© EMILIEN HOFMAN

Garçons de salle

Pour retrouver les joies de l’élite mondiale, les membres du board futsal de l’Union Belge ont développé un  » Master Plan « . Le projet est censé outrepasser les querelles de clocher. Explications et reportage au sein de l’équipe nationale à l’occasion de son dernier tournoi exotique avant les qualifications pour le Mondial 2020.

L’excitation des premières foulées est retombée. Face-à-face et regroupés au centre du hall pour effectuer leurs gammes d’étirements, les Mini-Diables prennent le temps de discuter le coup.  » C’est où ça, le Groenland ? « , interroge l’un d’eux. Ses interlocuteurs directs se murent dans le silence, préférant jeter un oeil au cadre environnant : une surface de jeu piégeuse de par ses innombrables lignes de couleurs différentes et une tribune de trois centaines de places exclusivement inoccupées.

La Belgique s’apprête à entamer sa Futsal Week, une compétition amicale organisée à Porec, station balnéaire du nord de la Croatie bourrée de campings et d’hôtels resorts. Brassard de capitaine vissé au bras gauche, Karim Chaibai joue sa dix-neuvième saison en tant qu’international. Il est loin le temps où l’actuel meilleur buteur et homme le plus capé du pays découvrait le futsal en Air Max…

 » Pour nous, c’est une grande révision « , admet-il au calme, deux heures après le succès 6-4 face aux Groenlandais, entre deux parties de rami dans sa chambre d’hôtel. Après l’Arabie saoudite, il affrontera le Turkménistan.  » Ce sont des nouvelles nations du futsal qui jouent à 200%. C’est un très bon moyen de nous préparer à enchaîner les matches à un niveau international.  »

Le 22 octobre prochain, la Belgique débute en effet à Paris le  » Main Round « , deuxième tour de qualifications (sur quatre) pour le Mondial 2020 en Lituanie. Seules six autres nations européennes auront droit à un ticket.

Deux saisons pour évaluer

Luca Cragnaz en a fait logiquement l’objectif de la saison. Cheveux soignés, équipement officiel sur les épaules, le sélectionneur national devise futsal en enchaînant les sodas garantis sans calories dans le lobby de l’hôtel hébergeant la fine équipe. Dans le civil, Luca est responsable de secteur d’un supermarché à Morlanwelz.

 » Je gère aussi une équipe là-bas, donc je suis coach des deux côtés « , sourit-il. Révélé à 18 piges dans les cages de Sambreville, Cragnaz rejoint le projet Action 21 trois ans après sa création en 1997. Il devient alors professionnel pendant cinq saisons, le temps d’empocher une Coupe d’Europe historique avec la formation carolo.

Une fois retraité, il passe dans le giron de l’équipe nationale en tant que coach des gardiens puis devient entraîneur principal lors du départ d’ Alain Dopchie, en 2016.  » Les deux premières saisons ont servi d’évaluation : j’avais mon idée et je voulais voir quels joueurs y adhéraient « , lance-t-il.

 » Mes critères majeurs étaient la force physique et une mentalité irréprochable. J’ai fait pas mal d’essais avant de constituer un noyau large de 27, 28 joueurs réceptifs et avec qui il est possible de travailler des choses simples. Parce qu’on n’a pas beaucoup de temps.  »

Le long du terrain, le sélectionneur adopte le comportement d’un coach de basket : toujours en mouvement, collé à ses remplaçants à qui il envoie un nombre incalculable de consignes et prêt à adapter sa tactique à tout moment, au point de jouer avec un  » goal volant  » lorsque le Groenland le malmène et mène 2-1 avant la pause.

Un Master Plan pour évoluer

 » Nous avons développé un Master Plan pour faire prendre au futsal belge une dimension supplémentaire « , note encore celui qui se charge également des U17 et U19 garçons et des féminines.  » Le staff est le même pour chaque équipe. C’est en homogénéisant la structure que nous pourrons avancer.  »

Derrière, l’Union Belge (UB) oblige également les clubs de D1 et D2 à disposer d’équipes U15, U17 et U21 avant, l’année prochaine, d’ajouter aux exigences un squad féminin. De belles volontés qui risquent toutefois de se heurter à la séparation du futsal francophone en deux Fédérations : la Ligue Francophone de Football en Salle et l’ACFF.

Sur fond de musique d’ascenseur, le président du département futsal de l’UB, Jean-Pierre Notelteirs, vide son café et son sac.  » L’ADEPS ne reconnaît qu’une seule fédération par sport et ça a toujours été la Ligue francophone de futsal « , explique-t-il.  » L’ACFF n’a jamais reçu de subsides et n’a donc pas de divisions provinciales. Nous sommes dans un pays où on ne marche qu’avec une jambe.  »

Pour des raisons (principalement) d’ego, les deux Fédérations ne sont actuellement pas enclines à unir leurs forces. Jean-Pierre Notelteirs a connu la deuxième provinciale avec Westerlo. Jusqu’aux sommets. De sa maison, il voit toujours les spots du Kuipje. Mais il n’y met plus les pieds depuis près de vingt ans.

 » Le jour où Herman Wijnants a voulu intégrer le Comité exécutif de l’UB, il m’a demandé de démissionner sur papier, vu qu’il était à l’époque interdit d’avoir deux membres d’un même club « , situe le sosie campinois de Jean-Pierre Coffe.  » C’est la plus grande bêtise de ma vie : je n’ai plus pu rentrer au stade ensuite. J’ai été victime d’une sorte de putsch.  »

Davantage qu’un sport de banlieue

Sa casquette de membre du Comité exécutif toujours vissée sur la tête, Notelteirs reçoit en 2002 la responsabilité du département futsal. Lors du premier match auquel il assiste, il doit demander à son voisin des précisions sur les règles du jeu. Dix-sept printemps plus tard, assis sur une chaise blanche en plastique, le menton au repos sur sa main, plus rien ne lui échappe. Et surtout pas l’agressivité affichée par l’équipe d’Arabie saoudite lors du deuxième match de la Futsal Week.

Au bout du compte, les Belges s’imposent 5-3 et leurs adversaires voient rouge à deux reprises. De quoi fâcher un joueur saoudien, qui vole le bristol de la main de l’arbitre avant de se le faire lui-même subtiliser par son entraîneur espagnol, véritablement possédé. Le président de la fédération du Golfe termine le récital en montrant, depuis les tribunes, son majeur à l’un des Mini-Diables.  » Ce match n’est pas une bonne publicité pour le futsal « , déplore encore Notelteirs, avocat honoraire et persuadé que la discipline souffre d’une réputation d’appendice du football.

Originaire de Marchienne-au-Pont, Karim Chaibai corrobore les propos de son président, lui qui a toujours dû faire face à cette image négative d’un sport dit de  » banlieue  » et snobé par son frère de prairie.  » Pourtant, c’est une discipline spectaculaire : c’est rythmé, il y a de la tactique et plein d’occasions… C’est un peu comme le basket et il faut s’en inspirer. Tu peux faire une sortie en famille, profiter des temps morts pour les animer, faire des petits jeux, etc. Là, tu vas commencer à toucher du monde « , assure le capitaine national, avant de sortir la meilleure carte de son jeu : l’auto-dérision.

 » Putain, je parle comme un politicien !  » Ce n’est pas tout à fait faux. Chaibai est échevin des Sports et de la Jeunesse de la ville de Charleroi, qu’il aime présenter comme  » la plus grande métropole wallonne « . Candidat d’ouverture avec un ami, il s’est au départ présenté pour avoir des relais et des contacts, notamment pour retaper des agoras. Ça va faire un an qu’il travaille à temps plein, sous les ordres de Paul Magnette (PS).

Un Sportpaleis complet lors de l’EURO 2014

 » Dans ma jeunesse, j’ai eu la chance d’être encadré et je sais ce qu’un sport apporte aux jeunes « , appuie-t-il, un biscuit à la main.  » Si je n’avais pas été au futsal, j’aurais pu faire deux ou trois conneries. Après, on connaît l’engrenage : tu vas en maison de jeune, tu ne fais pas de bonnes rencontres et quand tu sors de là, tu deviens forcément un peu plus bandit. Si tu as une structure, un encadrement, tu peux éviter ça.  »

Archétype parfait de cette réussite de l’éducation par le sport – certes parfois un peu trop enjolivée – Karim Chaibai a autant de travail pour encadrer les jeunes que pour convaincre le grand public.

En 2014, le Championnat d’Europe organisé à Anvers reçoit pourtant un franc succès populaire. Les Diables Rouges – pour qui une prime de 200 euros par personne est prévue en cas de titre continental – sont éliminés au premier tour, mais le Sportpaleis affiche complet.

 » On a battu le record d’assistance pour une finale d’EURO avec plus de 13.000 spectateurs « , se félicite Luca Cragnaz, déçu de ne pas avoir converti l’essai.  » On espérait que l’engouement donnerait un vrai boost au futsal, mais malheureusement, on n’a pas ressenti l’impact… C’est vite retombé.  »

Présents à l’heure de l’événement, les médias se font à nouveau discrets dans les halls. Seule BX1, chaîne de la capitale, propose un suivi via Foutsal, une émission que captain Karim ne manque que rarement. Pareil pour Reda Mohamed Dahbi, deuxième joueur le plus capé de la sélection, éducateur dans la vie, et accessoirement comparse de chambrée de Chaibai.

 » Le problème, c’est que les mecs arrivent avec des joggings dépareillés ou en djellabah… Ça ne fait pas sérieux : un entrepreneur qui voit cette scène ne va pas avoir envie d’investir dans notre sport.  »

70 euros brut par journée en Croatie

Un homme semble susceptible de faire bouger les choses : Roberto Martinez. Pro-futsal, parce qu’il fait partie intégrante du développement des jeunes footeux sur ses terres, l’Espagnol a récemment tenu à afficher son soutien à l’équipe, lors d’un rassemblement à Tubize.

 » Cela fait du bien parce qu’il y a beaucoup de belles promesses, mais on ne fait rien « , lance Jean-Pierre Notelteirs.  » Ces derniers temps, je dois toutefois avouer que les choses évoluent favorablement, notamment au niveau des équipements.  »

Lorsque les Mini-Diables remportent un match, ils ne réclament pas de prime, mais bien leur maillot. Un objet-souvenir jusqu’ici jamais accordé, faute de budget. Les futsaleurs ne sont pourtant pas des rapaces : ils gagnent 70 euros brut par journée passée en Croatie.

Sur le parquet croate, le succès face à l’Arabie saoudite est vécu comme une délivrance par les Belges, au charbon pendant plus de deux heures quart pour disputer 40 minutes effectives.

 » On ne chante jamais, mais là on va s’y mettre pour les faire chier « , plaisante Karim à l’entrée des vestiaires avant d’entamer le sacro-saint  » Waar is da feestje « , pour la forme. Deux jours plus tard, la Belgique s’impose 5-1 en finale contre le Turkménistan. Une modeste ligne supplémentaire sur un palmarès en bonne partie bâti durant les années 80-90, entre deux participations consécutives à l’EURO et trois aux Mondiaux, dont une héroïque quatrième place en 1989.

 » Lorsque les autres équipes internationales ont commencé à se professionnaliser, on est resté sur notre petit nuage en s’entraînant une à deux fois par semaine « , regrette Luca Cragnaz.  » Aujourd’hui, la Belgique est 20e au classement européen, derrière des pays comme la Slovénie ou la Hongrie dont les championnats possèdent plus de joueurs professionnels que nous, sans pour autant les payer 10.000 euros par mois. »

Objectif Top 16

Actuellement, Halle-Gooik est le seul club de D1 à être structuré comme une entité professionnelle.  » Mais beaucoup hésitent à quitter leur boulot pour signer un contrat là-bas « , nuance le sélectionneur.  » Par contre, le jour où il y aura cinq, six clubs professionnels en D1, ça fera cinq, six chances supplémentaires d’avoir des joueurs pros.  »

Le  » Master Plan « , les résultats de l’équipe nationale et le travail de sape des prochains mois auront pour objectif de conférer au futsal un statut d’adjuvant et non d’ennemi du football de prairie. Cela passe inévitablement par des investissements de l’Union Belge.

 » Pour le moment, il y a un demi-employé qui se charge de tout pour le futsal… En Espagne, ils sont 21. Si vous téléphonez à l’UB pour avoir des infos, il est possible qu’on vous dise de réessayer plus tard. Comment voulez-vous que l’on s’améliore dans ce contexte ? « , interroge Jean-Pierre Notelteirs, en reposant sa tasse de café.

De quoi donner une importance supplémentaire aux résultats du futur  » Main Round  » en France pour faire avancer les choses. Les Mini-Diables y rencontrent la France, la Suisse et la Serbie.  » Si on suit la logique, on ne devrait pas se qualifier pour la Coupe du monde « , tempère Luca Cragnaz.

 » Mais on veut absolument le faire pour grappiller des places au classement européen. À terme, notre but est d’intégrer le top 16 pour éviter le premier tour de qualifications pour le Mondial.  » Une mauvaise nouvelle pour la situation géographique du Groenland…

Les Mini-Diables, tantôt à l'écoute de leur coach, Luca Cragnaz, tantôt en action face à l'Arabie saoudite. Un match, scellé par une victoire 5-3, qui aura finalement duré deux heures pour 40 minutes de jeu effectives. Il est vrai que l'adversaire du jour n'y est pas allé de main morte,  avec notamment deux exclus dans ses rangs.
Les Mini-Diables, tantôt à l’écoute de leur coach, Luca Cragnaz, tantôt en action face à l’Arabie saoudite. Un match, scellé par une victoire 5-3, qui aura finalement duré deux heures pour 40 minutes de jeu effectives. Il est vrai que l’adversaire du jour n’y est pas allé de main morte, avec notamment deux exclus dans ses rangs.© EMILIEN HOFMAN
Garçons de salle
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