Gardien de la paix

Pierre Bilic

Le portier des Zèbres a gardé son calme quand la critique déferlait : c’est payant!

Il y a les torturés et les autres, ceux qui dépriment pour la moindre remarque ou au premier mauvais match… ou les éternels optimistes plus forts que l’adversité. Avec son grand sourire et son caractère discret, un peu taiseux, mais sympathique, Istvan Dudas a sa place dans la catégorie des sportifs positifs. Il était arrivé au Stade du Pays de Charleroi à un moment délicat la saison passée. Les Zèbres ne parvenaient pas à quitter la brousse de fin de classement en D1. C’était carrément à la vie à la mort tous les week-ends. Ce grand gaillard leur fut rudement utile.

Istvan Dudas avait des atouts dans tous les domaines. Il parlait espagnol avec Manu Ferrera, une langue qu’il a appris à Lerida, serbo-croate avec tous les joueurs de l’ancienne Yougoslavie, hongrois avec Istvan Gulyas car il est né dans le nord de la Serbie où vit une minorité magyare.

« On n’en a pas idée ici mais la Vojvodine, dont la capitale est Novi Sad, est très belle, plate comme la main mais romantique, rustique, sillonnée de tas de villages typiques et consacrée en grande partie aux cultures maraîchères. Avant, c’était le paradis. La vie est très dure depuis la guerre. Mon père gagne mille francs belges mois. On ne peut pas imaginer cela en Belgique. J’aide les miens bien sûr. Il faudra au moins dix ans pour relancer l’économie. J’ai acheté un appartement mais de l’autre côté de la frontière, en Hongrie ».

Sur le terrain, Istvan Dudas étala tout de suite ses atouts : taille, présence, un des meilleurs jeux au pied pour les gardiens de l’élite. Une arme importante dans le football actuel et qui donna une autre architecture plus complète au jeu de Charleroi. Les Zèbres osèrent enfin s’appuyer sur leur dernier rempart. Sauvés, ils proposèrent un bon contrat de quatre ans à Dudas, acquis pour une quinzaine de millions à Lerida, qui l’avait prêté aux amis de Spirou.

A 27 ans, il a encore ses meilleures années devant lui. Un gardien est à son top aux environs de la trentaine. Dudas était très heureux de se fixer dans le Pays Noir : « Nous avons tous vécu pas mal de moments formidables. J’ai découvert une région qui vit au rythme de son équipe. Un Carolo s’intéresse forcément à son club, c’est un patrimoine. Les Zèbres font partie de toutes les familles. Tout le monde était très concerné par notre lutte pour le maintien en D1. Quand c’est le cas, cela constitue évidemment une force énorme. Il y a eu des moments formidables, à Lokeren, à Alost et contre Anderlecht. Cette chaleur m’a incité encore un peu plus à rester à Charleroi. J’étais bien ».

Istvan Dudas était une des pierres angulaires de l’équipe de Manu Ferrera. En été, Dudas se blessa au tendon d’Achille gauche lors du stage de préparation près des beaux vignobles du Bordelais. La dégustation du cru 2000-2001 commençait mal et Dudas allait vite se rendre compte que le problème était plus gênant que prévu. Pour lui, c’était la saison de la confirmation et c’est souvent la plus délicate. Quand on arrive dans un nouveau pays, il faut d’abord se concentrer sur soi, prouver sa valeur et le reste vient après : la véritable découverte du club, de la région, du style de jeu, etc.

« Je ne crois pas du tout que le problème se situait dans ce domaine », dit-il. « Je m’étais très vite rendu compte que le jeu pratiqué en Belgique me convenait bien. C’est très engagé durant tout le match. Il faut toujours se méfier. Non, en réalité, j’ai été trop gentil, ou coopératif, et j’ai accepté de jouer tout en n’étant pas totalement rétabli. Mon tendon d’Achille me torturait, j’aurais mieux fait de prendre plus de repos. Je devais tout à ce club et je me suis dit que j’allais faire un effort. Normal, mais je n’étais forcément pas certain de mes appuis. L’addition me fut présentée et à ce moment-là, on ne se souvient pas des raisons d’un problème. Je n’en fais pas tout un plat, je serai le dernier à dire que mes torts ne doivent pas être mis en évidence. Plus tard, j’ai souffert de l’épaule. Je me souviens de deux matches à oublier, notamment celui au Standard. A Sclessin, j’ai encaissé un but stupide… »

Un moment important : Manu Ferrera analyse très bien le match, met en exergue le mauvais match de Dudas et s’appuye sur les impressions de Gulyas pour critiquer l’autre Istvan, Dudas. Un peu plus tard, l’ancien coach des Zèbres nous dira : « Je n’ai jamais pour habitude de manier la langue de bois. Je ne pouvais pas dire que mon gardien avait bien joué, on m’aurait pris pour un rigolo. Il était responsable, en grande partie, de notre mauvais match. J’étais quand même un pro-Dudas. J’avais insisté pour qu’il signe à Charleroi, cela veut tout dire, non? Je me suis même rendu à Lerida pour régler le problème et faire baisser le prix du transfert. En réalité, il s’était un peu endormi sur ses lauriers, embourgeoisé, en prenant la mesure de Jean-François Lecomte. La venue d’ Olivier Renard l’a réveillé et on retrouve pour le moment le Dudas de la saison passée ».

Le gardien de but de la plaine du Danube se souvient de cette époque délicate. Il n’en veut pas du tout à Manu Ferrera ou à Istvan Gulyas qui aurait dit à un moment dans son français très rocailleux mais sympathique : « Sur ce coup-là, on n’avait pas un gardien de D1 dans notre cage ». Des mots très durs. Il en faut plus pour déstabiliser Dudas : « Non, je ne me suis pas fâché sur eux. Mais j’étais déçu car quand on jette de telles paroles, qui s’expliquent par la déception d’une défaite, on fait quand même du dégât. C’était inutile. Oublié tout ce que j’avais fait? D’accord, c’est la loi du sport, j’accepte la critique mais j’aurais préféré qu’on dise ça dans le vestiaire, entre quatre yeux. J’ai dû lire tout cela dans la presse sportive dès le lendemain : bizarre mais je n’ai du tout été déstabilisé, j’ai répondu sur le terrain ».

Charleroi se lança à la recherche d’un nouveau portier. Olivier Renard quitta le Frioul et l’Udinese pour revenir, un an, à Charleroi. Dudas en conçut-il une forme d’amertume? « Non pas du tout car c’est le droit d’un club de faire des choix », lance-t-il. « Je suis payé pour bien m’entraîner et pour jouer du mieux que je peux. Y’a pas à sortir de là. Et c’est par là seulement que je devais en sortir et bien me relancer. Je crois à tout ce qu’on voit à l’entraînement. Quand on y répond, dans le travail au quotidien, c’est qu’on est fort dans sa tête. Je l’étais et je suis resté serein en attendant ma chance ».

Sa patience fut payante alors que les gardiens vivaient à trois : qui allait être le cocu de cette histoire? Olivier Renard, qui rentrera en Italie au terme de la saison, débuta très bien mais la presse mit peut-être trop la pression sur ce jeune gardien de but très doué. C’était le Messie. Victime d’une fracture du doigt, il rentra dans le rang et a vécu difficilement ce coup du sort, ce qui fait dire à Dudas : « Je comprends parfaitement sa déception mais il ne doit pas se faire trop de soucis pour son avenir. Olivier Renard est un excellent gardien de but qui réussira même en Italie. A 20 ans, il maîtrise bien beaucoup de paramètres de son métier ».

Jean-François Lecomte se fâcha avant le voyage à Lokeren. Enzo Scifo fut obligé de l’écarter et de le remplacer par un jeune sur le banc. Un coup de gueule étonnant qui ne cadrait pas avec le caractère du Liégeois. « J’ai beaucoup d’estime pour Jef qui est toujours très positif: une crème d’homme », affirme Dudas. On le voit : ce gardien de la paix avait ses soucis, même plus importants que celui de ses équipiers et concurrents, mais il ne perdit pas le nord dans la tempête. Sa boussole n’était pas déréglée alos que les autres étaient perdus dans le grain. Il égara pourtant encore un peu de temps en essuyant une carte rouge contre Anderlecht : « Nous avons tous vécu un moment tout à fait exceptionnel contre les Bruxellois la saison passée. On ne peut pas en dire de même pour le présent championnat. A l’aller, au stade Constant Vanden Stock, nous avons essuyé un terrible 7-2 : cela ne m’était jamais arrivé. Avec le recul, je peux même dire que nous avons cassé à Anderlecht. Nous avions bien entamé la saison mais tout se termina quelque part là-bas. Nous n’avons jamais pu nous en remettre. Je ne crois pas que la direction apprécia ».

Abbas Bayat a dû faire des bulles de rage : être écrasé chez son grand « ami » Michel Verschueren : c’était net. Depuis lors, Charleroi sait qu’Anderlecht ne lui pardonnera plus jamais rien. Bayat attaque Verschueren à la Ligue Pro, Mister Michel répond vertement sur tous les terrains. Si les Mauves peuvent expédier les Carolos dans le décor, ils le feront, Mister Michel nous l’a clairement dit. Au retour, le portier de Vojvodine fit sauter Tomasz Radzinski comme un bouchon de champagne, carte rouge, exclusion. « La jaune suffisait selon moi mais l’arbitre n’a pas tenu compte de l’état du terrain », dit-il. « Je me suis lancé vers le ballon mais Radzinski m’a pris de vitesse ».

Dudas semble toujours trop cool, n’est-ce pas un de ses problèmes? « Je ne crois pas, c’est ma façon de jouer ». Face au Standard, Gulyas lui a reproché de ne pas avoir tué Laurent Wuillot et Ali Lukunku dans son rectangle : « Non, en réalité, il y avait une faute grossière sur moi car j’étais dans les airs. Les images de la télévision l’ont assez prouvé. Je n’ai pas du tout été pris en défaut, c’était bel et bien une erreur d’arbitrage ».

Charleroi n’a pas vécu une saison facile avec des révolutions de palais, la mise à l’écart de Manu Ferrera, le retrait en tant que joueur d’ Enzo Scifo et son intronisation au poste de coach, la fin de carrière de Dante Brogno en tant que joueur, etc. « Ça pétille chez nous », dit-il avec le sourire.

De Manu à Enzo, il y a de grandes différences sur le plan tactique. Ferrera jouait avec trois, quatre ou cinq arrières alors qu’Enzo mise toujours sur quatre défenseurs. « Avant, il y avait trop de changements. C’était difficile de trouver ses repères car ça bougeait trop, presque toutes les semaines. C’est une remarque, pas du tout une critique. Avec Enzo, on ne change pas même si cela ne sourit pas nécessairement : ça finira par tourner de belle façon. Il faut être fort pour ne pas changer son fusil d’épaule alors que la pression est réelle ».

A La Louvière, Charleroi milita donc avec quatre arrières : « Cela me permet de participer au jeu, ce que j’aime bien faire. A cinq, tout est bouché ». Le nul du Tivoli aura peut-être force de déclic pour les Zèbres et marqua les débuts d’un certain Dante Brogno en tant qu’adjoint de Scifo : « J’avais été très surpris par sa décision. Dante était un super-joueur, un dribbleur comme j’en connais peu. Il savait motiver ses équipiers. C’est un battant. Je crois que le duo Scifo-Brogno est une bonne chose. Le problème est que nous n’avons plus de leader sur le terrain. Nous en avons perdu deux en quelques mois : d’abord Enzo puis Dante. Il faudra que quelqu’un reprenne ce rôle. Pas évident. Dante ne devait pas dire grand-chose pour être entendu. Dans l’équipe mais également auprès des arbitres et de nos adversaires, cela compte. Si personne ne remplace Enzo et Dante, je crois que le club devra engager un patron pour la saison prochaine ».

Istvan Dudas habite à Loverval, dans la couronne verte de Charleroi. Son épouse lui a offert un bébé il y a quelques mois. Sa vie a changé du tout au tout. Au point de le fatiguer et d’expliquer ses moments très difficiles cette saison?

« Non, pas du tout », conclut le dernier rempart des Zèbres. « Je dois me battre pour David qui est né le 31 décembre à Charleroi. C’est au contraire une formidable source de motivation. Il n’y a rien de plus beau au monde qu’une naissance ».

Dia 1

Pierre Bilic

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