GAONE ET SES POMMES POURRIES

Jan Hauspie
Jan Hauspie Jan Hauspie is redacteur bij Sport/Voetbalmagazine.

Un sms de Wagneau Eloi semble prouver que la défaite 7-0 de La Louvière face au Lierse, la saison passée, n’était pas seulement un règlement de comptes à l’égard de Filippo Gaone. Mais que savait le président ?

En janvier 2005, La Louvière est en stage en Turquie. Le président Filippo Gaone arrive, de manière inattendue, au Topkapi Palace. C’est inattendu dans la mesure où le dirigeant n’est pas de ceux qui se mêlent des affaires quotidiennes de leur club. En stage, il ne se montre jamais. Mais pas cette fois-là.

La Louvière a terminé troisième du premier tour. Son football frais et offensif lui vaut moult compliments. Ceux-ci sont essentiellement destinés à son entraîneur, Albert Cartier. Ce succès a son revers : avant la Noël, Matthieu Assou-Ekoto a signé au Standard et peu avant le stage, l’équipe perd aussi Manaseh Ishiaku et Michael Klukowski, transférés au Club Bruges. Yannick Vervalle part à Mons. Comme Michael Murcy est également sur le point de partir (il finira en Scandinavie), Cartier craint de ne plus avoir assez d’attaquants, d’autant qu’après quatre journées de championnat, Peter Odemwingie avait rejoint Lille. Il insiste donc pour obtenir Wagneau Eloi. Cartier peut compter sur le soutien du manager du club, Stéphane Pauwels, mais ne trouve pas d’écho auprès de Gaone. Le président estime avoir pris assez de points.

La Louvière ne doit pas craindre pour le maintien mais moins le président devra verser de primes, mieux ce sera. Cartier obtient quand même ce qu’il demande. Daniel Leclercq, ex-entraîneur des Loups, a joué la Ligue des Champions avec Eloi, à Lens. Il le recommande et le joueur haïtien rejoint les Loups avec un contrat de six mois en poche.

Gaone n’est pas enchanté. Il sent qu’il n’a pas de prise sur le tandem Cartier-Pauwels, qu’il soupçonne de monter le vestiaire contre lui. Il décide de tenir l’équipe à l’£il en Turquie. Il a entre-temps postposé sa décision de limoger Pauwels à dater du 1e janvier mais il est résolu : il ne travaillera pas plus longtemps que nécessaire avec Pauwels et Cartier.

 » Au printemps 2004, nous avons disputé une joute amicale contre l’équipe nationale d’Egypte « , se souvient Ariel Jacobs, le prédécesseur de Cartier à La Louvière.  » Brusquement, quelqu’un me saute au cou. Stéphane Pauwels ! Je ne l’avais encore jamais vu mais il a fait comme si nous nous connaissions depuis des années. L’affabilité personnifiée, débordant de compliments. Je me souviens qu’après ce match, Gaone n’est pas venu dans le vestiaire, ce qu’il faisait pourtant d’habitude. J’ai trouvé ça bizarre et je lui ai téléphoné. Il est apparu qu’il avait quitté immédiatement le stade pour ne pas devoir croiser Pauwels. En effet, celui-ci ne cessait de l’appeler pour se proposer à la succession de Roland Louf et Gaone en avait marre. Je ne sais pas pourquoi il l’a finalement engagé. Des contacts sporadiques que j’ai eus par la suite avec Gaone, j’ai pu comprendre que selon lui, Pauwels et Cartier avaient fait dépérir le club. Il était fâché de n’être pas intervenu plus tôt. – J’ai nettoyé l’écurie trop tard, disait-il « .

Chiffre porte-bonheur

Gaone emploie la même terminologie à double sens quand il annonce le grand nettoyage du vestiaire, avant cette saison. La défaite 4-1face à Mons, son grand rival, lors de la 28e journée, l’a particulièrement affecté. Ses joueurs sont invisibles – et s’enfuiront ensuite comme des voleurs. Trois jours plus tard, Mons annonce qu’il a repris Stéphane Pauwels dans son staff sportif. Dans des interviewes, Pauwels s’en prend vivement à Gaone mais le pire est encore à venir pour le président des Loups : lors de la dernière journée, son équipe s’incline 7-0 au Lierse.

Ce soir-là, les langues se délient. La veille du match, quelques joueurs ont molesté le secrétaire du club et pillé le matériel. A leur retour de Lierre, quelques portes du stade sont à nouveau défoncées. Du matériel disparaît encore. Cartier n’intervient pas. On dit que le Tivoli est en proie à l’anarchie totale. Des joueurs qui savent depuis longtemps qu’ils figurent sur la liste noire de Gaone se vengent.

Nous sommes le 21 mai 2005. On n’a pas encore écrit une ligne sur Zheyun Ye. Il est pourtant bien là. Ceux qui tiennent à l’£il ses infiltrations du football belge soupçonnent que ce grotesque 7-0 dissimule autre chose. Vendredi dernier, au journal de la VRT, une source anonyme a montré un sms reçu ce fameux 21 mai, une heure après le match :  » Tu vois, nous en avons encaissé sept. Ils n’ont pas pu en marquer plus. Nous avons bien pu contrôler le match « . L’auteur : Wagneau Eloi. Le témoin affirme que le Français d’origine haïtienne est une plaque tournante du scandale des paris. Eloi réagit avec fureur. Il nie l’accusation, même s’il reconnaît que le match contre le Lierse n’a pas connu un déroulement normal. Selon lui, les joueurs avaient décidé de disputer un non-match parce que Gaone ne les avait plus payés depuis des semaines.

Etrange quand même. Normalement, celui qui n’obtient pas ce à quoi il a contractuellement droit se tourne vers le tribunal. A moins que tout ne soit pas correctement couché sur papier, évidemment. Donc, ce serait une vengeance à l’égard du président ?  » Non « , affirme un insider.  » Cela ne s’est pas vraiment passé comme ça. Les joueurs ont mis en scène leur différend avec Gaone. Le vol de matériel devait faire croire que l’action était dirigée contre lui mais ce n’était pas ça. D’ailleurs, ce 7-0 ne relevait pas du hasard : le sept est le chiffre porte-bonheur des Chinois… « . C’est bien possible. Un joueur (français) aurait en effet crié dans le vestiaire, avant le match:  » Et alors, qu’est-ce que ce sera aujourd’hui: 7-0?  » Selon Eloi, cela aurait dû être 10-0. Cela paraît trop fou pour être vrai, si ce n’est qu’il ne l’a pas inventé de toutes pièces dimanche: il y a des mois, in tempore non suspecto, il avait raconté la même chose à des intimes. Quoi qu’il en soit, entre ses états de service à la Louvière et à Roulers, Eloi a effectué un test d’une semaine aux Etats-Unis. A l’initiative de Pietro Allatta.

Un agneau docile

Lierse – La Louvière fait partie des rencontres entachées d’un soupçon de fraude. Mais que sait ou savait Filippo Gaone ? Il clame d’abord qu’il va jeter les pommes pourries mais quand de plus en plus d’éléments semblent confirmer ses insinuations, il se replie derrière un complot communautaire dirigé contre son club : c’est quand même troublant.

Gaone semble avoir plusieurs visages : tyrannique dans son entreprise, mou dans son club. La semaine dernière, La Dernière Heure/Les Sports a tracé un portrait sans pitié de celui qui est également le patron de Tournesols, une entreprise de produits de jardinage. Réputé pour rabrouer son personnel il n’est plus qu’un agneau, selon le quotidien, quand il s’agit de Pietro Allatta, le redoutable manager qu’on voit entrer et sortir, à Châtelineau, comme s’il était chez lui.  » Cinéma « , jugent les employés de Tournesols en lisant que Gaone traite Allatta de mafioso. La Dernière Heure écrit :  » Ceux qui travaillent pour Gaone témoignent qu’il n’obéit qu’à une seule loi : la sienne. Et qu’il n’a de respect que pour les Allatta « .

Les deux hommes d’origine italienne n’ont pas cessé de se fréquenter après le transfert de Silvio Proto à Anderlecht. Laurent Denis, l’avocat de La Louvière, est également un visiteur régulier de Châtelineau, selon le journal, même s’il tente à tout prix de faire croire qu’il n’a que des contacts superficiels avec Allatta. Les bureaux de Tournesols sont l’épicentre de la prise de décisions de La Louvière. C’est là qu’on a notamment signé le contrat de Martin Ekani, en présence de son manager, le mystérieux Antar et d’Allatta, dévoile toujours le quotidien.

La présence d’Allatta semble laisser peu de doute sur l’identité de celui qui détient le pouvoir de fait, au sein de ce trio  » homme d’affaires avec argent/manager avec portefeuille de joueurs/avocat avec bagage juridique « .

La position dominante d’Allatta jette un autre éclairage sur ce que Gaone annonçait comme un grand nettoyage il y a dix mois. Des joueurs doivent partir mais pourquoi ? Les enquêteurs s’intéresseraient de plus en plus, dans le scandale des paris, à la façon dont les joueurs passent d’un club à l’autre. Après les déclarations de Gaone, Gunter Van Handenhoven rejoint Lokeren, qui discute aussi avec Cartier, sans parvenir à un accord. Geoffray Toyes signe à Mouscron, bien que Stéphane Pauwels affirme qu’il aurait dû rejoindre le Brussels avec Cartier. Après de longues négociations, le coach français parvient à emmener Mario Espartero dans son nouveau club.

L’option du contrat d’Eloi n’est pas levée. Cartier veut aussi l’emmener au Brussels mais pour l’une ou l’autre raison, l’attaquant atterrit à Roulers. La Louvière semble heureuse d’en être débarrassée. C’est un bon footballeur quand il a envie de jouer, mais il est d’un naturel emporté : une fois, à cause d’un problème de paiement, il s’en est violemment pris au comptable.

Pizza à volonté

Ce n’est pas un incident isolé. Eloi se fait aussi remarquer à la Pizzeria Bertoni. Le restaurant italien est une deuxième maison pour tous ceux qui sont liés de près ou de loin à La Louvière. En échange de publicité, le patron tient à tout moment quelques tables à la disposition des entraîneurs et joueurs. Ceux-ci en profitent abondamment, certains même trop. Selon La Dernière Heure, Gaone doit promettre au patron de Bertoni que les Français Eloi, Toyes et Cartier limiteront leur consommation de plats et de boissons.  » Bertoni est l’endroit où toutes ces magouilles se jouent « , affirme encore notre insider.

Et le journal de conclure que Gaone vit des moments durs, d’autant que ses affaires ne sont pas des plus florissantes. Il a déjà perdu son magasin de jeans, Cactus, et on a déjà coupé l’électricité chez Tournesols, à cause de factures impayées. Il reçoit de plus en plus souvent la visite d’huissiers. Et sans aucun doute, son club aura bientôt la visite du Parquet.

JAN HAUSPIE

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