« Genk me regrette »

Les bons souvenirs ne s’oublient pas quand on débarque chez Schwarzenegger!

Donatien, Daniel et Serge ont formé le cercle sacré qui protège. Qui réconforte et qui rassure. Cette fois, il ne s’agissait pas de voler au secours de l’un des trois fragilisé par une situation délicate dans le monde du football. Après une maladie qui l’a torturé pendant plus de quatre mois, Patrice Kimoni s’en est allé. Le chef du clan est parti entouré de l’amour des siens. De tous les siens. Serge, joueur à Sprimont, et Donatien, actif à Verviers, se sont succédé à son chevet.

Daniel, malgré son transfert en Autriche, a multiplié les visites à l’hôpital. Gregoritsch, l’entraîneur de Graz, a compris qu’il ne servait à rien de retenir son défenseur. En prenant connaissance de la situation familiale de celui-ci, il a immédiatement ouvert la porte.

« Son discours m’a fait chaud au coeur », explique Daniel. « M. Gregoritsch m’a assuré de sa totale confiance. Il a tenu à instaurer une relation basée sur le respect. J’avais carte blanche pour me rendre en Belgique quand je le souhaitais. Je lui en serai toujours reconnaissant. De même, je n’oublie pas la sollicitude témoignée par Johan Boskamp lorsque mon père a été hospitalisé. Il ne se passait pas un jour sans qu’il me demande des nouvelles. Il le faisait avec sincérité. Pas par obligation. Autant j’en veux à Boskamp concernant l’aspect sportif de notre relation, autant je n’ai qu’à me louer de nos rapports humains ».

Entre les Kimoni, pas question de jalousie. Pourtant, leurs parcours n’ont pas été simples. Il existe même des similitudes relevées par Serge: « J’ai gagné la Coupe de Belgique et le titre avec le Club Brugeois, et j’ai été appelé dans le noyau de l’équipe nationale. Daniel présente un palmarès identique, écrit à Genk. A mon instar, le changement d’entraîneur lui a été fatal. Etrange, cette coïncidence! » D’autant plus bizarre que les deux hommes sont différents. Serge passait, à tort, pour un doux poète. Insouciant. Un peu fou. Daniel, par contre, jouit d’une image plus concrète.

« Peut-être souffre-t-il d’une comparaison qui n’a pas lieu d’être », avance Serge. « A cet égard, son départ pour l’Autriche est une bonne chose. Il va pouvoir se réaliser sans être victime d’a priori ».

Le Graz AK est une bonne équipe. Elle vit un peu dans l’ombre du Sturm. Néanmoins, cette encombrante proximité ne l’empêche pas de répondre annuellement présent sur la scène européenne. Le Sturm et l’AK se partagent la même enceinte. Un stade de 18.000 places assises, flambant neuf et baptisé Arnold Schwarzenegger Stadium! Ça ne s’invente pas.

« Les gens de Graz sont fiers de la réussite de leur concitoyen », explique Daniel. « Schwarzenegger fait souvent la Une de la presse locale. Il demeure très présent dans cette cité qui l’a vu naître. Il y possède de nombreux restaurants et a investi dans l’immobilier ».

Un autre Autrichien a défrayé la chronique ces derniers mois. Il s’agit évidemment de Jörg Haider. Le leader du parti d’extrême-droite a été élu démocratiquement. Cette évidence mathématique implique l’adhésion des votants à ses idées. Quand on sait que Daniel Kimoni est noir ébène, il y a de quoi se poser des questions.

« Impossible de ne pas y songer! Heureusement, mes craintes ont été balayées rapidement. Je n’ai ressenti aucune animosité de la part des joueurs, du public ou de la population. Graz me fait irrésistiblement penser à Liège. La ville, encerclée par les montagnes, est belle avec ses piétonniers et ses terrasses. On y sent un niveau de vie élevé. Il y aura sans doute des réflexions et des cris lorsque nous nous produirons en déplacement. Aussi regrettable que cela soit, ce type de manifestations se produit partout. Pour être franc, je me sens bien ici. Mieux qu’en France par exemple. Par le passé, je me suis souvent rendu à Paris. Là, je peux vous dire que le racisme est palpable. Dans les magasins, les vigiles vous suivent ostensiblement. En rue, les flics n’hésitent pas à vous contrôler sèchement. Je me demande jusqu’à quel point Le Pen n’a pas fait plus de dégâts que Aider. Tiens, pour l’anecdote, je me suis fait arrêter en Allemagne, en venant à Graz, par la route. Il devait être cinq heures du matin. Vous imaginez! Un black au volant d’une Mercedes, en pleine nuit. Je ne pouvais qu’être un voleur ou un dealer, évidemment! »

Les Autrichiens ne lancent pas de cocktails Molotov sur les refuges pour immigrés. Daniel Kimoni n’est pas le premier Africain de souche à endosser la livrée de Graz. Avant lui, un Nigérian, un Ghanéen et un Togolais s’y sont illustrés. Le public les a appréciés. Sans faire de différence. « Voici trois années consécutives que l’AK Graz se qualifie pour la Coupe de l’UEFA. Avant la trêve, mon équipe occupait la quatrième place du classement général. Je suis venu pour jouer dans une phalange compétitive. L’entraîneur connaît mon trajet. Il m’a dit: -Daniel, nous allons travailler de manière à te ramener chez les Diables Rouges. Même si le championnat n’est pas très médiatisé à l’étranger, je ferai mon possible afin de briller. Ce transfert ne constitue pas un coup de frein dans ma carrière. Plutôt l’occasion de relancer mes actions ».

A l’heure qu’il est, le Verviétois n’a pas encore eu l’occasion de disputer une rencontre officielle. L’interruption est longue. Il est arrivé durant celle-ci. Le championnat reprend en cette fin mars. Sera-t-il titulaire d’emblée? Pas certain, compte tenu du retard accumulé durant la préparation. « Personne ne me met la pression. Inutile, d’ailleurs. J’ai des fourmis plein les jambes ». Malgré des propos enrobés de diplomatie, teintés de sagesse, le feu de la revanche couve en lui. Il ne digère pas le dernier chapitre de son aventure limbourgeoise. Quasiment tous les jours, des lettres émanant de Genk lui parviennent. Le Racing fait suivre les missives que les supporters lui adressent. Ces messages produisent un double effet : grande satisfaction et grande colère.

« Genk, c’était mon club. J’adorais ce public formidable qui me le rendait bien. Savez-vous que j’ai été élu Joueur de l’Année à l’époque de Goor, Haeldermans, Strupar et Oulare? Cela signifie quelque chose, non? Sur les quatre dernières années, je détiens le record de titularisations. A part Marc Hendrikx, je ne vois pas qui pourrait améliorer mon chiffre ».

Le passé est le passé, c’est vrai. S’il mise sur l’avenir, Daniel Kimoni ne peut s’empêcher de regarder dans le rétroviseur. Ce qu’il y voit lui fait mal.

« Nous possédions une formidable équipe. Tous, nous avons enrichi le Racing. En fidélisant la masse flottante. En permettant aux loges de se garnir copieusement. En générant des rentrées qui se chiffraient en centaines de millions. Cela à la faveur de divers transferts. Tout cela est normal et inhérent à notre activité. Par contre, je trouve inadmissible la manière dont les dirigeants ont géré l’après- Anthuenis. A l’évidence, une transition devait s’opérer. Jos Heyligen avait droit à un certain crédit. Il a été limogé sous prétexte que nous rétrogradions de la deuxième à la troisième place du classement! C’est dingue. Surtout quand on analyse la position actuelle de l’équipe. Boskamp est arrivé. Il a tout balayé. Il voulait son équipe en réalisant ses transferts. En fermant les yeux, Genk a creusé sa tombe. Moi, je me suis retrouvé sur une voie de garage. J’ai bien tenté de discuter avec Boskamp. Il n’a jamais avancé le moindre argument probant. Cette même et unique phrase revenait invariablement: -C’est mon choix. Aujourd’hui, je sais que le comité de Genk regrette ce qui s’est produit. Récemment, différentes personnes que j’ai rencontrées me l’ont avoué. Il est trop tard. J’en suis d’autant plus marri que je me sens toujours chez moi au Fenixstadion. En poussant la porte des vestiaires afin de saluer mes anciens copains, une vague de nostalgie m’a submergé. Un sentiment identique à celui que ressent un homme parti longtemps de chez ses parents et qui, un jour, retrouve sa chambre d’enfant ».

Malgré ce drôle de Je t’aime moi non plus, Genk tenait à son petit Daniel. Sinon, comment expliquer la fin de non-recevoir signifiée à l’Eintracht Francfort? Le club allemand proposa une cinquantaine de millions de francs pour le transfert. Somme refusée!

« Quelque part, je pouvais m’estimer flatté. Mais alors, pourquoi m’expédier juste après en Réserve? », s’interroge Daniel. La réponse se trouve-t-elle dans l’intérêt qu’avait le président de la commission sportive Jos Vaessen à envoyer Kimoni à Cottbus?

« Maintenant, je m’efforce de ne plus penser à cela. Mon but est de mériter la confiance que Graz place en moi. Puis surtout montrer la gratitude que je nourris à l’égard du coach et du groupe. Alors que nous venions à peine de faire connaissance, ces gens m’ont aidé à mieux vivre les épreuves que je traversais ».

Daniel Renard

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