» Gand est le club de l’avenir « 

Au début des PO1, Gand devance Anderlecht, le champion en titre, et n’a que deux points de retard sur le leader, le Club Bruges. En plus, à la fin du championnat régulier, il a battu les deux favoris. Hein Vanhaezebrouck, coach des Buffalos, a rendu visite à notre rédac, pour détailler le travail qu’il a réalisé à la Ghelamco Arena.

A l’issue du lunch et de l’interview, il pose en compagnie du personnel de cuisine. L’un d’eux est supporter d’Anderlecht, un autre s’avère fan du Beerschot.  » Ah, le Beerschot va être champion, c’est certain ! « , sourit Hein Vanhaezebrouck.  » Mais c’est nettement moins sûr pour Anderlecht.  »

Deux heures plus tôt, au début de l’interview, il a jugé phénoménal le fait que Gand ait achevé le championnat régulier avec le même nombre de points et un meilleur goal-average que le champion en titre. Les Buffalos ont terminé onzièmes et septièmes des deux dernières éditions.

Pourtant, l’entraîneur est monté au front, pendant la trêve hivernale, face aux journalistes qui estimaient que la lutte pour le titre se jouerait entre le Club Bruges et le Sporting.

 » Ma réaction était basée sur mes sentiments et sur base des matches qu’ils avaient joués « , explique-t-il.  » La qualification pour les PO1 constituait notre priorité. Nous avons souvent répété que nous n’avions pas le droit de les louper. Nous avons donc été sous pression par moments.

Jusqu’au Nouvel An, nous avons joué bien, voire très bien mais pas assez efficacement. Nous avons trouvé le chemin des filets trop difficilement tout en encaissant trop de buts. L’arrivée de Moses Simon nous a apporté un surcroît de finesse, de pureté et d’efficacité devant le but alors que la défense était devenue plus sûre.

Nous avons, depuis lors, assimilé des variantes tactiques. Les joueurs commencent à réfléchir avec moi et ils saisissent de mieux en mieux les nuances.  »

 » Gand gère de mieux en mieux la pression  »

Le football de Gand lui vaut beaucoup de compliments : dominant, difficile à contrer, avec des joueurs qui plongent de tous côtés dans les brèches.

Hein Vanhaezebrouck : On me les faisait déjà en D2. C’est ma vision du football. Je ne vais pas dire à mon gardien :  » Dégage ces ballons dans la tribune « . Ni à mes défenseurs :  » Ne participez pas à la relance, tapez les ballons en avant, le plus vite possible, jouez verticalement !  » J’essaie toujours de construire depuis l’arrière, même contre les grandes équipes, tout en dépendant des qualités de mes joueurs. A Gand, je dispose d’un noyau très étoffé, je peux effectuer beaucoup de changements et effectuer des choix spécifiques, pour placer des accents particuliers, en fonction de l’adversaire et des possibilités qui vont s’offrir à nous. Encore faut-il que les joueurs se sentent bien.

Notre match contre le Cercle, la première journée, a été dramatique alors que la préparation avait été bonne et que j’avais pu enseigner tout ce que je demandais. Mais c’était le premier match, nous étions nerveux et crispés. En Coupe contre Anderlecht, nous avions aussi la peur au ventre à cause de l’enjeu : la finale. Il y a eu trop de déchet dans notre jeu. C’est ma plus grande déception. J’ai insisté là-dessus : je ne veux plus constater trop peu d’audace sous prétexte que l’enjeu est important. Depuis, nous gérons de mieux en mieux la pression. Dans notre match de championnat contre le Sporting, Nielsen a commis une erreur mais ensuite, il a rejoué franchement.

Quelle est l’importance du physique dans votre football ?

Enorme. Ma vision est très claire : pour dominer le jeu, il faut tenir 90 minutes. La saison dernière, on a conseillé à mon assistant de ne pas dispenser deux séances par jour car le groupe n’en était pas capable et que cela provoquerait beaucoup de blessures. Mais après trois mois, nous comptions deux fois plus de séances et le taux de présence à l’entraînement était nettement plus élevé que la saison précédente. Il faut simplement s’habituer à un autre régime d’entraînement.

Pourquoi Hazard et De Bruyne ont-ils autant progressé physiquement en Allemagne ? Parce qu’on s’y entraîne beaucoup plus qu’ailleurs et qu’ils sont capables de s’y adapter. Si vous ne soumettez pas les joueurs à un régime plus lourd, ils ne progresseront pas. Evidemment, le football est aussi une question de culture. Le style des entraîneurs espagnols est différent : c’est du tiki-taka, tout se déroule avec le ballon.

 » Si un bon joueur n’a pas de moteur performant, on ne le prend pas  »

Et notre culture, c’est dur, plus dur, très dur ?

Il faut se poser la question suivante : avons-nous les joueurs requis pour développer le football ibérique ? La Belgique est également très forte sur le plan tactique. Nous avons tendance à nous diminuer mais ici, les entraîneurs sont à même de former une équipe. Les étrangers ne trouvent pas notre championnat si facile non plus : on travaille beaucoup, il y a énormément de duels. Il faut donc être bien sur le plan physique.

Dans quelle mesure tenez-vous compte, dans vos choix, de la VO2max des joueurs en tant qu’indication de leur niveau ?

C’est important. C’est partiellement inné. Quelqu’un qui a une VO2max de 50 ne peut pas obtenir 60. Si les tests médicaux révèlent que le moteur du joueur n’est pas suffisant, nous ne l’embauchons pas, même s’il est bon.

Quelle est la limite ?

Une VO2max de 60. Simon a 63. Il est arrivé ici avec une vitesse de 13,6 km/h sans saturation et il est déjà à 14,7. L’entraînement lui a permis de gagner plus d’un kilomètre. Trois ou quatre joueurs sont déjà dans la zone allemande, soit au-dessus des 16 km/h. En début de saison, j’ai comparé les joueurs à des autos : une VO2max de plus de 67, c’est une Porsche Cayenne. Entre 63 et 67, on a une Mercedes E, etc. Evidemment, on peut conduire une Mercedes comme Lewis Hamilton ou comme ma grand-mère. A quoi sert un moteur puissant si on ne l’exploite qu’à moitié ? L’effort doit augmenter pour pouvoir exploiter la puissance maximale. Cette évolution est liée au potentiel physique mais aussi à la mentalité, à la motivation, à l’attitude.

Vous avez soumis le groupe à un énorme changement physique et mental.

J’ai tout discuté avec la direction à l’avance. Nous avons décidé de commencer avec des jeunes et d’éventuellement tenter de les monnayer. Nous avons aussi enrôlé des joueurs comme Oussalah, Belhocine, Gershon et Kums, dotés d’un bon physique, d’un mental solide. Nous avons ainsi formé un vestiaire fantastique. Plus Van der Bruggen, Neto et Foket, qui détiennent une excellente condition physique, et Raman, qui a travaillé avec moi à Courtrai. Ils voulaient tous participer à cette aventure. Et Depoitre ! Un cadeau du ciel. Un avant doté de capacités physiques rares : endurance, vitesse, détente et, maintenant, rendement.

 » Quand les points ne suivent pas, la direction de Genk devient pesante  »

Il a aussi la réputation de boire beaucoup ?

J’ai entendu ces rumeurs, sans savoir si elles étaient exactes. En tout cas, c’est impossible quand le régime des entraînements est aussi élevé. Je n’ai pas encore entendu de plaintes cette saison, d’ailleurs.

Il a une amie depuis l’été dernier. Y est-elle pour quelque chose ?

Ça a une influence, en effet. C’est important pour tout le monde.

Conseillez-vous aux joueurs d’avoir une relation amoureuse stable ?

Ça ne peut pas se forcer et encore faut-il que la relation soit bonne. Si c’est le cas, c’est un plus. Regardez Sven Nys : il a beau dire que non, vous pouvez être sûr que son divorce a joué un rôle crucial dans ses contre-performances.

C’est le deuxième club du G5 que vous entraînez. A Genk, vous avez échoué et avez été remercié au premier tour. Le Hein Vanhaezebrouck de maintenant, qui a cinq ans d’expérience de plus, aurait-il réussi ?

Non. Engagez-moi avec les mêmes éléments qu’alors et ce sera exactement la même chose.

Avez-vous mené un combat impossible à gagner ?

Impossible. Un peu de chance aurait été utile, évidemment. Nous avons joué de bons matches au début mais en ratant toujours d’un rien. Nous avons été placés sous pression. Quand les points ne suivent pas, la direction devient pesante. En plus, elle était elle-même en cours de restructuration.

Compte tenu de ce que vous savez maintenant, que feriez-vous autrement ?

Je m’informerais mieux pour être sûr que ce qui a été convenu sur le plan sportif pendant nos négociations est respecté.

Avez-vous été trop naïf ?

Quand vous quittez Courtrai pour votre premier grand club et qu’on vous explique qu’on va faire ceci et cela et que vous le croyez, êtes-vous naïf ?

La Gantoise n’a pas une excellente réputation : elle s’est surtout distinguée par le commerce de ses joueurs et le limogeage des entraîneurs, ces dernières saisons.

De ce point de vue, elle n’était pas facile.

 » Je crois en ma vision et Gand aussi  »

Pourquoi vous être engagé, alors ?

Parce que je crois en moi et que le club m’a assuré qu’il suivait ma vision et mes analyses. J’ai dû insister, pousser, pour certaines choses mais le club m’a suivi, sans faire de fausses promesses. Nous continuons sur notre lancée car d’ici quelques années, nous voulons réaliser un nouveau centre d’entraînement. La Gantoise est le club de l’avenir. Nous sommes les premiers à avoir construit un nouveau stade et combien de temps faudra-t-il avant qu’un autre club y parvienne ? Ça va traîner jusqu’en 2020 au moins, quand l’arène d’Anderlecht sera prête.

Entre-temps, notre assistance de 10.000 personnes a quasiment doublé. Pour les affiches, nous manquons même de places. Si Gand reste parmi les trois ou quatre premiers dans les années à venir, il faudra peut-être agrandir le stade. Quand on est le club de l’avenir, on doit anticiper et dire : il faut avancer sur tous les fronts. Entre l’E40 et l’E17, il y a déjà un coin hyper moderne avec un stade flambant neuf, deux buildings également neufs, un pont qui enjambe la Lys. Bientôt, un hôtel va s’y ajouter. Vu d’internet, c’est Dubaï. Il n’y a ça nulle part ailleurs dans le pays.

Où seriez-vous mieux, comme entraîneur ?

Je suis bien ici, je le sais.

Mais le commerce des joueurs se poursuit : Simon avait à peine défait ses valises que Michel Louwagie annonçait qu’il coûterait 20 millions.

Nous ne devons pas y accorder trop d’importance. Ce n’est qu’un signal, envoyé pour dire qu’il n’est pas à vendre.

Eva Maenhout, coach mental, a rejoint le staff en janvier. Elle a travaillé pour l’entreprise du président et a été impliquée dans les équipes d’âge de Gand. Aviez-vous besoin d’une psychologue ?

Dès le début, le président a souligné que le suivi psychologique était une terre en jachère, en Belgique. Avant, je pensais pouvoir m’en occuper moi-même. Quand on commence sa carrière d’entraîneur à Courtrai, on n’a pas le choix. Mais je suis convaincu qu’un coach mental aide à défricher le terrain et à obtenir un rendement encore plus élevé des joueurs. Le président trouvait que ce serait positif si nous trouvions la bonne personne. Eva m’a fait bonne impression, ce qui n’était pas le cas d’autres psychologues.

 » D’après la psychologue du club, je suis un cas spécial  »

Un coach mental féminin est-il un atout dans un milieu masculin ?

Ses atouts, ce sont ses qualités. Elle désarme un peu les joueurs. Certains apprécient énormément sa collaboration. Eva nous apporte une plus-value réelle.

Un aspect vous plaît-il moins ?

Le screening des joueurs n’a pas amené de grosses surprises. La vision que j’ai d’eux et mes entretiens vont dans le même sens. Mais ma position d’entraîneur principal est totalement différente de celle d’un coach mental lié au secret professionnel.

Un coach ne peut-il être une personne de confiance pour ses joueurs ?

Si. J’essaie de l’être et ça marche mais certains joueurs le ressentent différemment. Eva a trouvé chez quelques-uns des aspects qui nous ont surpris et procuré des informations intéressantes, pour modifier notre approche.

Avez-vous aussi recours au coach mental pour vous-même ?

Oui.

Comment ?

Je suis un cas spécial ! (Rires)

C’est elle qui le dit ?

Elle dit que mon profil est plutôt exceptionnel. Je suis tout seul dans ma catégorie.

Une catégorie que Carl Gustav Jung n’a pas découverte ?

Non, elle existe mais d’après elle, la plupart des entraîneurs se trouvent dans la catégorie des surveillants, de ceux pour lesquels tout doit être correct.

Dans quelle catégorie vous situez-vous ?

Plutôt dans celle des inventifs. Je lui ai demandé si ce n’était pas un problème car je travaille avec un groupe extrêmement sensible mais elle m’a assuré que non, au contraire : avec un noyau aussi émotif, il est bon d’avoir des gens rationnels, qui remettent les autres les pieds sur terre. Si je me laissais entraîner par cette émotion, je devrais commander des mouchoirs pour chaque match.

 » All together.  » C’est une des valeurs centrales que vous avez introduites en début de saison. Pouvez-vous jeter des joueurs qui traversent une période difficile, comme David Pollet et Yaya Soumahoro, en pâture à la presse ?

Si je l’ai fait, c’est justement parce qu’ils n’étaient pas  » all together « . Je ne vois pas pourquoi je ne m’attaquerais pas à ceux qui s’éloignent du groupe et font des choses qui ne vont pas.

PAR JACQUES SYS, CHRISTIAN VANDENABEELE ET FRÉDÉRIC VANHEULE – PHOTOS : BELGAIMAGE/ KETELS

 » Pourquoi De Bruyne et Hazard ont-ils progressé en Allemagne ? Parce qu’ils y sont soumis à un programme plus lourd.  »

 » Laurent Depoitre, c’est un cadeau du ciel. Car il combine endurance, vitesse, détente et, à présent, rendement, avec ses buts.  »

 » Pour être champion, il nous manque plus de tripes. On le sait et on y travaille.  »

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