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Fusion réussie

Quel que soit le déroulement des PO1, Genk va continuer à faire la fête. Le 1er juillet, il célèbre ses trente ans. En trois décennies, il s’est forgé un fameux palmarès. Il a joué en Ligue des Champions et son école des jeunes est vantée à l’étranger. Même si le début a été tout sauf une réussite.

Il faut se frotter les yeux quand on quitte l’E314 pour pénétrer à Winterslag, une entité de Genk. La Cité de Winterslag existe toujours. La Vennestraat en est le centre culinaire. Si on veut bien manger pour pas cher, c’est ici qu’il faut se rendre. Les noms des restaurants sont majoritairement italiens : Pizzeria L’Amore, Ristorante Gepetto, Da Fausto, La Posta, Circolo Sardo Grazie Deledda.

Il y a quelques dizaines d’années, le petit stade des Vieze Mannen, où le FC Winterslag s’est produit jusqu’en 1988, se trouvait un kilomètre et demi au-delà de la C-Mine, l’ancienne mine de Winterslag, à gauche de la Noordlaan. Le KRC Genk y a disputé ses matches à domicile durant ses deux premières années d’existence, pendant les travaux de rénovation du vieux stade Thor. Le stade, avec ses vestiaires de seize mètres carrés pourvus de trois douches, sa tribune assise de 1.000 sièges et ses 8.000 places debout, ne s’intégrait pas dans le projet prestigieux de Genk. Après le déménagement à Waterschei en 1990, il s’est déglingué et a été démoli en 2004.

Des deux côtés de la Noordlaan, un projet de 35 maisons et huit appartements, la Résidence Voetbalhof, est en cours de construction. Plusieurs maisons campent déjà sur le site où les Limbourgeois ont jadis éliminé Arsenal de la Coupe UEFA. La boîte aux lettres d’une habitation est en forme de ballon, en hommage au passé. Du temps de Winterslag, les joueurs s’échauffaient de l’autre côté de la Noordlaan et traversaient la route pour le match. Le gardien, Jean-Paul Tarzan De Bruyne, en profitait parfois pour acheter un hamburger qu’il avalait goulûment avant de pénétrer dans le vestiaire. Après les matches, une sonnette annonçait la fermeture des buvettes.

La fierté du Limbourg a terminé dans le top cinq à onze reprises.

À six kilomètres de là, de l’autre côté de l’E314, les accents italiens font place aux boutiques et snacks turcs. La Luminus Arena et ses vastes aires de parking ont trouvé un site de choix à Waterschei. La Jos Vaessen-Talent-Academy, un des meilleurs centres de formation du pays, est située derrière les parkings. Avant, les meilleurs jeunes footballeurs devaient rapidement quitter le Limbourg. De nos jours, les talents convergent de toutes les provinces pour y bénéficier de la meilleure des formations, comme le Gantois Kevin De Bruyne ou le Bruxellois Yannick Carrasco.

Ce n’est pas un hasard si les murs de l’académie sont couverts d’immenses clichés des jeunes du cru qui ont réussi. Leurs successeurs voient jour après jour les photos de Carrasco, De Bruyne ou Thibaut Courtois. De même, ils aperçoivent le stade où ils espèrent un jour se produire, à chaque entraînement. Dès sa fondation, le RC Genk a poursuivi un objectif : montrer que le Limbourg n’est pas une terre perdue, qu’on peut y réussir et qu’il n’est pas indispensable de le quitter.

UN SYMBOLE

Une séquence de la BRT, la première chaîne flamande de l’époque, annonce, le 6 janvier 1988, la fusion imminente de deux clubs à Genk. En 1986, Thyl Gheyselinck, le patron du KS, l’entreprise minière locale, a reçu pour mission de fermer les mines et de mener à bien la reconversion économique de l’entité. Gheyselinck a notamment conçu le projet ERC, pour Éducation, Récréation et Culture. Il était censé fournir 11.000 emplois mais n’a jamais vraiment décollé.

Un nouveau club de football prospère pouvait contribuer à la relance de la région. Le Patro Eisden et Hasselt ont refusé, Waterschei et Winterslag ont accepté. Sept ans plus tôt, la ville de Genk avait déjà réuni les deux clubs mais une fuite avait échauffé les esprits, bien que les présidents des deux clubs, Albert Bijnens de Waterschei et Jan Vandermeulen de Winterslag, étaient partisans d’une fusion. Lors du conseil d’administration décisif de Waterschei, il a manqué une voix. Un membre hésitait :  » Je ne veux pas avoir ça sur la conscience.  » La fusion a été annulée jusqu’à ce que les deux clubs se retrouvent au bord du gouffre. Gheyselinck avait des arguments décisifs : on allait ériger un nouveau stade couvert, qui ne comprendrait que des places assises. Le nouveau club bénéficierait d’un emprunt de 140 millions de francs (3,5 millions d’euros). Le KS allait en plus mettre 30 millions de francs (750.000 euros) à la disposition du club pour transférer des joueurs.

L’affaire est conclue le 20 mai 1988, la veille de la dernière journée de D1. Winterslag assure son maintien, ce qui permet au nouveau club de débuter parmi l’élite. Deux mois plus tôt, le 31 mars, les mines de Winterslag avaient fermé, un sort qu’avaient déjà connu celles de Waterschei en septembre 1987. Le projet ne pouvait donc débuter à un moment plus symbolique. On a choisi le plus ancien matricule, celui de Winterslag (322) mais on a préféré opter pour un nouveau nom et de nouvelles couleurs. C’était préférable puisque le nouveau club était confronté d’une part au rouge et noir, de l’autre au jaune et noir flamand des héritiers de Thor, le diminutif de Tot Herstel Onzer Rechten, pour le Rétablissement de nos droits, en guise de protestation contre la direction francophone de la mine. Les initiateurs du projet ont donc adopté le nom de la ville et les couleurs de l’Europe, le blanc et bleu, avec le logo de l’Union d’alors, douze étoiles jaunes, un logo qui a finalement été modifié quelques années plus tard.

L’EXODE

Le vendredi 8 juin 1988, l’entrée principale du vieux stade André Dumont de Thor Waterschei respire la tranquillité. Il doit son nom à l’ingénieur qui a trouvé du charbon dans le bassin campinois en 1901, une découverte qui a donné lieu à l’ouverture de sept mines, Winterslag étant la première en 1917, suivie par Waterschei en 1924. Le premier entraînement du nouveau club, le KRC Genk, doit avoir lieu à seize heures.

Du moins, c’est ce qui est prévu.

Gerard Plessers arrive peu après quinze heures. Il est parmi les premiers. Champion et finaliste de la coupe d’Europe avec le Standard, il a participé au Mondial 1982 et il est le plus grand nom transféré par le nouveau club. Il est sa locomotive. Quelques mois plus tôt, l’ancien international avait prolongé de deux ans son contrat à Hambourg, qui était alors un club de prestige en Allemagne, à l’insistance du manager du club, Felix Magath. Plessers, en poste en Allemagne depuis quatre ans, venait d’être élu joueur de la saison mais le club, vice-champion sortant, n’a terminé que sixième, ce qui le privait de rencontres européennes. Le nouveau trésorier, mesurant l’impact financier de cet échec, a décidé de procéder à des économies. Il fallait se séparer de quelques joueurs onéreux. Plessers a saisi le message. Il était tenté par une nouvelle aventure au pays mais il ne savait absolument pas dans quoi il mettait les pieds, ce vendredi-là.  » Je ne connais personne au sein du noyau et je n’ai encore jamais travaillé avec l’entraîneur mais je suis convaincu que le Limbourg peut abriter un grand club.  »

On est encore loin du compte. Après une longue absence, Winterslag et Saint-Trond ont réintégré l’élite l’année précédant la fusion. Durant la saison 1987-1988, ils sont les seuls clubs sans professionnels. Deux ans plus tôt, le Limbourg était absent de la D1, suite à la relégation de Waterschei en 1986 et du FC Beringen en 1984.

À cette époque, les talents limbourgeois doivent quitter leur région. En 1986, Luc Nilis a ainsi quitté Winterslag (D2) pour Anderlecht, pour lequel se produit aussi Pier Janssen, qui a éliminé le PSG sous le maillot de Waterschei. Le FC Malines se fraie un chemin vers l’élite avec Lei Clijsters, issu de Waterschei, et avec Paul Theunis qu’il a été chercher à Beveren, un Beveren qui a chipé le médian comme l’arrière Paul Lambrichts à Winterslag. Durant l’été 1987, Waregem transfère le buteur Patrick Teppers, après avoir arraché Manu Karagiannis et Vital Borkelmans au Limbourg. Les meilleurs avaient déjà émigré, comme Eric Gerets (PSV) ou venaient de rentrer en Belgique, comme Plessers et René Vandereycken (La Gantoise).

Même les petits clubs de D1 effectuaient leur recrutement au Limbourg. Avant de signer à Genk, dès la première saison, Berto Bosch, issu de Tongres, avait transité par le Lierse et Charleroi. Un an plus tôt, Rudi Vossen avait quitté Charleroi pour revenir à Winterslag.

PEU DE PROS

Tout le monde n’était pas convaincu par le projet. Sur les vingt joueurs alignés durant cette première saison, il n’y avait que dix professionnels : les autres avaient refusé, comme Rudi Vossen, qui ne voulait pas abandonner son emploi pour un statut incertain de footballeur professionnel. Pierre Denier, capitaine de Winterslag, avait opéré le même choix.

Ce jour-là, Genk présente Plessers, Vossen ainsi que le médian hongrois Laslo Giymesi de Honved.  » Un joueur de classe quand il est bien entouré « , déclare Ernst Künnecke, l’Allemand qui a entraîné Winterslag la saison précédente et qui a aussi travaillé à Waterschei.

La liste des transferts entrants n’est pas vraiment impressionnante pour ce qui doit devenir un grand club. Il ne doit son entrée immédiate en D1 qu’au sauvetage in extremis de Winterslag.  » Beaucoup de joueurs étaient intéressés mais ne voulaient pas de la D2 « , soupire Künnecke.

Il faut absolument un renfort en attaque. L’avant norvégien de Winterslag, Arve Seland, appartient à Mulhouse, qui demande 200.000 euros :  » Trop cher pour nous « , tranche Künnecke. Pendant son stage en Forêt Noire, Genk teste donc quatre footballeurs. Le Maltais Carmel Busuttil est engagé. Il devient la première vedette étrangère de Genk, qui transfère encore l’avant anglais Mike Farrington de Willem II. Juste avant la reprise de la compétition, un gardien débarque : Bobby De Keyser, qui est né à Louvain mais qui a émigré en Allemagne après le divorce de ses parents et qui a été un an la doublure de Jean Marie Pfaff au Bayern avant de signer à Nuremberg. Comme le gardien a un passeport allemand, il est considéré comme étranger et il ne prendra place dans le but qu’à deux reprises.

Le défenseur Michel Collard arrive encore du Standard et en hiver, le RC Genk embauche le gardien yougoslave Tomislav Ivkovic.

Ces joueurs ne sont pas encore là le 8 juin. À seize heures, les footballeurs déjà recrutés sont présents, à l’exception de deux éléments de Winterslag : Pierre Denier et le gardien Ronny Gaspercic. Ronny Van Geneugden, le talentueux distributeur de Waterschei, a obtenu un bon contrat à l’Antwerp. Le noyau provisoire est composé des trois nouveaux déjà mentionnés (Plessers, Gyimesi, Bosch), de neuf anciens joueurs de Winterslag et de six joueurs de Waterschei, qui a assuré de justesse son maintien en D3. À part Tony Bialousz, ils sont tous jeunes.

Malheureusement, un problème pratique survient. Gerard Plessers, habitué au professionnalisme de la Bundesliga, n’en croit pas ses oreilles. Les survêtements et les maillots de Diadora, le sponsor, ne sont pas encore prêts, pas plus que les logos du sponsor, la Générale. Il n’est donc pas question de faire la séance photos ni de donner le premier entraînement. La presse et les nombreux spectateurs qui se sont déplacés sont profondément déçus.

CHAMPAGNE !

La fusion est officialisée le 1er juillet.  » Nous avons obtenu un emprunt sans intérêt mais Genk est responsable de ses dépenses « , explique Jan Vandermeulen, l’administrateur-délégué qui va gérer les affaires courantes en attendant la nomination d’un président. Plus tard, il avouera :  » Nous avons été trop précipités dans nos achats. Nous aurions mieux fait de réunir les deux noyaux sans effectuer de transferts. Débuter en D2 n’aurait même pas été catastrophique : nous avions suffisamment de talent pour remonter.  »

13.000 personnes se rendent au stade pour voir la nouvelle équipe à l’oeuvre contre Anderlecht. Les serveurs slaloment entre les tables de la vieille cantine pour servir le champagne mais ce que l’équipe montre sur le terrain n’a rien à voir avec le nectar. Le Genk new look est vaincu 0-3 par les Bruxellois. Nilis inscrit deux buts. Plessers se démène mais ne parvient pas à combler toutes les brèches. Genk est trop court. Il le sera toute la saison, qu’il achève en dernière position. Il n’accueille que 4.000 spectateurs contre le Club Bruges, dans un des derniers matches à domicile. Mike Farrington, qui va rejoindre le Fortuna Sittard, est le meilleur réalisateur avec cinq buts. C’est éloquent. Genk est donc relégué au terme de sa première année de vie. Le projet a été mené à bien trop vite et l’animosité qui régnait entre les deux entités fusionnées pèsera encore quelques saisons, dans les tribunes comme au sein de la direction.

Les révélations de la première saison sont Busuttil et deux jeunes Limbourgeois. Rudi Janssens et Dirk Medved n’obtiendront pas d’augmentation mais un transfert à La Gantoise. C’est la goutte de trop pour Bijnens, l’ancien président de Waterschei, qui démissionne, fâché de la gestion du club.  » Waterschei possédait des jeunes de talent. Au lieu de leur accorder une augmentation grâce aux fonds reçus, on a transféré des vedettes étrangères.  » Il ne reviendra au club qu’en 1995.

Genk survit toutefois à la D2. Il suscite l’inquiétude en 1994 quand la SA Mines, qui a succédé au KS, refuse de continuer à injecter de l’argent dans le club et veut revoir sa collaboration mais finalement, la société réalise qu’en coupant ses liens avec le club, qui vient de redescendre en D2, elle va le couler et ainsi perdre les quelque six millions d’euros qu’elle y a injectés jusqu’en 1993. Les deux parties négocient d’autres conventions et se séparent en mars 1995. Désormais, le RC Genk est livré à lui-même alors qu’il poursuit la rénovation de son stade.

AIMÉ ANTHUENIS

Trente ans après son départ raté, Genk constitue un exemple rare de fusion réussie. Le club est géré par des Genkois, son président assistait déjà aux matches dans son enfance, en compagnie de son père, un ancien dirigeant de Winterslag, son directeur général a grandi à Genk et a grimpé les échelons du club, de collaborateur bénévole à CEO. D’anciens joueurs comme Philippe Clement, Domenico Olivieri et Pierre Denier forment le staff technique. Bref, Genk démontre qu’un ancrage local peut conduire au succès.

En fêtant la réussite de ce projet, on en oublierait presque qu’au début, c’est tout juste si les dirigeants n’en venaient pas aux mains.  » Plusieurs personnes confondent l’intérêt général avec le leur « , avait dénoncé Hans Saris, un journaliste du Belang van Limburg qui avait été manager le temps d’une saison.

Le revirement s’est amorcé dix ans après la fusion. Sous l’impulsion du Flandrien Aimé Anthuenis, le Racing a remporté son premier trophée, la coupe de Belgique, et a terminé deuxième du championnat. L’année suivante, il a fêté son premier titre. Il était lancé.

De nos jours, le Racing est la locomotive d’une région qui a essuyé deux coups durs sur le plan économique : la fermeture des mines dans les années ’80 et celle de Ford Genk il y a cinq ans. Elle n’en a pas moins survécu et des emplois se créent progressivement.

En trente ans, Genk s’est forgé un palmarès d’autant plus impressionnant qu’il a passé trois années en D2, suite à ses débuts pénibles. Il a fêté trois titres, il a été vice-champion à deux reprises et deux fois troisième, ce qui lui fait sept podiums en championnat. La fierté du Limbourg a figuré parmi les cinq premiers à onze reprises. Genk a participé deux fois à la phase de poules de la Champions League et a atteint les quarts de finale de l’Europa League la saison dernière.

Les Limbourgeois sont prospères. Grâce à des transferts lucratifs, ils présentent de plus en plus souvent de beaux bilans financiers. L’année passée, il était le club le plus riche de Belgique et quelle que soit l’issue des play-offs, il ne sera pas obligé de vendre des joueurs pour équilibrer son budget.

En résumé : quel luxe !

Avant, les meilleurs jeunes footballeurs devaient quitter le Limbourg. Désormais, les talents à l'image de Thibaut Courtois ou Kevin De Bruyne viennent à Genk pour y bénéficier d'une formation pointue.
Avant, les meilleurs jeunes footballeurs devaient quitter le Limbourg. Désormais, les talents à l’image de Thibaut Courtois ou Kevin De Bruyne viennent à Genk pour y bénéficier d’une formation pointue.© BELGAIMAGE
Gerard Plessers au duel avec Jan Ceulemans durant la première saison de Genk.
Gerard Plessers au duel avec Jan Ceulemans durant la première saison de Genk.© BELGAIMAGE

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