GOL VERDE

Réflexions et aventures pendant nos déplacements au Brésil.

Lundi 30 juin

Vol vers Salvador. Rendez-vous avec les Diables Rouges. A l’aéroport, nous rencontrons Bruce, un photographe américain. Nous avons déjà fait un trajet en bus ensemble, à Recife, sous la drache. Bruce est du genre plaintif. Il en a marre, il veut rentrer chez lui. L’homme se fiche du football et sa femme lui manque. Toutefois, il est bien obligé de suivre un peu le football européen. USA Today, son journal, veut des clichés des stars. Il nous interroge sur notre équipe, demande où les footballeurs jouent. Nous parcourons la liste. Manchester United, Manchester City, Chelsea, Atletico Madrid, Naples, Tottenham, Liverpool… A chaque nom, son sourire s’élargit : il sera bientôt à la maison.

Dans l’avion, nous sommes assis à côté de Chelsea. Une cascade de paroles. Elle joue au football. Difficile de faire autrement avec un nom pareil. Sa mère a également joué. Elle supporte Alexi Lalas. Le héros de la World Cup 1994 est devenu un commentateur TV apprécié. Chelsea va assister à la finale. Le billet lui a coûté 900 dollars. Une jeune Allemande qui avait réussi à acheter trois billets sur le site de la FIFA le lui a revendu.

Pour réduire le coût du voyage, elle dort chez des familles. C’est la première fois qu’elle quitte les States et elle veut continuer à voyager. Elle n’a eu qu’un accroc : les étudiants qui devaient l’accueillir étaient en vadrouille, injoignables, et elle n’avait pas la clef. Elle a dormi devant la porte, en pleine rue.

Nous avons aussi croisé quelques Colombiens en route vers Fortaleza. Ils cherchent désespérément des billets pour les quarts de finale. Le lendemain, nous découvrons dans le journal les prix du marché noir. Un billet au quatrième rang – les plus mauvaises places – coûte officiellement 36 euros. En noir, 660 euros. Mais le bonhomme exagère car un autre Colombien a eu plus de chance : il a trouvé un billet de premier rang, ce qu’on fait de mieux, pour seulement 500 euros. Le vendeur ? Un Uruguayen. Ou comment financer son voyage…

La veille du match des Diables Rouges, la salle de presse est comble pour écouter Marc Wilmots et Axel Witsel. C’est une conférence tranquille. Une seule personne tente d’aborder l’angle politique, qui intéresse beaucoup la presse étrangère. Quel effet cela fait-il de savoir deux régions derrière soi ? Wilmots est piqué au vif :  » Sommes-nous en guerre ? Ai-je raté un chapitre ?  »

Mardi 1 juillet

Des arbres pour les buts. Salvador a compris qu’il valait mieux y réfléchir à deux fois avant de faire des promesses. Dans un moment de distraction, la ville a promis de planter 1.111 arbres par but marqué à l’Arena Fonte Nova. Le chiffre ne relève pas du hasard : c’est le nombre requis pour recouvrir un terrain de football. Les arbres doivent être plantés au Sud de Bahia, une région forestière qui n’occupe plus que 8 % de sa surface originelle.

Le gol verde, du nom du projet, ressemble à un but contre. Reprenons la liste des matches de Salvador : Pays-Bas-Espagne 5-1, Allemagne-Portugal 4-0, France-Suisse 5-2, Bosnie Herzégovine-Iran 3-1. Heureusement que les Américains avaient Tim Howard, sinon les Belges auraient ajouté quelques longueurs de terrain. Gol verde cherche maintenant des sponsors disposés à payer les arbres. Les équipes nationales sont les bienvenues aussi…

Le match des Belges est héroïque. Les Diables livrent sans doute, à cette occasion, leur meilleure rencontre depuis le huitième de finale face à l’Angleterre à Bologne lors du Mondial 1990. Ce jour-là, les fans belges étaient nombreux mais les Anglais l’étaient davantage encore. Ce coup-ci, c’est pareil : nos représentants peuvent compter sur un beau soutien vocal mais que dire alors des Américains, qui ont vraiment pris d’assaut l’arène. On évoque souvent la présence massive d’Argentins au Brésil, mais les Américains ne demeurent pas en reste. Au nombre de tickets achetés, ils devancent d’ailleurs les Argentins qui, au début du tournoi, s’étaient procurés 61.000 sésames.

Il est faux de prétendre aussi que le soccer, aux States, n’est réservé qu’aux femmes et aux Latinos. Car parmi les supporters rencontrés, nous avons entendu parler nettement plus l’anglais que l’espagnol. D’après des nouvelles de Wall Street, il semble que la vente des actions diminue de 10 % lorsque les Etats-Unis disputent un match. C’est la preuve que les analystes n’ont pas que le regard braqué sur la fluctuation des cours. Un journaliste américain que nous avons rencontré en est sûr à présent : pour peu que la Major League Soccer attire encore quelques noms ronflants, le championnat américain va encore se bonifier tant et plus. Et, par là même, l’équipe nationale aussi. En 2006, nous avions eu la chance d’assister, en Allemagne, au match entre les Etats-Unis et le Ghana lors des poules. Ce jour-là, les Africains s’étaient imposés 2-1 face à Oguchi Onyewu et les siens et il n’y avait pas vraiment eu photo entre les deux équipes. Au Brésil, les Américains ont savouré une belle revanche, en s’imposant d’emblée 2-1 devant le même adversaire. Preuve s’il en est que le football américain a bel et bien progressé, dans l’intervalle, contre une équipe africaine toujours aussi solide.

En matière de nouvelles têtes, du beau linge s’annonce, en tout cas, en MLS. Il y a là David Villa, qui fera peut-être d’abord l’objet d’un prêt en Australie, mais aussi Kaka, annoncé après un détour par Sao Paulo. David Beckham, qu’on ne présente évidemment plus, a dans l’idée de mettre une équipe sur pied en Floride. Un club qui ne fera pas seulement la part belle aux hispanophiles mais aussi aux lusophones car Miami compte pas mal de Brésiliens immigrés. Avec, à leur tête, un certain Ricardo Teixeira, gendre de Joao Havelange, ancien président de la FIFA, qui a été à la tête de la fédération brésilienne de football pendant 20 ans. Un homme corrompu jusqu’à la moelle mais qui profite de la Coupe du Monde pour faire la noce à Rio, entouré de jeunes femmes plus belles les unes que les autres.

Mercredi 2 juillet

L’image que la presse internationale ne publie pas (croyons-nous) : les inondations au Sud du Brésil. Les photos de Rio Grande do Sul, l’Etat de FelipeScolari, sont impressionnantes. Trois jours de pluies torrentielles ont tout dévasté. En cause, un phénomène naturel étrange : El Nino. Le Sud est sous eau, le reste du Brésil est victime de sécheresse. Si ça continue, les réserves d’eau seront épuisées en 2015.

Bahia est à la fête. Pour un mercredi, nous trouvions qu’il y avait beaucoup de monde sur la plage : en fait, aujourd’hui, Bahia fête son indépendance. Le 2 juillet 1823, les derniers occupants portugais ont été vaincus. Les citoyens de Bahia ont donc congé aujourd’hui, comme vendredi, puisque le Brésil joue. Ce n’est pas un hasard si les gens du Sud trouvent que ceux du Nord passent leur vie à jouer au foot sur la plage…

Jeudi 3 juillet

Le Brésil a perdu le sourire. La tension est palpable. Pauvre Thiago Silva. En larmes après les tirs au but contre le Chili, il s’est écarté. C’est Paulinho qui a assumé le boulot d’un capitaine, en motivant tout le monde. Le capitaine n’a pas voulu botter de penalty. La presse et le peuple le prennent en chasse. Sur le temps de midi, nous allons nous dérouiller les jambes -impossible d’ouvrir la fenêtre de notre chambre – et nous avons besoin d’air. Un homme armé d’un micro et d’une caméra nous aborde. C’est TV Globo. Que pensons-nous de la sécurité ? Elle est en amélioration depuis le début de la Coupe du Monde. Il y a moins d’agressions. C’est logique, vu la présence policière. Serait-ce possible après le 13 juillet, s’enquiert le journaliste ? Nous doutons que ce soit payable. Salvador déploie 3.500 agents par journée de match.

Vendredi 4 juillet

Le Mondial et ses effets secondaires. La Colombie est devenue folle, disent des supporters installés dans notre hôtel. Les fêtes ont déjà fait 17 morts et le gouvernement a pris des mesures draconiennes. Désormais, les sprays de mousse, souvent employés pour fêter une victoire, sont interdits. La lei seca est en vigueur de vendredi 10 heures à samedi 22 heures. Interdiction de vendre de l’alcool pendant cette période. Les autorités espèrent limiter l’ivresse. JoséPekerman, le sélectionneur argentin de la Colombie, a atteint une telle cote de popularité qu’il a obtenu 400.000 voix de préférence aux dernières élections présidentielles. Et il n’était même pas candidat.

Les joueurs du Costa Rica, eux, demandent à leurs fans de limiter la violence conjugale. La combinaison d’alcool et de joie aurait entraîné de fâcheux incidents domestiques. 300 plaintes par match !

Ici aussi, football et alcool constituent un item. La loi football du Brésil interdit de proposer de l’alcool pendant les matches. La bière vendue est dépourvue d’alcool. Or, Budweiser est sponsor de la FIFA. Donc, la règle ne compte pas. La police est fâchée mais impuissante.

Datafolha publie presque tous les jours les résultats d’un sondage. Le Mondial est bon pour l’humeur des Brésiliens, qui soutiennent à nouveau la présidente Dilma Rousseff. Ça confirme la tendance selon laquelle une Coupe du Monde est positive pour le pouvoir en place.

Samedi 5 juillet

Le Copacabana Palace Hotel de Rio est en émoi. C’est un des hôtels les plus chics de Rio, avec vue sur la plage. La police a effectué des perquisitions et interrogé les responsables. On a découvert un sérieux trafic de billets. Le réseau serait en place depuis plusieurs tournois. Un certain Mohamadou Fofana, un Français d’origine algérienne, en serait la plaque tournante. L’homme nie tout, par la voix de son avocat. Il aurait des liens avec les plus hauts milieux, avec la Fédération de football du Brésil et avec la FIFA. C’est ainsi que l’homme s’est procuré des billets qu’il revend sur le marché noir avec un gros profit. Les enquêteurs affirment qu’un Suisse haut placé à la FIFA est impliqué mais ils ne citent pas encore de noms. Fofana et dix autres sont arrêtés dans le cadre de l’Opération Jules Rimet. Andrew Jennings ne s’en émeut certainement pas, lui qui affirme noir sur blanc, dans son livre, que de telles pratiques sont courantes.

Dimanche 6 juillet

Avant-dernier déplacement du tournoi, de Salvador à Sao Paulo. La réceptionniste nous demande si nous ne sommes pas envahis par la saudade, après toutes ces semaines. Elle ne parle pas de mal du pays, c’est plus profond que ça. Elle explique :  » C’est le sentiment qu’a une mère en rangeant la chambre de son fils mort.  » Elle a dû le faire, il y a cinq ans. Le fiston a déraillé et a été abattu. Une larme pointe…

PAR PETER T’KINT À SALVADOR ET À SAO PAULO- PHOTOS: BELGAIMAGE

Pour financer leur voyage, certains fans sud-américains vendent leur surplus de places au noir.

Bahia donne congé à ses citoyens pour fêter son indépendance, puis pour célébrer la victoire du Brésil.

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