GAUCHE PLURIELLE

Pierre Bilic

L’arrière liégeois revendique avec punch les nombreuses couleurs de son foot et de ses ambitions.

Il neige sur Liège : voilà une chanson de Jacques Brel qui ne doit pas plaire à l’arrière gauche de Sclessin.  » Ces remises pour cause de mauvais temps nous ont carrément déprimés « , avance-t-il.  » Je déteste cela. A mon avis, l’hiver fausse même le championnat. A Zulte Waregem, les Brugeois ont joué avec leurs crampons habituels. Ce week-end-là, à Saint-Trond, nous avons évolué sur du béton. Je ne me plains pas : c’est un constat. Tout le monde ne joue pas dans les mêmes conditions et cela peut avoir un impact sur le bon déroulement de la compétition. Ce débat fait fureur pour le moment en France. On y réclame des pelouses chauffées comme c’est le cas en Bundesliga. Il faudrait examiner ce problème-là aussi en Belgique « .

Le regard clair, Philippe Léonard (32 ans depuis le 14 février) a suffisamment de bouteille pour avoir un avis intéressant sur tout ce qui touche au football. L’actualité est chaude et cruelle mais, tout en soulignant l’importance du tsunami chinois qui noie quelques plages de D1, l’arrière gauche du Standard remet le football au centre du débat.

Ce scandale ne discrédite-t-il pas l’ensemble de votre profession ?

Philippe Léonard : Non, certainement pas. Cette affaire interpelle, doit faire réfléchir et que ceux qui mènent l’enquête le fassent vite et bien afin que justice soit rendue sans tarder. Tout ce que j’ai lu dans la presse et vu à la télévision est abominable mais est à mettre à l’actif d’une mini, mini minorité. Une clique qui salit, c’est évident, la majorité XXXL du football, ceux qui ont une ligne de conduite. Moi, je ne demande qu’une chose : si les culpabilités sont établies, il faudra punir les tricheurs avec intransigeance afin de ne plus jamais les revoir dans la famille du football. Il est indispensable de nettoyer la plaie jusqu’à l’os. A la fin, on craint l’amalgame, que son nom soit cité sans raison. Pour le reste, il ne faut pas oublier que le football n’est pas que ce torrent nauséabond. Il y a des clubs que les corrupteurs n’ont pas tenté d’approcher, ceux où les footballeurs sont décemment payés. Tout se passe dans des équipes dont tous les joueurs ne gagnent pas leur vie comme de vrais pros. Ce sont des maillons faibles qui ne résistent pas toujours à des tentations malhonnêtes. C’est si loin du vrai football, dont j’ai fait mon métier, que je préfère ne pas en parler durant des heures.

 » Si nous étions revenus de Gand en sifflant, je me serais posé des questions  »

Revenons-en au vrai football, comme vous dites si bien : le Standard n’a-t-il pas raté l’occasion de larguer Bruges et Anderlecht durant le premier tour ?

Je suis tenté de répondre affirmativement à cette question. Avec un peu plus de jugeote ou de calme, à vous juger, le Standard aurait pu obtenir trois ou même quatre points de plus à la fin du premier tour. Je dis ça par rapport à notre parcours, sans me soucier de celui de nos principaux adversaires. Il y a eu des faux-pas évitables mais qui, paradoxalement, n’ont rien détruit mais bien généré, tout de suite, une mise au point. C’est un signe de force mentale qui peut avoir son importance à l’heure des comptes. L’envie d’aller au bout est présente dans le groupe. Il y a eu des moments difficiles, même de doutes et de tensions, mais c’est normal quand l’ambition est là. Si nous étions revenus de Gand en sifflant, je me serais posé des questions à propos des motivations de chacun. J’ai mes points de repère en songeant au premier tour. Le Standard a explosé Bruges et Anderlecht a eu la tête sous l’eau durant 90 minutes à Sclessin. Cela compte, ce sont des preuves de toutes nos potentialités. Quand un groupe est capable de cela, il ne doit pas craindre de se rendre à Anderlecht et à Bruges comme ce sera notre cas durant la deuxième partie du programme. Maintenant, c’est tout aussi vrai, le Standard n’a pas été aussi solide face aux équipes moins huppées : là, il faudra resserrer la vis.

Les méchantes langues affirment que le Standard a déjà reçu sa sucette, sa récompense, son succès de la saison…

C’est-à-dire ?

Le Soulier d’Or de Sergio Conceiçao, tiens…

Je suis fier que cette récompense, la plus ancienne, donc la plus réputée, revienne à un joueur du Standard. Les votants ne se sont pas trompés. Sergio Conceiçao méritait largement son Soulier d’Or. Je suis content pour lui et pour le club. J’y vois la preuve que le Standard a réussi un excellent premier tour, compte, crée le spectacle, entretient le suspense. Sergio y est pour beaucoup. Mais c’est d’abord une distinction individuelle. Elle appartient au joueur. A nous de l’imiter dans la production collective et de gagner quelque chose à la fin de la saison : le titre ou la Coupe de Belgique. Cela donnera encore plus de valeur au Soulier d’Or de Sergio.

 » Jorge Costa ne joue évidemment pas comme Mathieu Beda  »

Le Standard compte une des meilleures défenses de D1 mais elle a changé trois fois de visage cette saison : n’est-ce pas étonnant ?

Elle reste solide, c’est ce qui compte. Au départ, l’axe central était encore composé par Oguchi Onuyewu et Ivica Dragutinovic. On les connaît : grands, puissants, décidés, compétiteurs. C’était un sacré duo. Quand Drago est parti, Mathieu Beda a saisi sa chance. Il n’a pas été titularisé tout de suite mais la fenêtre s’ouvrait et ce jeune joueur savait que sa chance viendrait. Mathieu l’a saisie à deux mains. La défense s’est mise en place et a vécu sa vie après le départ de Drago. C’était pas mal et Beda était là pour apprendre et progresser. A mon avis, il a fait un bond en avant et s’est dessiné un avenir intéressant. Nos accords étaient simples. Je couvrais bien ma zone dans la largeur et il gérait la profondeur derrière moi. Si quelqu’un s’évadait dans mon dos, il se chargeait d’aller le rechercher. Cela a bien marché. Le transfert de Jorge Costa l’a effrayé. Mathieu s’était relancé, avait un acquis pour bâtir quelque chose. Il craignait de ne plus jouer et de perdre le fruit de son travail, de repartir à zéro en fin de saison. Dans ces conditions, il a préféré partir sur une note positive afin de tenter sa chance en Allemagne. Honnêtement, à sa place, j’aurais fait la même chose. Quand on est jeune, il faut jouer. On a moins le temps à 22 ans qu’à 34 ans. L’ancien a écrit sa carte de visite, le gamin n’attend que cela. Jorge Costa, c’est un monstre, un très grand arrière central qui n’est pas venu à Liège pour cirer le banc des réservistes.

Si Beda s’est adapté à vous, ne peut-on pas affirmer que Deflandre, Onyewu et Léonard ont dû intégré le jeu de Jorge Costa ?

Oui, ce n’est pas faux. Jorge ne joue évidemment pas comme Mathieu qui, finalement, acceptait de reculer pour couvrir les autres. Jorge nous oblige à jouer plus haut, a un placement haut de gamme, sent le jeu et ses évolutions. C’est un arrière dominant alors que Mathieu dépendait, forcément, plus des événements. Un Jorge Costa sait ce qui sa se passer. Mathieu parlait français, Jorge pas et il a fallu régler le problème du dialogue. Le stage d’hiver au Portugal fut en ce sens très utile. Il n’y a rien à faire : nous devions nous resituer. Par rapport au premier tour, j’avais parfois l’impression d’être assis entre deux chaises. Je craignais d’être débordé dans la profondeur et j’étais constamment sur les gardes : un oeil devant, un autre derrière. En tant que fils de garagiste, je sais comment cela s’appelle : le rodage. Maintenant, la défense a assez de kilomètres à son compteur : ça ira.

 » Il manquait parfois quelqu’un à la conclusion  »

Devant vous, cela a changé aussi : est-ce que les médians défensifs du Standard ne se compliquent pas trop la vie ?

Tout à fait exact. A Monaco, Didier Deschamps m’a aligné parfois à la place qui fut la mienne en équipe de jeunes au Standard : milieu récupérateur. Lui, le pare-chocs par excellence, bardé de succès à ce poste, était simple et précis dans ses exigences : -Tu récupères, tu donnes et ton boulot est terminé. A cette place, Deschamps se plaçait souvent de trois-quarts afin d’avoir le plus grand angle de jeu possible. Un médian défensif ne doit pas se créer de problèmes. Il cède le cuir au plus vite, même si le destinataire est à trois mètres. S’il a le temps de renverser le jeu, tant mieux, mais la priorité est de laver les ballons. On ne peut pas tout faire sur un terrain. Or, j’ai parfois l’impression que les médians défensifs du Standard aimeraient récupérer le cuir mais aussi signer la passe décisive. C’est trop et on se perd alors dans la transmission du ballon. Je me souviens en avoir parlé avec Christian Negouai qui nous apporte beaucoup avec sa taille dans ce secteur. C’est suffisant mais il voudrait offrir plus au collectif, ce qui n’est pas nécessaire car d’autres joueurs assument bien ce rôle. Dans ce secteur, l’équipe penche souvent à droite. Le ballon peut y rester trop longtemps. C’est un vieux problème. Le retour de Milan Rapaic a rééquilibré le tout. Milan, il peut passer inaperçu durant une heure avant de frapper, de sortir un assist, de forcer une différence technique. Siramana Dembele apportera beaucoup aussi. Il y a du monde au milieu mais tout le monde ne doit pas tout faire.

Que vous apportera Igor De Camargo ?

Alan Haydock m’a parlé de lui au stade Roi Baudouin où j’ai participé au tournage de spots télévisés contre le racisme. La dynamo du Brussels m’a certifié que le Brésilien était un personnage sympa mais surtout un attaquant qui percute et pèse dans les 16 mètres. Et avec son accent bruxellois, Alan a ajouté : – Tu verras, il fera beaucoup de bien au Standard. Je le crois sur parole. Mémé Tchite a eu un creux tout à fait logique. Offensivement, nous sommes moins concrets que Bruges et Anderlecht. Mémé a dominé le classement des buteurs de D1 mais, parfois, il se multipliait trop, plongeait, débordait, centrait… mais n’était alors pas dans le rectangle pour reprendre son centre. Il manquait parfois quelqu’un à la conclusion. Il y avait une absence. La réponse n’est pas sortie du groupe, je crois, et c’est pour cela qu’Igor De Camargo est venu.

 » Le Standard a autant de talent que Bruges et Anderlecht  »

Vous vous rendez bientôt à Bruges : un moment décisif ?

Un moment important. Le Standard a autant de talent que Bruges et Anderlecht. La différence, pour autant qu’il y en ait une, se situe au niveau du nombre de joueurs des noyaux. Bruges et Anderlecht peuvent aligner deux ou trois équipes. Ils ont trente joueurs, nous pas. Bruges a encore des obligations européennes. Et alors ? Notre agenda est aussi lourd que le leur. Je n’ai pas peur d’aller là-bas. Avec ces remises, cela fera pas mal de matches en peu de temps. Il faudra gérer. Le stage au Portugal fut extra. Au retour en Belgique, il a fallu entretenir la forme dans des conditions difficiles : mauvais temps, la gadoue, les remises. Pas évident. On a besoin de notre dose de compétition. C’est dur mais il faut s’en accommoder. La remise du match contre la Louvière nous a éloignés de la première place avant le voyage à Beveren. Pas grave, c’est fictif mais cela fait quand même monter la pression. Etre premier, c’est bien quand même. Le staff de Dominique D’Onofrio maîtrise bien cet élément. L’ambiance est excellente. Je me sens bien. Stéphane Demol apporte sa touche, son vécu, son humour. Après le tirage au sort de Montreux, il m’a bien eu en me lançant : – Pour l’Euro 2008, on tombe sur le Portugal et la France. Je l’ai cru et j’ai tout de suite téléphoné à mes amis. Pourtant, personne ne m’appela de France. Bizarre, on ne chambrait pas le Belge. J’ai compris : Demol m’avait mené en bateau.

Cet intérêt prouve-t-il que l’équipe nationale garde une place importante à vos yeux ?

Oui mais je ne décide pas. René Vandereycken a assisté à des matches du Standard. Je ne m’énerve pas : on verra ce que l’avenir m’apportera. La priorité, c’est mon club et si le reste suit, tant mieux.

Sous des côtés de gendre idéal, il y a aussi une autre image, celle du joueur, ou du boxeur, qui dégaine contre Charleroi. Pas beau. Des regrets ?

Dans cette affaire, je suis le seul à avoir pris un coup de poing. Au c£ur de la mêlée, Frank Defays a mis le feu aux poudres. Sa responsabilité n’est pas mince. Orlando m’a frappé. Je n’ai pas eu le temps de voir venir quoi que ce soit. J’ai eu peur d’être gravement blessé, étendu pour le compte. On peut lire cette crainte dans mon regard. Ma position, poing armé, est menaçante. Que voulez-vous ? On m’avait frappé. Mais c’est une attitude défensive, pas du tout offensive. Là, ayant très mal, je dis : – Celui qui approche, je lui envoie une patate comme il n’en a jamais vue. Mais je ne l’ai pas fait. La photo qui me présente dans une attitude de boxeur a fait du bruit. On ne retient que cela. Je regrette mais c’est Orlando qui m’a agressé : je devais me défendre. J’ai été exclu plus tard pour une deuxième carte jaune.

Terminons sur une note plus gaie : vous avez posé pour des photos qui paraîtront dans le supplément Hommes du Vif-Week-End. L’effet Bikkembergs ? Une illustration de votre personnalité plurielle ?

J’aime les belles choses, la mode, les vêtements. Un ami d’enfance, qui a grandi dans la même rue que moi, à Harzé, près de Sprimont, se lance dans ce milieu-là. Il travaille beaucoup, a du talent mais ne dispose pas encore de gros moyens. Ma compagne et moi avons porté ses créations, mais aussi celles d’autres grands couturiers, et Le Vif s’est intéressé à lui et aux photos. Je suis heureux de l’avoir aidé…

PIERRE BILIC

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire