il est chaud : un spot publicitaire pour l’huile de friture Resi, une séance de dédicaces avec… Muhammad Ali… Sa popularité agace ses coéquipiers, comme le fait qu’il ne sort pas avec eux :  » Carmen l’oblige à rentrer à dix heures…  »

Janvier 1981. Jean-Marie Pfaff est suspendu pour six mois, le juge de ligne René Thirion l’accusant de lui avoir donné un coup de genou. Pfaff crie son innocence, en vain. Le Bayern s’intéresse à lui. Pfaff, dans sa biographie :  » Carmen m’a dit que j’étais le meilleur de l’équipe mais aussi le moins bien payé. Je ne touchais que 1.860 euros par mois. Elle avait raison. J’ai signé.  »

A 28 ans, le voilà engagé pour trois ans par le Bayern. Au Mondial espagnol, la Belgique bat l’Argentine. Le conte de fées semble parfait mais JMP est confronté à une série de conflits en Espagne. Après sa première leçon de natation, il hurle avoir failli se noyer et suscite l’hilarité mais l’ambiance s’altère quand, face à la Hongrie, il heurte Eric Gerets et lui occasionne une commotion cérébrale.

Pfaff l’accompagne à l’hôpital pour faire examiner son épaule et… distribue des autographes. Il raconte aussi que René Verheyen a invité sa femme dans sa chambre. Ambiance.

Eté 1982. Jean-Marie entame un nouveau chapitre de sa vie à Unterhaching, une banlieue chic de Munich. On lui propose l’armoire 24 mais il veut la numéro un, avec ses initiales : JMP. Il touche un salaire royal de 375.000 euros par an, en plus d’une villa, d’une Jaguar et d’un véhicule plus petit pour Carmen.

Pfaff rate son départ, sur le terrain. Il se fait piéger par Klaus Augenthaler, du Werder Brême. C’est 1-0 et les journalistes belges, qui avaient prédit un retour endéans les trois mois, en remettent une couche : ils lui accordent deux semaines.

Après avoir intercepté un penalty dans la dernière minute de jeu, contre le HSV, il accorde sa première interview en  » allemand « . Les Belges rigolent de son accent mais l’Allemagne est à ses pieds : il y inaugure des boutiques, fait de la pub pour des pizzas, la Bayerische Landesbank, des lunettes, des portes… Carmen expliquera plus tard que ses activités commerciales lui rapportaient autant que le Bayern.

Meilleur gardien du monde

Jean-Marie Pfaff est élu meilleur étranger de Bundesliga puis enregistre avec Fenna un single,  » Wir zwei « , qui reçoit le disque d’or en Allemagne. Bild bat ses records de vente quand il titre :  » Les cinq femmes de Jean-Marie Pfaff « . Sur la photo, Carmen, ses trois filles et Targa, sa… chienne.

L’affaire Bellemans a décapité l’équipe nationale et l’EURO français est une catastrophe mais le Bayern, entraîné par Udo Lattek de 1983 à 1987, remporte trois titres et deux Coupes. Pfaff se distingue aux tirs au but contre le PAOK Salonique, en Coupe d’Europe. Il intercepte deux envois avant de marquer lui-même, à 8-8. Jean-Marie est le roi de Munich.

Pfaff est incontournable jusqu’à son opération à l’aine. Ensuite, il est impliqué dans un accident de la circulation qui s’avère fatal à une nonne. Il est acquitté mais l’accident a profondément marqué le gardien, très croyant. Il en parlera au pape Jean-Paul II, auquel il offrira aussi son disque d’or, avant d’apparaître au balcon pour faire signe à Carmen, présente sur la place Saint-Pierre…

Mexico 1986. Pfaff est plus motivé que jamais, d’autant qu’Uli Hoeness lui a dit que Raimond Aumann allait devenir le numéro un du Bayern. Placés dans la poule du Mexique, du Paraguay et de l’Irak, les Diables Rouges se qualifient de justesse pour les huitièmes de finale puis ils s’imposent face à l’URSS et à l’Espagne. Pfaff conquiert les coeurs de la presse internationale.

À l’issue du tournoi, El Sympatico est élu Meilleur Gardien du Monde. Il apprend qu’un seul journaliste belge a voté pour lui.  » Quand je parle du respect de mes compatriotes, je pense surtout aux supporters.  » Quand les Diables font leur apparition au balcon de l’hôtel de ville de Bruxelles, des milliers de personnes scandent son nom. Il lève le pouce.

L’incroyable popularité de Pfaff contraste avec le scepticisme de ses collègues belges et il ne fait rien pour arranger les choses. Ainsi dit-il de Franky Van der Elst :  » Quand il contrôle le ballon de la poitrine, son dossard tombe.  »

La concurrence fait rage au Bayern mais Pfaff enlève le titre pour la troisième fois d’affilée en 1987 avant d’être battu par Porto, en finale de la Coupe des Clubs Champions : d’une talonnade, Rabah Madjer inscrit le but de la victoire 2-1. Il reste encore un an à Munich.  » La direction voulait que je reste plus longtemps mais Theo Maes, le sponsor du Lierse, m’a offert un poste de PR dans sa brasserie, jusqu’à l’âge de la pension.  »

Vénéré comme un dieu en Turquie

Malheureusement, la Belgique est lasse de son héros. Il n’a plus de place en équipe nationale et il est hué match après match sous le maillot du Lierse. Surtout, il est trop présent. Il insiste pour qu’on organise deux entraînements par jour et qu’on adapte les menus des joueurs.  » Je veux montrer comment un professionnel doit vivre.  »

Son séjour au Lisp se limite à une saison et il semble en fin de carrière mais pendant ses vacances, Trabzonspor lui soumet une offre.  » J’étais au Rwanda, à l’invitation du président HabimaniHabyarimana et du consul.  » A 35 ans, il signe un contrat de deux saisons.

Son aventure sur les rives de la mer Noire est courte mais animée : 15.000 personnes l’accueillent. Le même jour, le président Turgut Özal est en visite dans la ville et le lendemain, la photo des deux hommes est dans tous les journaux. Celle de Jean-Marie est aussi grande que celle du président.

Quand Senol Günes est limogé, le club demande l’avis de Pfaff. Urbain Braems débarque en Turquie et dispute la finale de la Coupe. Lui, le capitaine, est adulé pendant une saison. Pour la dernière fois de sa vie, Jean-Marie est un dieu.?

PAR CHRIS TETAERT

A douze ans, il a promis à son père mourant qu’il ferait de son mieux pour devenir un bon gardien.

A la question de savoir si les joueurs ostendais voulaient continuer avec lui comme coach, en 1998-99, le résultat est cinglant : 0 pour, 18 contre.

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