Gare au mur !

Il y a deux races de pilotes à Indy : ceux qui ont pris le mur… et ceux qui vont bientôt le prendre.

Quelques courses automobiles sont connues aux quatre coins de la planète : les 24 Heures du Mans, le Rallye de Monte-Carlo, le GP de Monaco, Indianapolis. Chacune véhicule son lot de clichés : le départ et la nuit au Mans, la neige au Monte, le soleil, les bateaux et les jolies filles en Principauté, les accidents sur l’ovale américain.

Il ne se passe pas une édition des 500 Miles d’Indy sans qu’un pilote au moins soit impliqué dans une sortie ou un accrochage. Là-bas, pas de larges dégagements, de bacs à gravier et de piles de pneus : la piste ovale est bordée d’un mur blanc que l’organisateur repeint soigneusement au lendemain de chaque édition pour effacer toutes les traces de contacts.

Cette année encore, plusieurs concurrents – et non des moindres – ont dépassé les limites durant les essais, notamment le vétéran Mario Andretti et le Hollandais Arie Luyendijk, un ancien double vainqueur qui a préféré déclarer forfait :  » Je ne pense pas que ce soit un bon plan de m’aligner après ce que je viens d’endurer « , a-t-il simplement expliqué.

Tout pour le show

Aux vitesses atteintes – 370 km/h de moyenne en qualification – le choc ne peut qu’être rude. La liste des victimes est plus longue à Indianapolis que sur la plupart des autres circuits. Mais les crashes font partie intégrante du spectacle, et c’est bien de cela qu’il est question avant tout :

 » La haute technologie style F1, le public américain s’en fiche « , affirme Arie Luyendijk.  » Ce que les gens demandent ici, c’est du show, des sensations fortes. Ils veulent aussi tout voir, ne rater aucun incident ; et dans les tribunes d’Indy, ils sont idéalement installés « . Accessoirement, si les dollars suivent, personne ne s’en plaint…

Tout commence trois semaines avant la course, avec cinq jours d’essais libres. Histoire de frapper les imaginations, un classement officieux est établi sur base des moyennes réalisées : 231 miles à l’heure (environ 370 km/h), c’est plus parlant pour le grand public qu’un chrono de 20 secondes et quelques millièmes !

Jour J-15, le pole day. Ces essais qualificatifs suivent un rituel précis : chaque concurrent se trouve seul en piste pour des séries de quatre tours chronométrés et les 24 premières places sur la grille sont attribuées au terme de cette première session. Neuf autres pilotes viendront compléter le peloton lors du bumb day, la séance de rattrapage une semaine plus tard ; mais ils s’élanceront au-delà de la huitième ligne, quel que soit le chrono qu’ils ont signé.

Le compte à rebours est enclenché. Reste un rendez-vous majeur, le carb day consacré aux ultimes réglages des monoplaces ; il a lieu le jeudi précédant l’épreuve.

Les fans, ça se respecte !

Le samedi est dédié à la parade dans les rues d’Indianapolis. Majorettes, orchestres, sono à tout casser, défilé de chars aux couleurs des teams, bannières étoilées omniprésentes en ces temps de Bushmania, tout est bon tant que ça plaise au yankee moyen qui peut côtoyer, toucher, interpeller ses héros. Quoique… Les monstres sacrés ont laissé la main à une jeune génération moins charismatique, emmenée par des Brésiliens ( Helio Castroneves, Gil de Ferran, Tony Kanaan), Suédois ( Kenny Brack) ou Japonais ( Tora Takagki et Shinji Nakano).. Heureusement, Robby Gordon, Scott Dixon et Dan Whledon sont au poste pour défendre l’honneur local. Tous ces gamins ne peuvent cependant faire oublier les dynasties Unser, Andretti et Foyt qui ont écrit quelques chapitres marquants de la saga d’Indy. Certes, Michaël Andretti et Anthony Joseph (dites AJ, ça fait plus couleur locale) Foyt IV sont au départ mais ils n’arrivent pas à la cheville de leurs glorieux aînés.

Aucun pilote ne rate la parade. Poignées de mains, tapes dans le dos, autographes, une photo le gamin dans les bras, on est loin des stars de la F1 qui ne se déplacent qu’en hélico et jettent un regard dédaigneux sur les bouseux accrochés aux grillages délimitant le paddock. Aux States, les champions respectent leurs fans !

Enfin arrive le dimanche tant attendu. 300.000 personnes sont massées autour du Brickyard, le nom donné à cet anneau ovale de 2,5 miles dont le revêtement de base est constitué de plus de trois millions de briques rouges… évidemment recouvertes d’asphalte ; une mince bande de briques symbolise la ligne d’arrivée et rappelle les premiers 500 Miles en 1909.

Nouvelle parade avec stars de la télé et du ciné, gogo girls, flonflons, trompettes ; puis la prière chantée au micro par le pasteur. Hymne national américain, 300.000 mains sur le c£ur. Enfin retentit la formule sacrée :  » Ladies and gentlemen, start your engines « .

C’est parti pour quatre heures de ronde infernale, des dépassements incessants, une dizaine d’arrêts pour ravitailler et ces drapeaux jaunes qui regroupent régulièrement les concurrents derrière la safety car. Rien ne vaut une petite neutralisation vers le 180e des 200 tours pour relancer le suspense durant les ultimes kilomètres, les télés apprécient…

La belle histoire de Sarah

La fin de siècle a été pénible pour Indianapolis. En créant sa propre série l’Indy Racing League (IRL), Tony George, le maître des lieux, prenait le risque de se séparer des vedettes restées fidèles au championnat rival, le CART. Mais il voulait revenir aux sources de la course made in USA : rien que des circuits ovales, de bons vieux moteurs V8, et si possible une majorité d’Américains aux premières loges.

Il avait dans sa manche un atout majeur : les 500 Miles. Les premières éditions de l’ère IRL – à partir de 1996 – furent peu emballantes, puis la tendance s’inversa grâce au retour des ténors du CART. Un certain Juan-Pablo Montoya s’imposa il y a trois ans, d’autres suivirent le mouvement et surtout de nouveaux constructeurs s’impliquèrent.

Conscients de l’impact d’une victoire sur le Brickyard, les deux géants japonais Toyota et Honda affrontent Chevrolet sur son terrain. Grâce à Helio Castroneves, vainqueur en 2001 et 2002, Toyota a décroché la pole pour la 87e édition, ce dimanche. Honda suit avec Tony Kanaan et Robby Gordon tandis que Chevrolet est à la traîne. Mais la marque locale compte un argument commercial intéressant : la Dallara-Chevy n°23 est confiée à Sarah Fisher, un petit bout de femme de 22 ans qui en est à sa quatrième participation et pour laquelle le public a les yeux de Chimène. Pensez donc, une Américaine pur jus, jolie, sympa, sans complexes, qui vient jouer au milieu des boys : on raffole des histoires de ce genre dans les chaumières de l’Indiana…

Sarah ne gagnera pas mais elle peut viser le top 12, voire mieux avec un brin de chance. Car il faut de la chance pour échapper aux pièges qui surgissent à tout instant dans cette course un peu dingue. Demandez à nos Belges Didier Theys, Eric Bachelart ou Wim Eyckmans : tous se sont qualifiés mais aucun n’a eu le droit de poser fièrement avec son team au bout de Gasoline Alley, là où le vainqueur reçoit un trophée haut de plus d’un mètre, à la (dé)mesure d’Indy.

 » Les Américains veulent du show  » (Arie Luyendijk)

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