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GERMANATOR

On s’est moqué de lui lorsqu’il a débuté en NBA en 1998 : 2m13, certes, mais beaucoup trop soft. 19 ans plus tard, Dirk Nowitzki (38 ans) s’apprête à franchir le cap des 30.000 points inscrits. Il est seulement le sixième joueur de l’histoire à réussir cet exploit. Et son style de jeu a révolutionné le basket américain.

Jetons un oeil dans notre boule de cristal. Nous sommes début avril 2018, dernier match de la saison régulière en NBA. Les Dallas Mavericks n’ont plus rien à perdre ni à gagner. Ils sont, depuis longtemps, éliminés de la course aux play-offs. Pourtant, l’American Airlines Arena affiche de nouveau soldout, pour la 745e fois ( ! ) d’affilée. Une série qui a été entamée en décembre 2001, lorsque Dirk Nowitzki s’est érigé en nouvelle vedette de l’équipe texane. 17 ans plus tard, il joue son tout dernier match de NBA – le 1443e – à domicile. Après 23 minutes sur le parquet, qui lui ont permis d’inscrire 16 points, le coach Rick Carlisle le rappelle sur le banc, afin qu’il puisse jouir d’une standingovation.

On assiste alors à une scène complètement folle. Au lieu des applaudissements traditionnels, les 20.000 supporters de Dallas tournent le dos au terrain et font un pas en arrière, avec la jambe gauche au sol et la jambe droite en l’air. Ils font semblant de shooter, en mimant le mouvement du poignet. Un ultime hommage à Nowitzki, le meilleur Maverick de tous les temps, dont le signature move est devenu aussi connu que le célèbre jumpshot de Michael Jordan, le dreamshake d’Hakeem Olajuwon ou le skyhook de Kareem-Abdul Jabbar.

Des mouvements que beaucoup de joueurs ont essayé de copier. Les vedettes actuelles, comme Kevin Durant, LeBron James, Russell Westbrook ou Kristaps Porzingis, se sont également approprié le Dirk Shot. En 2016, le Wall Street Journal y a même consacré un large article, intitulé  » The Most Stolen Move in the NBA.  »

Davantage encore que son impressionnant palmarès (voirencadré), c’est un immense compliment qui est adressé à Nowitzki. Même s’il reconnaît lui-même – preuve de son humilité – que ce mouvement n’est pas particulièrement difficile à réaliser.  » Quiconque possède un bon équilibre et un bon toucher de balle peut le réussir.  » L’Allemand ne l’a tenté pour la première fois en match qu’en 2009, alors qu’il avait déjà 30 ans. Sans s’y être beaucoup entraîné. Mais il a marqué et, ensuite, il a perfectionné le mouvement.

DU TENNIS AU BASKET

Curieusement, ce mouvement ne lui a pas été enseigné par son maître, Holger Geschwindner, dont il a croisé la route à 15 ans, après un match disputé avec son club du DJK Würzburg. Avant ça, ce fils d’un handballeur professionnel et d’une joueuse de basket professionnelle avait pratiqué le tennis, mais il en avait marre de subir les moqueries que lui valaient sa grande taille et s’est tourné vers le basket, pour le plaisir. Jusqu’au jour où Geschwindner l’a convaincu de son talent. Il lui a proposé de lui dispenser des entraînements individuels, deux ou trois fois par semaine. Lorsqu’il a parlé de cette rencontre à ses parents, il a eu du mal à prononcer le nom de  » ce gars un peu fou « . Heureusement, eux savaient qui était Geschwindner : l’ancien capitaine de l’équipe nationale allemande.

L’adolescent a répondu favorablement à la proposition, sans se douter des méthodes peu conventionnelles qu’allait utiliser Geschwindner pour faire de lui une version européenne de Larry Bird, le légendaire Américain blanc des Boston Celtics, réputé pour son tir meurtrier. Bird mesurait 2m06, Nowitzki affichera encore 7 centimètres de plus sous la toise.

Geschwindner savait que, s’il parvenait à faire shooter Nowitzki comme Larry Bird et comme d’autres ailiers généralement beaucoup plus petits, son poulain deviendrait inarrêtable. Il s’est donc focalisé sur la technique de shoot. La musculation et la tactique étaient accessoires, en ce qui le concerne.

SHOOT ARC-EN-CIEL

Les diplômes en éducation physique et en mathématiques du professeur lui ont été utiles, dans ce cas. Geschwindner utilise des différentiels et des intégrales pour déterminer la trajectoire exacte que doit épouser le shoot parfait. Celui de Nowitzki était, selon lui, trop plat, et il a donc demandé à son poulain de s’exercer à tirer de manière conventionnelle, mais également depuis l’arrière du panneau, afin que le ballon doive passer par-dessus pour tomber dans l’anneau.

Un shoot arc-en-ciel, qui débouche sur un release plus haut – le point où la main lâche le ballon – et qui permettra à l’Allemand d’inscrire des milliers de points en NBA en faisant passer le cuir par-dessus les bras de ses défenseurs. Ce n’est pas le seul drill un peu curieux que Hotsch – le diminutif utilisé par Nowitzki – a proposé à son élève. Selon Geschwindner, le meilleur exercice de tir s’effectue… sans ballon, par de simples mouvements des doigts.

Nowitzki s’entraînera également de façon répétitive au travail des pieds, essentiel pour permettre aux shooteurs de se créer de l’espace et qui constituera la base du Dirk Shot, ce petit pas vers l’arrière que Nowitzki développera plus tard. Pour faire oublier au joueur le caractère répétitif des exercices, Geschwindner demandera même à un ami musicien de venir jouer du saxophone pendant les entraînements. Parce que, selon lui, le basket est une danse, davantage qu’une série de mouvements automatiques.

SUS À LA NBA

Après un an de cours, les progrès de Nowitzki sont fulgurants. Au point que Geschwindner le place devant un choix :  » C’est à toi de décider : veux-tu affronter les meilleurs joueurs du monde ou rester un héros local en Allemagne ? Si tu optes pour la deuxième proposition, on peut arrêter les cours dès aujourd’hui : tu es déjà assez fort. Mais si tu optes pour la première, tu devras encore t’entraîner tous les jours.  » Après quelques jours de réflexion, la décision de Nowitzki est prise : il visera le sommet, la NBA. Il a alors 16 ans.

À partir de là, tout s’enchaînera à la vitesse de l’éclair. Malgré son jeune âge, il devient la vedette du DJK Würzburg, un club de 2e Bundesliga Sud. Le sélectionneur national Dirk Bauermann (qui a coaché Ostende en son temps) le décrit comme  » le plus grand talent que l’Allemagne ait connu « .

Nowitzki démontre aussi ses qualités aux Etats-Unis, où il participe au NikeHoopHeroesTour et en fait voir de toutes les couleurs à la vedette de NBA Charles Barkley. Celui-ci décrit Nowitzki comme  » un génie « . Un an plus tard, à 19 ans, l’Allemand se montre tout aussi impressionnant au NikeHoopSummit, où il affronte les plus grands talents américains.

Le père et le fils Don et Donnie Nelson, respectivement coach et manager général des Dallas Mavericks, sont sous le charme.  » Dirk pouvait shooter de toutes les positions, d’un mouvement pur et limpide. Du jamais vu pour un joueur de son âge « , a expliqué Don à la chaîne ESPN.

MAL DU PAYS

Après un échange avec Milwaukee, Dallas choisit Nowitzki en 9e position à la draft NBA de 1998. L’heureux élu n’est pas présent, et il ne peut même pas suivre la cérémonie à la télévision car elle n’est pas diffusée sur une chaîne allemande. Il n’en croit pas ses oreilles lorsqu’il reçoit un coup de téléphone de Don Nelson au milieu de la nuit. Le coach lui explique que lui et son fils Donnie viendront lui rendre visite en Allemagne sous peu.

Le German Wunderkind lui explique qu’il hésite encore à effectuer le grand pas qui sépare la deuxième division allemande de la NBA. Après tout, il n’a pas encore quitté le nid familial. Ce n’est qu’après la visite des Nelson père et fils, et une longue conversion avec Geschwindner, qu’il se risque à franchir le pas. Il se dit qu’à Dallas, une équipe jeune qui squatte les fonds de classement depuis des années, il n’a pas grand-chose à perdre.  » Si tu ne parviens pas à t’imposer, tu pourras toujours retourner en Europe « , insiste Nelson.

Au début, il apparaît que les craintes de Nowitzki étaient fondées. Durant la saison 1998/99 (écourtée pour cause de négociations salariales), il est confronté aux dures lois de la NBA. Il n’a que 20 ans, et à Dallas, il doit porter les sacs des joueurs chevronnés, et leur chercher des hamburgers. Sur le parquet, Nowitzki subit le trash talk et la puissance physique des valeurs établies.

Il ne faut guère de temps pour que ses détracteurs le considèrent comme un Européen un peu tendre et incapable de défendre. Sur le plan offensif – 8 points en moyenne – il ne marque pas davantage les esprits. L’Allemand a le mal du pays. Il se sent seul et désemparé. Au point que le coach Don Nelson doit déployer des trésors de diplomatie pour le convaincre de ne pas retourner à Würzburg.

COMME LARRY BIRD

Nelson continue à croire au potentiel de Nowitzki, d’autant qu’il ne ménage pas ses efforts et s’entraîne d’arrache-pied durant l’intersaison. Il s’adonne à des séances de tirs interminables avec le distributeur canadien Steve Nash.  » À l’époque, déjà, on pouvait s’apercevoir que Dirk deviendrait un cauchemar pour tous les défenseurs « , se souvient Nash. Et l’Allemand va le démontrer dès la saison suivante. Nowitzki est transfiguré lorsqu’il aborde la saison 1999/2000. Avec Nash, il forme un duo dynamique et il élève sa moyenne à 17,5 points.

Et, une saison plus tard encore, il éclate complètement. Avec 21,8 points et 9 rebonds par match, il permet aux Mavericks de se qualifier pour les play-offs pour la première fois depuis une décennie. Au premier tour, les Texans éliminent Utah à la surprise générale, avant de tomber en cinq manches face à San Antonio. Avec tous les honneurs et après un dernier match fabuleux de Nowitzki : 42 points et 18 rebonds, alors qu’il n’a que 22 ans.

Il a bel et bien franchi un cap, comme le confirme Geschwindner.  » À ce moment-là, j’en étais sûr : si nous respectons notre plan, Dirk deviendra une superstar, comme je l’avais prévu.  » C’est alors que fleurissent les premières comparaisons avec Larry Bird. Et elles s’accentuent encore plus lorsque Nowitzki se joue des Minnesota Timberwolves de Kevin Garnett lors des play-offs de la saison suivante, en 2001/02.

MVP

Nowitzki continue à se perfectionner sous la direction de Geschwindner, qui traverse l’Atlantique deux fois par saison. Et, chaque année, il ajoute une corde à son arc. En 2006, malgré le départ de Nash, il conduit Dallas, presque à lui seul, vers une première finale NBA contre le Miami Heat de Dwyane Wade et Shaquille O’Neal. Les Mavericks mènent 2-0, mais sont finalement battus 2-4. Une immense déception pour Nowitzki. Mais qui le motive à travailler encore plus dur.  » I’ll be back « , promet-il.

En 2006/07, il devient le cinquième joueur – après notamment Larry Bird et Steve Nash – à entrer dans le cercle très fermé des  » 50%-40%-90 %  » : les joueurs qui convertissent leurs tirs à deux points, à trois points et leurs lancers-francs à ce pourcentage-là. Et le premier de la liste qui culmine à plus de 2m10. Il est élu MVP de la saison régulière, mais ne parvient pas à remporter le titre de champion : Dallas est éliminé dès le premier tour par Golden State, un exploit retentissant.

Chacun en convient : désormais, il mérite une place parmi les meilleurs joueurs de tous les temps. Mais quelle place ? Le German Bomber a-t-il ouvert la voie à un nouveau type de joueurs NBA : des grands de 2m10 qui savent shooter, à l’image de Kevin Durant et d’Anthony Davis ?

Davantage que Kobe Bryant et Tim Duncan, qui sont de la même génération, Nowitzki a eu un réel impact sur l’évolution du basket américain. Et, même si son corps lui joue parfois des tours, il n’a toujours pas l’intention de raccrocher : à 38 ans, il a décidé de rempiler pour une saison supplémentaire. Ce n’est qu’en 2018 qu’il tirera sa révérence…

PAR JONAS CRETEUR – PHOTO GETTY

Charles Barkley décrit Dirk Nowitzki comme un génie.

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