GÉNIE ou imposteur ?

Avant le Mondial, le sélectionneur ne pointait pas son pays parmi les candidats au titre. Concevable alors qu’il aligne des ténors dans tous les grands championnats ?

L’histoire de Maradona passe par La Boca, le quartier portuaire de Buenos Aires, au Rio de la Plata. C’est le port d’attache des Boca Juniors. Maradona y a appris la gambeta, une feinte développée dans les rues, faute de place. Il s’agit d’être rapide pour un pibe, surtout un pibe de oro comme lui. Un gosse en or : intuitif, spontané, frais, libre, dénué de responsabilités. On a vu des photos de Maradona gamin, jouant devant la maison familiale. Enfin, maison, un taudis, plutôt. CarlosTévez est issu d’un milieu semblable et son histoire est fort proche.

A l’issue de sa formation aux Argentinos Juniors, Maradona rejoint Boca Juniors en 1980. Si River était le club des riches habitants de Palermo et de Belgrano, deux quartiers de la classe moyenne de la capitale, Boca était le club des pauvres. Maradona a vite conquis les supporters. Quand l’équipe commence à péricliter et que la presse publie toutes sortes de rumeurs, José Baritta, surnommé Abuelo, (grand-père) le leader du noyau dur de Boca, la Doce, intervient.

Dans La Doce, la véritable histoire du noyau dur de Boca, Gustavo Grabia raconte l’incident :  » Quand les joueurs se sont réunis, el Abuelo a placé un revolver sur la table de tennis de table, bien en vue. Il a pris la parole et a prévenu que si Boca ne battait pas Estudiantes, la fin du match serait marquée par plus de violence encore. Quand un joueur a voulu prendre la parole, le vieux le lui a coupé et a ajouté : -Donnez le ballon au pibe, car j’ai lu dans les journaux que certains d’entre vous ne veulent pas lui faire de passes et ne veulent pas courir à son service.  »

Boca a gagné le match et le titre. Tout le monde était content.

Maradona, redresseur de torts ?

Cela nous fait penser à une rencontre ancienne en Allemagne, à Linz-am-Rhein, avec Osvaldo Bayer. Philosophe, anarchiste, historien, écrivain et auteur, en 1990, d’une histoire particulière du football argentin. Ancien compagnon de guerre de Che Guevara, une autre idole des Argentins, il disait :  » Maradona a grandi dans l’univers le plus pauvre qu’on puisse imaginer. Les médias ont fait de lui un génie, le génie des génies. Il a donc commencé à parler comme il pensait qu’un génie le faisait. Il se sentait l’égal d’un dieu. Toute l’Argentine le sait mais elle a continué à l’applaudir et lui à croire qu’il était Dieu. Un grand joueur mais pas le meilleur. José Manuel Moreno, de River, était aussi bon : un Maradona de 90 minutes. Maradona, lui, jouait vingt minutes, se reposait dix minutes puis rejouait encore vingt minutes.  »

Pourquoi est-il devenu le coach de l’Argentine ? En étant utilisé ?  » Le président de la fédération argentine, Julio Grondona, considère le football comme un commerce. Seul l’argent l’intéresse. Il est arrivé durant la dictature militaire et il est resté. Il se considère comme un roi, le monarque du football argentin. En octobre 2008, Maradona voulait devenir entraîneur et Grondona a accepté.  »

Maradona a passé du temps avec Hugo Chávez, chez Fidel Castro, il a tenu des propos durs à l’égard de George Bush et entamé une lutte contre la FIFA, JoaoHavelange, SeppBlatter, plaidant pour un syndicat des joueurs. Après le match décisif pour le Mondial, contre l’Uruguay, il s’en est pris à la presse :  » Que la chupen.Que me la sigan chupando.  » Grossièrement traduit : sucez-la moi.

Ce côté anarchiste plaît-il à Bayer ?  » Certainement pas. Maradona est parti à Cuba parce que c’était le seul pays où il pouvait se désintoxiquer, pas par conviction politique. Il s’est proclamé le meilleur ami de Fidel et celui-ci l’a présenté à Chávez mais c’est un chapitre clos. Dès qu’il a été débarrassé de ses problèmes de drogue, il a oublié Castro. Maradona ne s’est jamais prononcé en faveur de l’une ou l’autre idéologie politique. Pendant la dictature militaire, quand des tas de gens disparaissaient en Argentine, il ne s’est jamais intéressé au sort de ces personnes. Jamais il ne s’est engagé en politique. C’est le cas de tous les footballeurs… « 

Son grand moment de gloire date du Mondial 1986, quand il a conduit l’Argentine au titre en inscrivant un but historique contre l’Angleterre. La mano de dios. D10S. La main de dieu. Depuis la guerre des Malouines, un archipel proche des côtes argentines, l’Angleterre était l’ennemi numéro un. Bayer :  » Le titre argentin de 1978 était la victoire de la dictature mais celui de 1986 était celle du peuple. Les Argentins vouent une profonde reconnaissance à Maradona pour ce but de la main contre l’Angleterre. Fantastique. Les Anglais se moquaient de nous, ils étaient des colons, des exploiteurs. Les battre avec un but pareil, c’était génial. El que roba a un ladrón, tiene cien años de perdón, c’est un proverbe argentin (Celui qui vole un filou est absout pour cent ans).  » Les yeux de Bayer brillent.

Diego Maradona, le sélectionneur

Mi-février, par un après-midi ensoleillé à La Plata, la capitale de la province de Buenos Aires. Nous rencontrons l’écrivain Gustavo Ruffo, supporter d’Estudiantes. Il nous livre sa vision de Maradona comme sélectionneur :  » C’est un coup de Grondona, une histoire de force, d’argent, d’aura. Maradona génère des revenus, du sponsoring, attire le soutien et l’intérêt du monde entier. Maradona est un nom, du Japon à l’Afrique et à l’Europe. Nous n’avons pas toujours une bonne image dans le monde, pas plus que le Brésil. Maradona aide peut-être à ouvrir des portes.  »

Maradona fascine Ruffo :  » Quand Diego avait deux ou trois ans, un journaliste l’a interrogé sur ses ambitions. -Devenir international, a-t-il répondu. Quelle saga ! Quand un homme comme ça découvre le luxe et la fortune, il est normal qu’il soit confronté à la drogue. Des connaissances sont allées chez Maradona et m’ont dit qu’il était fou mais aussi très modeste et qu’il n’était pas un mauvais homme. Tous ceux qui le connaissent veulent l’aider.  »

Fernando Gourovich suit l’Argentine au Mondial, pour le journal Clarín. Que pense-t-il du sélectionneur ?  » Si l’Argentine arrive à quelque chose, ce sera grâce aux joueurs, pas à l’entraîneur. Maradona n’est pas capable de renverser un match par un remplacement. J’éprouve aussi certaines craintes par rapport à la FIFA et à Blatter. Maradona champion du monde… je ne sais pas si la FIFA l’accepterait. Quand vous entendez tout ce que Maradona a déclaré après sa qualification en Uruguay. Je redoute un scandale s’il est champion du monde. Or, la FIFA attache beaucoup d’importance à son image. Elle n’appréciera pas de voir Maradona brandir le trophée. Je pense que l’Argentine sera éliminée en huitièmes ou en quarts de finale, d’un but inscrit de la main. Que pourra dire Maradona ? Se taire, Non, il ne se tait jamais et certainement pas dans un tel cas de figure.  »

Nul ne peut le brider ? Gourovich :  » Dire non à Maradona est difficile pour tout le monde. Il vit depuis des années dans un univers au sein duquel on approuve tout ce qu’il fait et dit. Ce n’est pas propre à Maradona. Il en va de même avec l’entourage de Ronaldo ou de Ronaldinho. Maradona aime parler et attaquer. Si vous écrivez quelque chose qui ne lui plaît pas, il est contre vous. Selon lui, il n’y a pas de presse objective. Il prend pour une attaque personnelle tout constat à propos de l’équipe. J’ai l’impression qu’il reste un dieu aux yeux des joueurs. Ils sont aveuglés mais ils commencent à prendre conscience de ce que Maradona n’est qu’un homme et ils ne respectent plus ce qu’il dit depuis belle lurette.  »

Maradona a été clair à sa dernière conférence de presse en Argentine :  » Notre équipe n’est pas candidate au titre. D’ailleurs, ceux qui effectuent le voyage avec cette ambition ne s’imposent jamais. C’est l’Espagne qui est favorite. « 

Faut-il le croire ? Il évite, en tout cas, d’être limpide avec la presse. Comme quand il dit :  » Pour la tactique, j’ai une idée générale mais il manque encore beaucoup de détails. On verra comment se déroulent les entraînements. J’ai un noyau de qualité, des joueurs qui comprennent le message mais il y a encore beaucoup d’erreurs. Je me suis souvent trompé pendant les qualifications. Mais le fait d’être du Mondial me donne confiance. « 

Comment équilibrer l’attaque autour de Messi ?

Le dernier titre de l’Argentine remonte à 24 ans. Elle trépigne d’impatience. Après MarioKempes, le héros de 1978, et Maradona, le Dieu de 1986, la nation attend un nouvel héros.

Lionel Messi est-il capable de répondre à ces attentes ? Le fait que Maradona veuille l’impliquer dans le jeu est déjà positif car dans le passé, il a été souvent isolé. A la fin de l’année dernière, quand l’Argentine a joué en Espagne, la presse ibérique a suivi à la loupe le joueur de Barcelone. Durant la première demi-heure, Messi a reçu… trois ballons. Deux sur le flanc, à 70 mètres du but, et le troisième de AngelDi Maria dans le cercle médian. Messi s’est démarqué d’un dribble et a centré vers GonzaloHiguaín, qui était pratiquement seul devant IkerCasillas. On attend beaucoup de ce triangle durant la Coupe du Monde. Messi, que Barcelone a formé tactiquement, peut évoluer où bon lui semble dans le 4-4-2 argentin, même s’il est avant en décrochage. Est-ce la reconnaissance de son talent ou de la faiblesse de l’entraîneur, qui laisse ainsi tout aux mains de sa star, sans en avoir encore beaucoup reçu ?

 » Lionel provoque des ravages « , dit Maradona.  » C’est un flash. Au fil du temps, il est de plus en plus fort, charismatique. Il devient un meneur grâce à sa disponibilité sur le terrain. Nous allons l’entraîner mentalement. Il doit être présent. Il est essentiel pour nous. Il ne faut pas le laisser isolé cinq minutes, il doit être constamment en contact avec le joueur en possession du ballon. « 

Nul ne pense que Messi puisse à lui seul offrir le sacre à l’Argentine, comme Maradona en 1986. Pas plus Daniel Passarella, double champion du monde, et président de River, que les autres. Il vient de déclarer à Ole, un magazine sportif argentin :  » Messi n’atteindra le niveau de Maradona à aucun Mondial. Jamais. Diego est unique, inégalable, surtout dans un football plus complexe que jadis. Messi est le meilleur joueur du monde mais il est parfaitement entouré à Barcelone. Maradona ne jouissait pas des mêmes conditions à Naples et ça l’a endurci.  »

Fernando Gourovich suit le Mondial pour le quotidien Clarín. Il connaît Messi personnellement et il doute :  » Le football est un sport d’équipe. Ne vous imaginez pas que Messi va gagner le Mondial à lui tout seul. C’était encore possible en 1986, quand tout le monde courait et se battait pour Maradona mais celui-ci avait un tempérament qui fait défaut à Messi. Peut-être va-t-il enfin le révéler au Mondial mais jusqu’à présent, je n’en ai rien vu.  »

Il trouve symptomatique que Messi ne soit pas capitaine :  » Le brassard est la propriété de JavierMascherano. Messi ne convient pas pour ce rôle. Il joue en fonction de son instinct. Il ne prendra pas la parole dans le vestiaire, pas plus qu’il ne réfléchira à la tactique avec l’entraîneur. Si Messi ne livre pas un grand Mondial, les gens vont se retourner contre lui, pas contre Maradona. Il a tout gagné avec Barcelone, il est le meilleur joueur du monde et c’est à lui de montrer ce qu’il vaut au Mondial. Croyez-moi, il est sous pression.  »

Di Maria pourrait jouir de plus de liberté grâce à la présence de Messi. Ou Diego Milito, qui a reconquis les faveurs de Maradona par ses performances à l’Inter, après quelques matches médiocres avec l’Argentine, et qui constitue une menace pour Higuaín ou CarlosTevez, les avants qu’on croyait incontournables. Jusqu’à présent, la combinaison Milito-Messi n’a pas fonctionné en équipe nationale mais qui sait ?

La défense, le vrai point faible ?

Maradona ne doit pas seulement faire fonctionner Messi. Il doit organiser sa défense. De nombreux observateurs doutent des capacités de sa dernière ligne.

Gourovich :  » Historiquement, l’Argentine procède en 4-3-1-2 mais le 4-4-2 est possible, voire plus vraisemblable. Je ne crois pas à un trio défensif, faute de préparation et de tradition. Seuls les Argentinos Juniors et Chacarita évoluent ainsi en championnat domestique. C’est donc un problème de formation. Le Brésil en serait capable car il possède d’excellents flancs mais pas nous et ce, depuis des années. La jeunesse n’a pas de modèle. Dani Alves a pu s’inspirer de Cafù et un pibe de 14 ans peut prendre Dani Alves en exemple. Mais quel modèle ont les jeunes Argentins qui voudraient évoluer sur les flancs ? Je n’en ai pas la moindre idée. En principe, le c£ur de la défense est brillant. Romero est un bon gardien, MartinDemichelis et WalterSamuel de très bons défenseurs centraux. Mais nous n’avons pas de bons arrières latéraux.  »

La presse espagnole l’a remarqué, en décembre : l’arrière gauche Gabriel Heinze déséquilibre l’équipe, qui doit effectuer trop d’ajustements pour qu’il soit à l’aise. Les journaux argentins effectuent le même constat : pourquoi toujours aligner ce Heinze (32 ans), qui joue à l’OM, après des passages à Manchester United et au Real ? Parce qu’il est champion de France ?

Ne pas y voir un complot ne serait pas argentin. Le frère de Heinze, Sebastián, dirige un bureau de marketing et représente des joueurs via Passion. Qui en est client ? Maradona, dont la marque doit contribuer au développement de la société. En 2005, quand Maradona s’est retrouvé sans le sou, drogué et divorcé, Sebastián l’a mué en culte en l’envoyant donner des conférences en Extrême-Orient et effectuer d’autres missions en Argentine. La vox populi parle donc de conflit d’intérêt car Gabriel Heinze était fini au moment où Maradona a repris la sélection. José Pekerman, l’entraîneur de l’Argentine lors de la précédente édition, considérait que le défenseur avait perdu sa vitesse, ce qui posait problème, et s’attendait à ce qu’il glisse au c£ur de la défense. Son successeur, Alfio Basile, ne l’a même pas repris mais Maradona l’a repêché.

Gourovich :  » Heinze est dur et sa vitesse n’est pas si émoussée mais à droite, nous n’avons pas de bon défenseur. Nous avons deux possibilités : Otamendi et JónasGuttiérrez. Si Maradona résout le problème, nous pouvons réussir un bon tournoi.  »

Veron, le vrai cerveau de l’entrejeu

Jonás, tel est le nom qui figure sur le maillot de Guttierez, est plus à l’aise dans l’entrejeu mais cette ligne est équilibrée avec Juan SebastianVeron, Mascherano et Di Maria, selon Gourovich. Si Jonás est aligné avec succès en défense, Maxi Rodriguez peut être titularisé. Veron a un parcours étrange. Après de nombreuses pérégrinations à travers l’Europe, en Italie et en Angleterre, le médian de 35 ans est le meneur d’Estudiantes, vainqueur de la CopaLibertadores.

L’écrivain Ruffo est supporter de l’équipe comme du joueur :  » Veron est le relais de l’entraîneur. Sous la direction de Basile, Mascherano était décisif et Juan RomanRiquelme jouait très bien mais sous Maradona, Mascherano n’est plus aussi bon et Veron est devenu la figure centrale de cette ligne.  »

Gourovich opine :  » Il est le patron de l’Argentine comme d’Estudiantes. A son retour, il s’est investi dans la formation des jeunes. Son père était déjà très lié au club et il est devenu le bras droit du técnico. Il veut devenir técnico puis président. Je trouve que Maradona a commis une grave erreur en offrant le brassard à Mascherano plutôt qu’à Veron. Sans doute parce que Veron s’est souvent retrouvé dans la tribune et s’est disputé avec les plusieurs personnes. En cours de match, il lui arrive aussi de perdre son contrôle mais c’est le cas de Mascherano également.  »

Est-il possible que Veron soit fatigué, après avoir disputé le championnat et la CopaLibertadores ? Gourovich :  » Je ne pense pas. Il sait ce qu’on attend de lui et il est assez chevronné pour choisir ses matches. Il ne joue plus en Europe, ce qui est très difficile. Il possède un tel pouvoir à Estudiantes qu’il peut imposer ses choix. Mascherano, plus jeune et plus costaud, court pour deux, mais Veron est le cerveau. Ses déclarations sont toujours intelligentes. Il ne parle jamais de lui-même mais du groupe et il reconnait les erreurs qu’il a commises dans le passé.  »

En cas de blessure, Javier Pastore (Palerme) devra assumer ses responsabilités. Pastore a énormément progressé tactiquement et défensivement en Italie mais il est plus offensif que Veron. MarioBolatti (Fiorentina) peut remplacer Mascherano. On ne parle plus de Riquelme, l’autre star de Boca. Pourquoi ?

Gourovich :  » Quand Basile a été limogé, on ne savait pas très bien par qui le remplacer. On a dit que Maradona avait téléphoné à quelques joueurs en leur demandant de dire un mot en sa faveur et Riquelme aurait refusé. Il ne joue pas très bien et n’est pas en grande forme mais il aurait eu sa place dans un noyau de 23 footballeurs. Il possède expérience et talent, il peut toujours constituer une alternative. Avec un bon Riquelme, l’Argentine aurait été une des candidates à la victoire mais bon, Maradona n’en a pas voulu. C’est une affaire purement personnelle. La lutte pour le pouvoir n’amène jamais rien de bon. Il y en a une entre Maradona et CarlosBilardo, le directeur technique de l’Argentine pendant le Mondial. C’est contreproductif.  » l

Par Peter T’Kint à Buenos Aires

Il a vite oublié Fidel Castro quand ses problèmes de drogue ont été résolus.

Les Argentins lui sont surtout reconnaissants pour son but de la main contre l’Angleterre.

Les médias ont fait de lui un génie et il s’est mis à parler comme il pensait qu’un génie le ferait.

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