Gaúcho à droite

On attendait Frédéric Dupré à la place d’Eric Deflandre, mais c’est un des trois Brésiliens arrivés en décembre 2006 qui s’impose.

Même si le début de calendrier proposé n’avait rien d’un épouvantail, le Standard a pris un excellent départ en championnat. Michel Preud’homme, pourtant, n’a guère de solutions sous la main et l’équipe qu’il couche chaque semaine sur papier en devient évidente. En attendant que Luciano D’Onofrio lui rapporte quelque chose de la braderie de fin de mercato (on parlait, la semaine dernière, de l’arrivée de Luigi Pieroni), l’entraîneur du Standard doit implorer chaque matin le ciel d’épargner ses titulaires, tant l’écart entre ceux-ci et les réservistes est important.

Curieusement, après le départ d’ Eric Deflandre, le poste d’arrière droit est l’un des rares qui soient doublement fournis. On pensait que cette place reviendrait à Frédéric Dupré mais le solide flandrien est actuellement en proie à des problèmes d’ordre privé, qui minent son moral et ont même des répercussions sur sa condition physique.

A l’inverse, le Brésilien Marcos Camozzato nage en plein bonheur. Il a profité de la trêve estivale pour épouser Paula, qui partage sa vie depuis six ans, et travailler l’aspect physique de son jeu, s’endurcir au duel. Lorsqu’il a fallu trancher, c’est à lui que l’entraîneur a accordé sa préférence. Et Marcos fait tout pour saisir sa chance. Son application défensive, notamment, en étonne plus d’un.

Marcos fait partie du lot de trois Brésiliens arrivés à Sclessin en décembre dernier. A l’invitation de Franco Iovino, Dominique D’Onofrio s’était rendu deux mois plus tôt en Amérique du Sud afin d’y rencontrer Sergio Laisme, un agent qui lui avait présenté plusieurs jeunes joueurs de l’Internacional de Porto Alegre. Le directeur technique liégeois était tombé sous le charme des défenseurs Felipe Soares, Fred Burgel et Marcos.

Lors du stage hivernal à Portimão, Preud’homme avait toutefois laissé entendre que les recrues avaient encore beaucoup de choses à apprendre et ne constituaient pas des renforts immédiats.  » Il avait raison. Je n’ai pas du tout pris cela pour une brimade ou de la moquerie. C’était un incitant au travail « , réplique Marcos.  » On ne nous a pas reçus comme des champions du monde mais pas comme des gamins non plus. Plutôt comme des paris sur l’avenir. Des trois, Felipe était celui qui avait le plus joué avec l’Internacional. Pour ma part, j’ai compris tout de suite que ce ne serait pas de la rigolade « .

Curieusement, jusqu’au terme de la saison, Fred, le moins côté des trois, fut celui qui reçut le plus souvent sa chance. Aujourd’hui, Soares a été vendu à Roulers, Fred est prié de se chercher un club (il a des touches au Portugal et, surtout, avec le club brésilien de la Juventus) et Marcos est titulaire.  » Le football est fait, sans cesse, de rebondissements « , avance Marcos.  » Je suis triste pour mes deux amis mais ils ne doivent pas se décourager, il faut chercher sa place dans ce métier et on ne la trouve pas toujours du jour au lendemain. L’important est de ne jamais baisser les bras « .

A 24 ans, Marcos n’est plus un enfant. La tranquillité, le sens de l’observation et la maturité sont des atouts importants de ce joueur gaúcho. L’Etat de Rio Grande do Sul est réputé pour son mode de vie à l’européenne. On y est finalement beaucoup plus proche du métro-boulot-dodo que de la samba. Ce n’est pas un hasard si Dunga, l’actuel sélectionneur du Brésil, est l’une des références de Marcos, dont le nom trahit les origines italiennes et dont il possède d’ailleurs le passeport.

Seul joueur d’une famille de médecins

 » Mes arrière-grands-parents sont originaires de la région napolitaine « , précise-t-il.  » Je n’y suis jamais allé mais je compte bien profiter d’un week-end de relâche pour m’y rendre. J’ai un oncle qui a gardé le contact avec la famille en Italie. Moi, je comprends pratiquement tout mais je ne parle pas encore cette langue. C’est comme pour le français. Ce n’est pas de la timidité mais j’ai un peu de mal à exprimer exactement ce que je ressens. Maintenant que mon épouse est arrivée, nous allons tenter de fréquenter, ensemble, un cours « .

Marcos est le cadet d’une famille de trois enfants.  » Le plus calme, aussi. Mon frère est beaucoup plus extraverti que moi. Lorsque nous étions gamins, il faisait toujours plus de bêtises. Au point que, même lorsque j’étais fautif c’est lui qui était puni « .

Dans sa famille, on est médecin de père en fils. Son frère est toujours à l’université mais sa s£ur est déjà psychiatre.  » Mon père est oto-rhino-laryngologue « , ajoute-t-il.  » Pour ma part, je n’ai jamais été tenté par ce métier. Je m’étais inscrit à la faculté d’éducation physique mais, à cause du football, j’ai dû abandonner après six mois : impossible de combiner les deux lorsqu’on joue dans un club comme l’Inter « .

Ses parents sont des fervents supporters de ce club mais c’est pourtant à Gremio, le rival de la ville de Porto Alegre, que Marcos est convié à réaliser ses premiers tests. Heureusement, l’Inter lui offrira également cette possibilité et c’est là qu’il s’affilie en novembre 1996. Il y restera jusqu’à 2005, lorsque le club le prêtera pour un an à Caxias, club de la région montagneuse de l’Etat de Rio Grande do Sul, qui évolue en D2 du championnat brésilien.  » Beaucoup d’Italiens y vivent et c’est là que j’ai repris contact avec mes racines « .

Ces racines européennes donnent des idées à l’Internacional. Tout auréolé de son titre de champion du monde, le club entame une tournée européenne au cours de laquelle il fait avant tout jouer les garçons qui jouissent d’un statut communautaire, afin de voir si des clubs sont intéressés. Et ça marche ! Rafaël Sobis, aujourd’hui international, se retrouve ainsi au Betis Séville tandis que Marcelo Labarthe est recruté par le Sporting de Lisbonne, qui le prête ensuite au Vitória Setúbal. Soares, Burgel et Camozzato, eux, débarquent en Belgique. Une déception par rapport à leurs camarades ?  » Absolument pas. L’important, pour nous, était de forcer les portes du marché européen. C’est vrai que la façon de faire de l’Inter était un peu, euh… commerciale mais c’est ça, le foot d’aujourd’hui. Il y a peu, le club a d’ailleurs effectué une tournée identique en Asie. Avec le même succès « , souligne Marcos..

Camozzato ne connaissait évidemment pas grand-chose de notre pays.  » J’avais entendu parler des plus grands clubs : Bruges, Anderlecht, Genk, Standard. Je connaissais d’ailleurs des joueurs qui étaient passés par Sclessin, comme Vinicius, André Cruz, Luciano… Et j’ai été tout heureux de retrouver Dante Bonfim, que j’avais rencontré quelques fois au Brésil à l’époque où il jouait à Juventude, qui était le grand rival de Caxias « .

Chacun des trois Brésiliens coûta 500.000 euros au Standard, qui leur proposa un contrat d’un an et demi, assorti d’une option de deux ans.  » C’est pourquoi cette saison est très importante pour moi « , confirme Marcos, qui ne joua qu’un match du dernier championnat. C’était lors de l’ultime journée, face à Mouscron, alors que tout était dit, que le Standard préparait la finale de la Coupe et que Preud’homme avait aligné une équipe B.  » Ces nonante minutes m’ont mis l’eau à la bouche. Je me suis dit que je devais bien me préparer afin d’être prêt dès la reprise. Surtout, j’avais compris ce qu’il me manquait : de la force dans les duels. Ici, il est important de bien utiliser son corps. Malgré le départ de Deflandre, je ne pensais cependant pas être titularisé aussi vite mais au fil des entraînements et des matches, j’ai vu que je répondais de plus en plus aux exigences de l’entraîneur. Juste avant le championnat, j’ai joué contre Metz et je me suis dit que ma chance était sans doute venue « .

Un Brésilien qui s’impose vite défensivement !

Ce qui fait plaisir à voir, chez Marcos, c’est son sens du placement défensif. Un atout qui a souvent fait défaut à de nombreux brésiliens, pourtant mieux côtés que lui. André Cruz lui-même mit un an à s’adapter tandis que Michel Garbini, pourtant international olympique lorsqu’il débarqua chez nous (Marcos n’a jamais été repris qu’en sélection gaúcho lorsqu’il avait 18 ans), ne s’y est jamais fait et est aujourd’hui retourné se faire une santé au Brésil.

 » On ne défend pas du tout de la même façon chez nous « , explique Marcos.  » Au Brésil, les entraîneurs exigent que les arrières latéraux montent. Lors de mes six derniers mois à Caxias, j’en ai tout de même eu un qui souhaitait que je reste derrière et cela m’a beaucoup aidé ici. De plus, j’ai déjà joué à pas mal de places : milieu droit, médian défensif… Je m’adapte assez facilement. Mais c’est vrai qu’en débarquant, j’ai commis la même erreur que les autres : j’y allais sans cesse… et j’étais cuit après quelques minutes seulement car en Belgique, les médians défensifs ne couvrent pas les arrières qui montent. De plus, ici, les centres partent de très loin, pratiquement après la ligne médiane. Alors que chez nous, on déborde pratiquement jusqu’à la ligne de but avant de centrer, ce qui laisse le temps à l’équipe de s’organiser en fonction de la contre-attaque. Car quand vous balancez un centre du milieu de terrain et que vous perdez le ballon, l’adversaire a un boulevard devant lui. C’est pour cela que, jusqu’ici, j’ai préféré ne pas prendre trop de risques « .

Une analyse qui témoigne d’une belle maturité tactique. Marcos s’était également juré de progresser sur le plan physique, afin d’offrir plus de résistance au duel.  » Je ne suis pas très grand (1,77 m) mais j’ai un bon timing dans le jeu aérien. Seulement, je me faisais beaucoup trop bousculer, même à l’entraînement. Quand un Marouane Fellaini vous tombe dessus, vous avez mal partout. Alors, j’ai fait un peu de musculation mais l’entraîneur veut que je progresse encore dans ce domaine « .

Il faudra donc attendre encore un peu avant de voir Marcos enflammer Sclessin et des vareuses à son nom fleurir dans les tribunes.  » Je n’en ai pas encore vu une seule ici « , avoue-t-il.  » Les seules qui circulent sont celles que j’ai amenées en cadeau au Brésil « .

A ses amis et à sa famille, Marcos a évidemment parlé du climat belge ( » Je ne m’étais jamais entraîné avec de la neige jusqu’aux chevilles « ), de nos jolies villes ( » Liège est plus grande que je ne le pensais, j’ai aussi visité Bruxelles et Anvers « ) et des distances rapprochées entre les agglomérations ( » Au Brésil, on peut rouler huit heures en voiture sans sortir de l’Etat de Rio Grande do Sul « .)

En septembre, sa s£ur viendra lui rendre visite.  » Elle se marie et restera une semaine chez nous avant d’entamer un tour d’Europe qui passera inévitablement par l’Italie « , raconte Marcos qui, pour sa part, a dit sim (oui en portugais) à Paula le 22 juin dernier.  » Il ne s’agissait que d’un mariage civil « , explique-t-il.  » Paula vient de terminer ses études de psychologie et, par le mariage, elle est désormais autorisée à vivre en Belgique à mes côtés, ce qui est très important. La cérémonie religieuse aura lieu l’an prochain. Nous nous connaissons depuis six ans et demi, nous nous sommes rencontrés chez des amis mais nous nous sommes vite aperçus que nous avions des points communs : ma mère avait été voisine de la sienne et mon père avait soigné presque toute sa famille…  »

A Liège, Marcos n’a évidemment pas manqué de rencontrer d’autres Brésiliens déjà bien établis chez nous, comme Edmilson et Wamberto. Ils se retrouvent régulièrement autour d’un barbecue pendant lequel Marcos empoigne inévitablement sa guitare pour jouer quelques airs.  » J’ai tout appris sur le tas. Lorsque j’avais 10 ans, mon père nous a inscrit, mon frère et moi, à un cours. Je détestais cela et, après quelques mois, j’ai cassé ma guitare. Plus tard, mon frère a commencé à jouer du cavaquinho, une petite guitare à quatre cordes, et je me suis dit que ce serait quand même dommage d’être le seul Brésilien à ne pas pouvoir jouer d’un instrument « , rigole-t-il.  » J’ai donc fait des recherches sur internet et je me suis souvenu de mes premiers accords. Maintenant, je joue un peu chaque jour. J’aime le reggae de Bob Marley et le pop rock tranquille « .

Marcos n’a rien d’un rêveur, pourtant. Ses équipiers peuvent rouler dans de grosses voitures, sa Peugeot 206 lui convient parfaitement. Au volant, il ne s’imagine pas une vie de star.  » Je n’ai pas de rêves mais un projet de vie. Mon seul souhait est d’arriver en fin de carrière avec suffisamment d’argent de côté pour pouvoir mener une vie tranquille, avoir un appartement, une belle famille avec deux enfants : un garçon et une fille…  »

par patrice sintzen – photos: reporters/ gouverneur

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