Fuera ! Dehors !

Entre l’économique et le sportif, c’est toute la différence de vision entre un président et un entraîneur.

Ce devait être son match. Un match que MarcBrys attendait depuis longtemps : celui de son retour au Kiel. Là où il est né : physiquement, mais aussi footballistiquement. Car, s’il a vu le jour à 500 mètres du stade qui a accueilli les Jeux Olympiques en 1920, c’est également au Germinal Beerschot qu’on a découvert cet entraîneur qui, jusque-là, n’avait jamais entraîné que dans les divisions inférieures. Seulement voilà : samedi, c’est GeertBroeckaert qui a pris place sur le banc. Le couperet était tombé lundi, en début de soirée, sur le pauvre Anversois. Personne n’avait rien vu venir. Encore que…

Roulers, fatal aux entraîneurs hurlus

Flash-back. Samedi 15 décembre. Mouscron s’incline 1-3 contre Roulers, sa bête noire qu’il n’a encore jamais vaincue depuis l’accession des Flandriens en D1 et qui avait déjà précipité la perte de… Broeckaert, après une défaite 5-0 au Schiervelde en 2005. Circonstances atténuantes : l’Excelsior joue sans attaquants. AdnanCustovic est suspendu, MickaëlNiçoise et BertinTomou sont blessés (ils entreront cependant au jeu en fin de match, l’un délivrant d’ailleurs l’assist pour l’autre sur l’unique but hurlu). En outre, KarimFellahi est exclu après six minutes à peine. Le lendemain, l’Excelsior envoie d’ailleurs un communiqué expliquant qu’une plainte allait être déposée à l’Union Belge à l’encontre de KennyThompson, qui a joué la simulation et précipité l’exclusion du joueur franco-algérien qui venait d’être tacklé par l’arrière deux secondes plus tôt.

 » En agissant de la sorte, le joueur de Roulers a fait gagner son équipe, mais a agi de façon antisportive. C’est donc un tricheur « , justifie le président PhilippeDufermont qui, ce week-end là (pour le malheur de Brys) n’était ni en Chine, ni en Espagne, mais à Mouscron. Indirectement, par le biais de ce communiqué, Dufermont disculpe donc l’entraîneur de sa part de responsabilité dans la défaite.

Lundi, c’était jour de congé pour les joueurs mouscronnois. Il n’y a donc pas eu de prise de becs à l’entraînement, ni de mutinerie des joueurs contre l’entraîneur, puisque tout le monde était chez lui. Que s’est-il passé pour que la direction décide du limogeage de Brys ? L’équipe restait, certes, sur un bilan de 2 points sur 15 et sur une élimination en Coupe de Belgique à Courtrai, mais était malgré tout 8e du championnat, à deux points seulement d’Anderlecht. Ce qui correspondait aux ambitions de départ : la colonne de gauche. Dans un premier temps, les explications de la direction restèrent assez vagues.  » Nous n’avons aucun problème avec l’homme « , assurait le directeur général BenoîtRoul.  » Mais nous ne partageons pas la même philosophie. Sportivement, Brys ne nous convient pas « .

Deux mois plus tôt, le jour du match contre le Standard, Roul nous avait pourtant déclaré :  » J’entretiens une très bonne relation avec Brys, c’est un type formidable « . Le 0-0 arraché contre les Rouches était, il est vrai, le dernier bon point obtenu par l’Excel, mais quand même…  » Les résultats obtenus ces dernières semaines sont une chose, mais ce n’est pas la seule chose qui a conduit au limogeage de Brys « , explique Roul. Il y a donc autre chose, mais quoi ?

Les choix de Brys

Ce que l’on pressentait s’est malheureusement révélé exact. Certains choix, parfois curieux, lui ont été reprochés. Lesquels ?

BertinTomou. L’attaquant camerounais a débuté la rencontre contre Roulers sur le banc. Insuffisamment rétabli de l’élongation encourue 15 jours plus tôt. Pourtant, c’est lui qui a marqué l’unique but de la rencontre, lorsqu’il est monté au jeu. Certains y ont vu les signes d’une blessure diplomatique. On sait, effectivement, que Brys craignait le départ de son buteur pour la Coupe d’Afrique des Nations, car il aurait alors été privé d’un pion hyperimportant.

Mais, alors, pourquoi s’en serait-il privé volontairement, au risque de perdre en décembre les points qu’il aurait éventuellement perdus en janvier et février ? Le raisonnement ne tient pas. Brys s’est expliqué après le match :  » Je ne voulais pas prendre le risque de voir Tomou subir une rechute et se retrouver out pour trois mois « .

MathieuAssouEkotto. Il fut, durant la bonne période de l’Excel, le métronome de l’entrejeu. Mais ces dernières semaines, il ne jouait plus.  » Il connaissait un creux « , estime Brys. C’est vrai qu’à Zulte Waregem, le médian n’avait pas été bon, mais cela peut arriver. Et puis, sélectionner un joueur plutôt qu’un autre, ce sont des choix d’entraîneurs.

 » Je dispose d’un noyau très large et j’effectue mes choix en fonction de la forme de mes joueurs « , explique Brys qui voit ses joueurs tous les jours à l’entraînement, ce qui est loin d’être le cas du président.

DaanVanGijseghem. Depuis le début de la saison, Brys s’était mis en tête de faire du jeune défenseur central, un arrière droit. La première expérience, contre La Gantoise, s’est révélée catastrophique : Daan, pas du tout à l’aise, s’était fait bouffer par ChristopheGrégoire. Mais Brys a persévéré dans son choix, et contre Roulers, Van Gijseghem avait été très bon à ce poste. Là encore, c’est un choix d’entraîneur.

Certains joueurs importants étaient en méforme ces dernières semaines. Etait-ce une méforme naturelle ou liée à d’autres événements ? Toute la question est là. Il nous revient que la longueur des séances d’entraînement (tout est relatif) et les séances vidéos commençaient à ennuyer certains joueurs. Les messages de Brys, et sa façon parfois particulière de motiver ses troupes, n’étaient pas non plus perçus de la même manière par tout le monde, malgré les efforts louables fournis par l’entraîneur anversois pour apprendre le français et sa volonté d’adaptation à la vie mouscronnoise, dont il appréciait le côté chaleureux.

Dans ce cas, la direction doit choisir entre l’entraîneur et les joueurs. Soit elle fait confiance au coach (qui reste libre de sélectionner les joueurs qui adhèrent à ses méthodes et en retireront peut-être les bénéfices), soit elle écoute le vestiaire. Dans le cas de Brys, comme dans celui de PhilippeSaintJean (un autre entraîneur sans passé footballistique et adepte de la vidéo), elle a écouté le vestiaire.

La pression espagnole

Mais, ce qui a surtout irrité la direction mouscronnoise, c’est le flop des joueurs espagnols. CarlosCoto, qui avait enthousiasmé la galerie lors de ses débuts, est confiné au rôle de réserviste, même lorsque – comme c’était le cas contre Roulers – l’Excelsior était en panne d’attaquants. Berna avait subi, en avril, une lourde opération et la direction mouscronnoise savait, en l’engageant, qu’il était encore convalescent. Mais en décembre, il ne joue toujours pas. Mystère. MiguelPalencia, lui, n’était pas blessé à son arrivée. Il s’est retrouvé un moment sur la touche en cours de saison, mais est désormais rétabli. S’il ne joue pas non plus, c’est parce que Brys lui a préféré Van Gijseghem pour le poste d’arrière droit. Jacobo, enfin, est retourné en Espagne pour se faire opérer du genou.

On se souvient de l’enthousiasme du président Dufermont lorsqu’il avait présenté ces joueurs à la presse.  » J’ai dû négocier durement, car leurs clubs respectifs voulaient les garder « , avait-il déclaré. Leurs clubs respectifs, rappelons-le, sont tout de même le FC Barcelone, Valence, le Real Madrid et l’Atletico Madrid. Ce n’est pas rien, même si les joueurs n’évoluaient qu’en Réserve là-bas.

Il faut savoir, aussi, que Frinver (désormais le principal sponsor du club) va investir 300 millions d’euros en quatre dans la région mouscronnoise. Et mise sur les exploits des joueurs espagnols de l’Excel pour assurer sa publicité via – entre autres – des articles dans la presse ibérique.

Dufermont souhaite aussi que les footballeurs espagnols réussissent à Mouscron pour pouvoir exploiter la filière et en attirer d’autres. Pour les revendre avec bénéfice, également. Il souhaite que l’Excelsior s’internationalise.  » C’est sa seule chance de survie « , estime-t-il. La politique de jeune entreprise au Futurosport, c’est bien sympa mais elle doit être rentable.  » Il faut de bons jeunes « , nous avait-il précisé lors de notre visite à Valence, en avril. Une déclaration qui laissait déjà transpirer son scepticisme.

Logique économique et sportive

L’homme d’affaires raisonne selon une logique économique. Lorsqu’on sait d’où vient le club (il y a quatre ans, il était virtuellement en faillite), c’est une logique qu’il faut respecter. Mais elle se heurte à la logique d’un entraîneur, qui entend appliquer ses idées pour faire progresser son équipe sur le plan sportif (les résultats lui donneront raison ou tort) et qui ne tient compte d’aucune autre considération. Les résultats plaidaient en faveur de Brys d’août à octobre, et lui ont donné tort de novembre à décembre. Deux mois qui lui ont été fatals.

La roue peut tourner très vite, on en a une nouvelle preuve. Lorsqu’il avait intronisé Brys entraîneur en chef, deux jours après avoir enregistré la volte-face de GeorgesLeekens, Dufermont avait déclaré :  » Le courant est passé directement. Le feeling est excellent. C’est l’entraîneur qu’il nous faut : il répond à 100 % aux critères que je m’étais fixés « .

Après son premier entraînement sur la pelouse annexe du Canonnier, un confrère avait abordé Brys en ces termes :  » Rassurez-vous : à Mouscron, vous pourrez appliquer vos méthodes, on ne vous mettra pas de bâtons dans les roues « . C’était sans doute vrai à l’époque de l’ancienne direction : celle qui avait permis à HugoBroos de rester en place après un 0 sur 15, avec les résultats sportifs que l’on a connus par la suite mais aussi avec le trou financier que cette politique a creusé.

Ce qui est rassurant, c’est que Dufermont s’investit pour que l’Excelsior survive économiquement. Ce qui est inquiétant, c’est que le futur entraîneur des Hurlus devra faire des résultats tout en faisant évoluer les joueurs que le président souhaite voir évoluer.  » Un prostitué « , comme l’appelle Brys, qui a refusé de le devenir.

par daniel devos – photo: reporters

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