Georgette et la SAINT-VALENTIN

Samedi, 14 février. Georgette ne se réveilla qu’à 10 h. Elle avait veillé tard sur Arte, à l’occasion d’une soirée consacrée à Buster Keaton. Voici 50 ans, l’acteur avait ému et fait rire l’adolescente qu’elle était, les quelques fois magiques où elle allait au cinéma. Elle se rappela avoir appris hier que Buster signifiait  » pitre  » en argot américain, vocable qui la ramena à Marcel et à sa dernière pitrerie.

Le week-end précédent, lors d’un déplacement capital de ses Scolaires à Vaux-lez-Vache, tous avaient respecté une minute de silence : Marcel l’avait sollicitée vu qu’un comitard de longue date, grand-père d’un de ses Scolaires, venait de décéder. Le hic fut que le curé de Vaux avait assisté au match, et ensuite conversé de Dieu par GSM avec Maurice, le curé de Noiseux-sur-Berwette. Lors de leur saint dialogue, le curé de Vaux évoqua le match donc le décès,… et Maurice se retint de blasphémer, tout en hurlant à l’autre bout du téléphone sans fil QUE PERSONNE N’éTAIT MORT à NOISEUX DEPUIS UN MOIS ! Ainsi fut découvert le pot aux roses. Marcel savait que, lors d’une minute de silence, les joueurs se tiennent quasi toujours au garde-à-vous dans les positions sur le terrain qu’ensuite ils occuperont. Le match était d’importance, Marcel avait donc INVENTé UN MORT pour, dès avant le coup d’envoi, décrypter à loisir le dispositif adverse ! Ceci tout en ayant pris soin, durant cette minute de recueillement, de disposer les siens de manière tout à fait fantaisiste…

« Y ou’re a buster ! « , pesta Georgette en anglais, en sortant du lit, et en regardant d’un £il méchant l’oreiller déserté d’à côté. Marcel était déjà parti au terrain où, comme chaque samedi, les matches d’équipes d’âge se succédaient dès 9 h 30. Pénétrant dans la cuisine, elle fut clouée sur place par l’énorme bouquet de roses rouges au milieu de la table. Il y avait un mot, et c’était bien la patte de mouche de son vieux conjoint : lequel ne prenait jamais la plume, sinon pour parfois contester les suspensions infligées à ses ouailles par le Comité Provincial ! Retranscrit sans les 18 fautes d’orthographe ou de syntaxe, voici ce que lut Georgette :

 » Chou,

C’est quand je suis complètement sobre que je me rends le mieux compte que je suis complètement con. Il est 6 h du matin, je suis sobre et j’ai ma calculette : je confesse, j’ai comptabilisé 12 inventions de morts comme celui de la semaine dernière. J’ai profité de la calculette pour faire le topo, c’est notre 44e Saint Valentin et je te demande pardon d’en avoir oublié 36 (en tout cas, je ne me souviens que de 8) : compte les roses, c’est pour ça qu’il y en a 36 ! Pardon aussi pour mes 118 exclusions depuis 1960. Même si ça ne fait qu’une moyenne d’un peu plus de 2 par an, ça n’a pas dû être rigolo pour toi : vu que tu étais spectatrice 101 fois sur ces 118, si mes souvenirs sont bons et mes calculs aussi. Nous avons passé 16.028 nuits dans le même lit et, 812 fois, c’est en revenant du foot que je m’y suis glissé trop tard et trop bourré : pardon encore, tu as eu mille fois raison de barricader 27 fois la porte d’entrée, et de m’obliger à dormir dans le poulailler. Je ne suis pas fier non plus des 16.028 petits déjeuners, je dois bien en avoir passé 8.014 le nez plongé dans les pages sportives du journal. Je n’ose pas calculer le temps passé au foot, ni devant la TV pour cause de foot, et j’avoue : je ne suis pas un mari idéal, malgré mes 358 buts en équipe Première pour Noiseux ! Mais les rares fois où j’arrive à réfléchir posément, j’en conclus que je t’aime plus que le foot, je te le jure. Passe à 14 h 30 au match des Scolaires, j’ai un truc à te montrer « .

Georgette passa. Les Scolaires avaient tous troqué leur vareuse habituelle contre une vareuse où un  » M  » et un  » G  » occupaient diagonalement un grand c£ur percé d’une flèche ! Ce n’était pas discret mais c’était touchant, Marcel avait la tendresse rarissime mais démonstrative.

 » Pas mal, vieux sot, ça mérite le pardon d’une quinzaine des 36 Saint Valentin oubliées. Il en reste donc une bonne vingtaine « , précisa-t-elle en l’embrassant.

par Bernard Jeunejean

 » Tu as eu 1.000 FOIS RAISON de m’obliger à dormir DANS LE POULAILLER « 

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