Georgette au cinéma

Outre Marcel réalisé, Georgette avait deux amours irréalisables. D’abord Paul VanHimst, de cinq ans son cadet, et ça en faisait 40 que Georgette se savait hélas trop vieille pour lui. Ensuite Steven Spielberg, encore un peu plus jeune que Polleke, dont elle avait vu tous les films depuis E.T. en 1982. L’histoire l’avait émue aux larmes et, chaque fois que Marcel s’extasiait sur Zidane ou Cie en criant « C’est un extraterrestre! « , Georgette repensait à E.T.et projetait de se repasser dès lelendemain la vidéo de son film-culte. Elle n’aurait donc manqué pour rien au monde Minority Report, le dernier opus de Spielberg, avec ce Tom Cruise encore plus mignon que Lizarazu.

Elle s’était rendue seule au cinéma, Marcel étant overdosé de boulot: il venait de recevoir le Panini 2003 et plusieurs centaines d’autocollants, qui portaient mal leur nom puisqu’il fallait quand même s’astreindre à les coller!

Georgette revint vers 23h, excitée comme une puce. Au contraire de Marcel, assis à la table de la salle à manger sage comme une image, et collant ses images comme un petit garçon.

« C’était un tout, tout bon Spielberg, Marcel! », décréta-t-elle en s’apprêtant à préciser.

« Hhmmrr », grognassa Marcel dérangé, et que ça irritait toujours quand elle commençait à faire sa cinéphile péteuse. Cela racontait quoi?

« Cela se passe à Washington en 2054. La police a trouvé le moyen d’arrêter les meurtriers AVANT même que les meurtres soient commis: grâce aux précogs, des espèces de voyants à demi-comateux, qui prévisualisent les meurtres sur écran! Tom Cruise repère les endroits, s’amène dans les baraques, arrête les criminels potentiels et les fiche en tôle: mais personne n’est mortet plus personne n’est tué ! Donc, l’assassinat n’existe plus… »

« Raconte pas tout le film, chou », bâilla Marcel en faisant bien comprendre qu’il n’en avait rien à cirer. Sinon, les lecteurs de Sport/Foot Magazine n’auront plus envie d’aller le voir…

« Ne méprise pas toujours ce qui m’a plu », s’irrita Georgette. « Cette fiction peut très bien devenir réalité demain: parce que Spielberg est un visionnaire, parce que la voyance existe et le progrès technique aussi! Et d’ailleurs, cette réalité demain pourrait fort bien s’avérer fort utile à ton foutu sport préféré!

« Ah bon? », fit Marcel en se levant, vu qu’il avait sommeil et venait de coller Willemsen de Westerlo, c’est-à-dire son dernier autocollant.

« Réfléchis, nigaud. Pareille invention permettrait de siffler AVANT même que les fautes soient commises! Finies les agressions, les tirages de maillots, les ligaments croisés bousillés par des tacles monstrueux: carte rouge pour les salopards AVANT leurs saloperies! Comme le foot serait enfin propre! Comme… »

« Je suis crevé, et tu fais des rêves de bonne femme, coupa court Marcel déjà dans l’escalier. A demain, dors bien ».

« Dors mal! Et avant de critiquer le déficit de communication au Standard, pose les yeux sur celui de ton couple! », riposta Georgette vexée.

Marcel dormit mal, fit même un mauvais rêve. C’était la veille de la finale de la Ligue des Champions. Marcel se concentrait pour jouer en marquage contre Zidane, et l’on sonnait à la porte d’entrée. C’était Alex Ponnet habillé en flic, brandissant un carton rouge, et lui signifiant sa suspension pour le match du lendemain ainsi que son arrestation: car les précogs lui avaient montré Zizou grimaçant et en civière, suite au sliding-tackle insensé de Marcel! Marcel se ruait en hurlant sur Alex Ponnet pour l’égorger…

C’est alors qu’il se réveilla en sueur, ce n’était qu’un cauchemar, il était huit heures du matin. Mais on sonnait quand même à la porte d’entrée, Georgette devait être chez le boulanger, Marcel se leva pour aller ouvrir en pyjama. C’était Bruno, le garde-champêtre de Noiseux-sur-Berwette, qui avait l’air fort embêté: « Marcel, …tu es en état d’arrestation », bredouilla Bruno.

(à suivre)

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